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France, Europe : la perte de confiance des citoyens dans leurs représentants a-t-elle atteint un point de non-retour ?
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Bonnes feuilles

Constatant la "multiplication des fronts du refus", une atmosphère d'insurrection mais également de "festival des contraires", l'auteur réclame un changement de système face à cette multi-crise : crise financière, économique, sociale, environnementale, sociétale mais aussi crise de confiance, crise identitaire et crise de sens. Extrait de "Le Nouvel Optimisme De La Volonté", Jean-Luc Bennahmias, publié chez François Bourin (2/2).

Jean-Luc Bennahmias

Jean-Luc Bennahmias

Jean-Luc Bennahmias a été député européen (2004-2014). il fut le secrétaire national des Verts de 1997 à 2001. Il a appelé sans succès à une candidature de Nicolas Hulot à la présidentielle de 2007. Actuel coprésident de l’Union des démocrates et des écologistes, il a été candidat à la primaire de la gauche de janvier 2017. Après les Verts et le Modem qu'il a quitté à l'occasion des municipales de 2014, il cultive l'aletrnative d'une "démocratie social-libertaire".

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La confiance n’est pas une illusion vide de sens. À long terme, c’est la seule chose qui puisse nous assurer que notre monde privé n’est pas aussi un enfer. » Cette phrase de Hannah Arendt, en exergue de l’essai de la philosophe Michaela Marzano, consacré au thème de la confiance, rappelle la nécessité de jouer le pari de la confiance pour rester ancré dans l’humanité et oeuvrer (même si toutes sortes de raisons portent au découragement) à l’amélioration de son sort.

La confiance est l’une des clés principales du « vivre ensemble » : c’est peut-être même la plus importante. Le lien social, le système de solidarité étatique, la société en réalité n’existent que si un minimum de confiance s’établit entre les citoyens et leurs représentants.

Les classes dirigeantes, dans la période que nous vivons, ont intérêt à se poser beaucoup de questions. Il y a une défiance constatée à l’encontre des dirigeants politiques, toutes tendances confondues, des cadres des syndicats et des entreprises, des corps intermédiaires. L’autorité, quelle qu’elle soit, est remise en cause.

La défiance s’est répandue partout : au coeur de la crise financière, économique et désormais sociale, au coeur de la crise actuelle de l’UE : plus personne ne fait confiance à personne, c’est la défiance généralisée. Le manque de fiabilité, de légitimité, de crédibilité des pouvoirs économique et politiques déstabilise l’ensemble de la société et nous fait traverser une crise extrêmement grave.

L’abstention massive aux différents scrutins est à ce niveau, un signal pertinent du taux de confiance des citoyens dans leur classe politique puisque dans le système démocratique, le vote est le vecteur principal de la démocratie. La baisse continue de la participation, depuis la première élection au suffrage universel du Parlement européen en 1979, démontre la défiance, l’incompréhension, voire la déconnexion entre le peuple et ses représentants. Aux Européennes de juin 2009, la participation s’élevait à 19 % en Slovaquie, 24 % en Pologne, 27 % en Roumanie. Ce phénomène s’observe également chez les nouveaux entrants de l’Union Européenne. Le taux de participation au scrutin européen est généralement extrêmement faible. Dernier exemple en date, la Croatie : en avril 2013, leurs députés européens ont été élus avec seulement 21 % de participation.

Le décrochage est évidemment très net dans une partie de la population, notamment dans les classes populaires. Certains ne votent pas ou plus parce qu’ils considèrent que leur pouvoir de changement est nul, que leur vote ne sert à rien. Ils se sentent méprisés, exclus. Le vote protestataire progresse aussi, que ce soit à l’extrême gauche ou à l’extrême droite : le FN, en particulier, occupe le vide alors qu’il n’apporte aucune réponse. Même les jeunes, d’ordinaire plus optimistes et confiants que leurs aînés, ne semblent pas épargnés. Dans une étude de grande ampleur, réalisée par France Télévision, ils apparaissent eux aussi marqués par la crise et la défiance. Les résultats de « Génération Quoi ? » dépeignent une jeunesse pessimiste et désillusionnée, persuadée à 45 % que leur vie sera pire que celle de leurs parents. Pire, 70 % d’entre eux jugent que la méritocratie et la mobilité sociale ne fonctionnent pas.

Les citoyens ne se sentent pas représentés comme ils le devraient — À l’Assemblée nationale, c’est flagrant : absence de diversité politique, sociale, absence de parité… Selon une enquête du Cevipof de juillet 2012, alors que les employés et les ouvriers représentent la moitié de la population active, seul 3 % des députés proviennent de leurs rangs. De la même manière, la moyenne d’âge élevée (55 ans) et la faible part de femmes élues (moins d’un tiers) contribuent au dysfonctionnement du système représentatif. C’est le syndrome de la « société bloquée » pour reprendre un slogan de campagne, au siècle dernier, de Jacques Chaban-Delmas, malheureusement toujours d’actualité : la circulation entre les différentes strates de la société est interrompue.

Comment avoir confiance dans des discours et des politiques qui tendent à perpétuer un système de valeurs et un mode de fonctionnement dont tout démontre qu’ils sont complètement dépassés et inadaptés ?

Les « affaires » ont aggravé la situation : elles affectent tous les niveaux : des nombreuses affaires politiques locales et régionales (Marseille, Languedoc Roussillon, Pas de Calais) aux cas avérés de corruption du Parlement européen, en passant par les affaires Chirac-Juppé, Karachi, Woerth- Bettencourt, ou plus récemment Cahuzac et peut-être un dossier Sarkozy-Khadafi, les exemples abondent dans le sens d’une perte de « sens moral », sous-entendu d’une perte des valeurs et des repères moraux chez les élus politiques., pourtant en charge de l’intérêt général. Défense des intérêts privés — ou personnels — gaspillages d’argent public, conflits d’intérêts divers et variés, voire corruption, tels sont les stigmates de cette absence de sens moral.

Les affaires nourrissent un sentiment de suspicion généralisée envers la classe politique, accusée d’user de la morale comme d’un joli concept de discours mais dont la mention n’est suivie d’aucun effet concret.

En France, les juges font leur travail, mais les affaires politiques traînent tellement en procédures qu’elles donnent l’impression à nos concitoyens d’une justice à deux vitesses. Rapide et forte avec les faibles, faible et lente avec les forts. Il serait bon que les affaires soient jugées le plus rapidement possible. Car la suspicion conduit rapidement au discours du « tous pourris ». Rappelons par exemple l’affaire des députés européens « achetés » par des faux lobbyistes, en fait journalistes, pour quelques amendements. Cette affaire de corruption est-elle le fait de quelques brebis égarées ou une contamination généralisée ? La généralisation est un écueil assez systématique ; il faut pourtant rappeler ici que la grande majorité des députés européens, dont je fais partie, fait son travail honnêtement, et que ces cas de corruption ne représentent en rien les 751 députés de l’institution. Mais le mal est fait, le doute s’est installé et s’enkyste.

Peut-on reprocher aux citoyens cette suspicion, eux qui voient depuis des années, les « affaires » se multiplier ? Il ne s’agit pas non plus d’un problème qui serait uniquement français : outre le Parlement européen, le parlement britannique a lui aussi été récemment ébranlé par l’affaire des dépenses de ses députés.

Début 2014, deux sondages successifs ont souligné la défiance des citoyens envers les politiques et dépeignent une société défiante, angoissée, fragmentée : dans le baromètre de la confiance politique (Cevipof-CNRS, 13 janvier 2014) comme dans « Fractures françaises », deuxième édition d’une enquête annuelle Ipsos (Le Monde, France Inter, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof), il n’y a pas de doute : baisse de la confiance dans la démocratie comme système politique pour 69 % des sondés, la démocratie ne fonctionne pas très bien, voire pas du tout (ils étaient 48 % en 2009). Une large majorité des sondés accrédite la thèse que les responsables politiques ne se préoccupent pas ou très peu d’eux (87 % des sondés dans le baromètre). Les médias, les syndicats et les partis politiques n’inspirent pas plus confiance.

La défiance serait-elle une particularité française ? La France, par rapport à certains de ses voisins européens, est souvent caractérisée comme une société du pessimisme et de la défiance alors que d’autres, telles que les sociétés nordiques, reposeraient davantage sur la confiance. Mais cette mentalité hypercritique ne s’épanouit pas que dans l’Hexagone, ce tempérament a gagné l’Union européenne dans son ensemble.

Rappelons que l’Europe n’a été possible que parce que les États ont décidé de se faire confiance. L’acte fondateur de la mise en commun du charbon et de l’acier, c’était l’idée que l’autre n’allait pas se servir de ses ressources pour déclencher une guerre. Puis l’Union s’est bâtie grâce à cette idée : le marché intérieur, l’abolition des frontières, l’harmonisation des standards, des normes, et plus tard, la libre circulation des personnes… Tout cela n’a été possible que parce qu’il existait une confiance mutuelle qui semble s’être érodée ou brisé dans de nombreux domaines de coopération.

Dans le domaine économique : la crise de la Grèce et la révélation à toute l’UE du caractère peu fiable de l’économie de ce pays ; la méfiance qu’a entraînée cette crise chez les autres Européens, notamment chez les Allemands — dont les fondamentaux reposent sur un tabou absolu de l’endettement.

Dans le domaine migratoire : le manque de confiance des Européens entre eux sur le sujet de la protection des frontières : la remise en cause de Schengen, le retour des contrôles aux frontières par le Danemark, la remise en cause de la libre circulation par le Premier ministre anglais David Cameron, les discriminations auxquelles font face les Roms, et que tout le monde se rejette…

Dans le domaine politique : la crise de la démocratie participative et le manque de confiance des Européens dans ceux qui sont censés les représenter se traduisent par un taux d’abstention toujours plus élevé aux élections européennes et des partis à tendance populiste qui prospèrent.

Dans le domaine social : une perte de confiance liée à un sentiment d’injustice sociale, d’une montée des inégalités. Une exaspération populaire, notamment chez les jeunes (cf. mouvement des Indignés en Espagne contre un système politique et social sclérosé).

Selon moi, le fossé qui s’est créé entre les citoyens européens et leurs représentants a atteint un point de non-retour avec les référendums de 2005 : les « Non » plébiscités en France et aux Pays Bas ont été tout simplement ignorés. En 2008, l’UE a réitéré ce déni avec les Irlandais sommés de revoter pour voter « correctement ».

Certes, depuis le traité de Maastricht, le consensus permissif sur lequel reposait la construction européenne a éclaté mais les référendums ont achevé de consommer la rupture entre les citoyens (notamment Français) et les politiques. Le problème de l’après-référendum n’est toujours pas réglé aujourd’hui en France. C’est bien tout l’enjeu des élections européennes de 2014 que d’arriver à dépasser ce blocage et à refonder un rapport apaisé, crédible et stimulant à l’Europe.

Car il y a le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté. Lorsqu’on continue l’analyse du baromètre évoqué plus haut, on s’aperçoit qu’une majorité de sondés déclare continuer à s’intéresser à la politique et pense que le vote est le meilleur moyen d’influencer les politiques publiques. Tout espoir n’est donc pas éliminé. Mais une des questions essentielles que nous devons nous poser aujourd’hui est : Comment nos concitoyens peuvent-ils retrouver de la confiance dans la politique, au niveau français et européen ?

On ne pourra fait évoluer la société sans restaurer la confiance. En même temps cette confiance ne viendra que par l’évolution radicale des pratiques et des discours.

Une (réelle) oxygénation de la politique française est indispensable. On n’exerce plus l’action et la réflexion politique comme dans les années 1980. C’est l’objectif d’une majorité nouvelle : aérer la démocratie. L’optimisme de la volonté me conduit à porter cette volonté : construire un large rassemblement des forces républicaines.

Extrait de "Le Nouvel Optimisme De La Volonté - répondre à la multi-crise", Jean-Luc Bennahmias, François Bourin éditeur, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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