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BCE : La monétisation de la dette est nécessaire mais ne ferait 
« qu'acheter du temps »
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Crise de la zone euro

Deuxième partie d'une mini-série sur l'impossible sauvetage de l'Euro sans plan de relance ambitieux pour accompagner la rigueur. H-1 avant l'éclatement de la zone euro et une seule solution pour l'éviter : une monétisation de la dette. Mais nous ne gagnerons que 2 ans au mieux...

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser est ancien député européen apparenté RN.

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A lire : le 1er épisode publié ce lundi de notre série sur l'impossible sauvetage de l'Euro sans plan de relance industriel pour accompagner la rigueur :
L'Euro "pousse-au-crime" de la désindustrialisation et de l'endettement du Sud de l'Europe
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si la France pratique trop brutalement une politique rigoureuse, elle va casser la consommation qui se tient encore, du moins un peu, et la confiance. Sans demande et sans confiance, il n’y aura plus de croissance et les recettes publiques diminueront, sans doute, encore plus vite que les économies réalisées, comme le rappelle cruellement la situation actuelle en Grèce. Alors, le spectre de la banqueroute se dessine, les taux d’intérêts augmentent par peur de la banqueroute, et créent la banqueroute en voulant éviter la banqueroute. C’est le marché !

Comment peut-on imaginer créer des richesses dans le futur en investissant dans des dettes qui ne servent qu'à rembourser des consommations passées ? 

Mais pour absurde que puisse être le fonctionnement du marché par certains aspects, il ne faut pas voir uniquement les spéculateurs - ils existent et il faut les ramener à la raison par une régulation bien plus stricte et un tribunal pénal pour les crimes financiers  - mais il faut voir aussi votre épargne : les 1300 milliards d’assurance vie en France, les 3500 milliards d’épargne financière qui sont investies en partie en obligations d’États et en actions. Peut-on d’ailleurs créer des richesses dans le futur en investissant dans des dettes qui remboursent des consommations passées ? Et comment peut-on penser que les remboursements de ces dettes créeront des richesses dans le futur ?

Que faire alors face à ce dilemme de la rigueur qui étouffe la croissance face à l'accroissement de la dette qui nous ruine?

Il nous faut d’abord gagner du temps par la monétisation partielle, même si celle-ci n’est pas une panacée, et profiter de ce gain de ce temps pour entamer les réformes structurelles dont nous avons besoin. Ces réformes passent par la réindustrialisation du pays et de l’Europe, par une politique de relance rendue possible par l’investissement rentable avec des mécanismes correcteurs internes et externes à la zone euro : des nouvelles règles de l’Union et de l’OMC (Organisation mondiale du commerce).

Il faudrait donc revenir à la proposition française du FESF (Fonds européen de stabilité financière) transformé en banque pouvant s’alimenter directement auprès de la BCE (Banque centrale européenne) ; gagner du temps donc, mais pour organiser un plan européen de relance par l’investissement, et organiser différemment le commerce européen.

Dans la situation actuelle, sans achat indirect de la dette par la Banque centrale, la zone euro est condamnée. En effet, lorsque les taux d’émission de la nouvelle dette à dix ans approchent 7% pour l’Espagne et l’Italie, lorsque la France décroche à de près de deux points par rapport à l’Allemagne, avec une capacité d’intervention du Fonds européen de stabilité financière de 440 milliards, les dirigeants européens sont dans l’incapacité d’intervenir pour gagner du temps… A elles seules, l’Italie pour 240 milliards et l’Espagne pour 86 milliards en 2012, utiliseraient le FESF qui est juste formaté pour la Grèce et le Portugal. La France a besoin de 192 milliards en 2011 et n'aura besoin, si tout se passe bien, que de 182 milliards en 2012… Il faut en effet ajouter au déficit public annuel la reconduction du stock de la dette, car on ne rembourse pas le principal…. remis à plus tard.

A trop abuser de la dette, l''Europe s'est mise entre les mains des banquiers américains

La proposition de la France de transformer le FESF en banque, pouvant faire effet de levier avec des fonds propres, tout en empruntant directement à la Banque centrale, était donc pertinente… Elle était d’autant plus pertinente qu’elle permettait de se financer à 1.25% auprès de la BCE, pour en faire profiter - si nécessaire - directement les États. Elle contournait ainsi le statut de la Banque centrale en pouvant acheter directement de la dette à l’émission à un taux négatif, compte tenu de l’inflation ; le FESF revu pouvait ainsi accompagner les pays qui font structurellement un effort de rigueur, avec un sérieux bonus.

Il faut savoir que la Grèce ou la France auraient un budget en équilibre si on avait maintenu la capacité d’acheter directement de la dette par la Banque centrale - capacité que la France a connue de la Révolution à 1973 -, car l’intérêt de la dette a déjà payé la dette. Par ailleurs, hors intérêt de la dette, la Grèce ne connaît qu'un déficit que de 4% qui peut facilement se réduire par l’investissement productif, en renforçant les exportations et en diminuant certaines importations. Pour faire court, la copie du système fédéral américain par l’Union européenne, associée à la copie de la Bundesbanck par la BCE, a mis les États européens dans la main des banquiers américains.

La monétisation de la dette, directe ou indirecte, seule issue possible quels que soient les cas de figure...

Si vous devez emprunter de plus en plus pour payer les intérêts croissants de la dette, vous êtes en train de faire banqueroute… La solution est alors la restructuration de la dette ou le défaut simple. La monétisation sera de toute façon obligatoire pour une aventure économique encore plus grande.

La restructuration passe par des pertes dans les banques et les institutions financières, et vu le montant des sommes, il faudrait recapitaliser le système financier pour des montants introuvables sur le marché. Il faudra donc nationaliser, c’est-à-dire rajouter de la dette à la dette, par le biais d'États qui n’ont pas d'argent sans emprunter... Mais qui leur prêtera ? Personne ! Le défaut demande des montants encore plus importants pour recapitaliser le système financier, et le défaut d’un grand État entraînerait immédiatement une cascade de faillites avec les effets multiplicateurs de CDS souverains, des assurances sur crédit. Il faudra donc toujours monétiser ; c’est-à-dire faire marcher la planche à billets pour se sortir de cette impasse.

Le scénario d'une sortie de l'Euro n'aboutirait qu'au remplacement d'une dictature des marchés par une dictature de l'Etat

Une autre solution envisagée pourrait être la sortie de l’Euro d’un pays, sortie accompagnée d’une dévaluation et de la monétisation des dettes par les nouvelles Banques centrales nationales. S’il s’agit d’un grand pays, la zone Euro éclate. Chaque pays retrouve alors sa monnaie nationale, et dévalue tout en faisant appel à la planche à billets par le biais de sa banque centrale. Mais si le pays veut garder une certaine valeur à sa monnaie, il peut difficilement monétiser pour plus de 10 - 20% de son PIB, soit pour un pays comme la France, tenir un an ou deux ans avec la dette actuelle…

Les dévaluations se font alors pour regagner de la compétitivité. En faisant en sorte qu’elles se fassent de manière concertée et pas toutes au même niveau - sinon elles s’annulent mutuellement -, on peut penser que chaque pays retrouvera son niveau de compétitivité réelle par des dévaluations coopératives. Mais il n’aura pas pour autant retrouvé sa base industrielle… Il lui faudra donc importer plus cher des productions qu’il ne fabrique plus. La forte demande nationale baissera mécaniquement le coût des importations, et entraînera des dévaluations non maîtrisées de la nouvelle monnaie nationale, qui connaîtra alors la sanction des marchés. Une telle situation renchérira encore le coût des importations jusqu’à ce que le pays - appauvri - parvienne enfin à se réindustrialiser.

Il faudra, toutefois, avoir les hommes pour mener une telle politique, mais nos États ne semblent pas les avoir. Supposons néanmoins qu’on trouve les hommes, alors si tout va bien, dans une dizaine d’années - rêvons dans 5 ans -, ces États parviendront à relever le défi ! 

Quel est le pouvoir qui aura la légitimité de conduire une telle politique, en remplaçant la dictature des marchés par la dictature de l’État ?

Le plus raisonnable, à ce stade, est donc la monétisation maîtrisée de la Banque centrale européenne, c’est-à-dire l’achat indirect de la dette des grands pays (l’Espagne, l’Italie, la France demain), pour faire baisser les taux d’intérêts. Le tout accompagné de l’acceptation de la proposition française quant au rôle à jouer du FESF banque. L’Allemagne s’y oppose à ce stade mais peut-elle s’y opposer longtemps...?

L'Allemagne devra accepter l’inévitable sauf à se retrouver en aussi grande difficulté que le reste de l'Europe...

Si l’Allemagne persistait dans son opposition, elle porterait la responsabilité de l’éclatement de la zone euro, et serait la première à en faire les frais. Ses exportations seraient rendues bien plus difficiles vers le Sud de la zone euro par les dévaluations compétitives, ainsi que vers le reste de l’Europe (85% de ses excédents).

Elle se retrouverait alors face à ses déficits dans les pays émergents, qu’elle ne pourrait évidemment combler avec son euro Deutsche Mark… à un taux de 1.6 ou 2 dollars… Avec près de 50% de son PIB à l’exportation, elle ne pourrait se retourner rapidement vers son marché intérieur, un marché de vieux retraités…

L’Allemagne se trouverait vite en aussi grande difficulté - sinon en plus grande difficulté - que le reste de l’Europe !

Il est cependant plus probable que l’Allemagne – qui se refuse toujours à l’évidence des faits – finisse par accepter l’incontournable monétisation de la dette et surtout, nous l’espérons, la proposition française.

Comment convaincre les Allemands de monétiser la dette ?

Trois réflexions doivent être faites à ce sujet :

1 La monétisation ne fait que permettre de gagner du temps. En se situant au niveau de la moyenne mondiale pour la monnaie de base banque centrale, la BCE pourrait monétiser jusqu’à 1200 milliards. Si elle achetait 80% de la dette des pays du Sud (comme la Fed le fait actuellement pour les Etats-Unis) qui font 60% du PIB de la zone euro, avec une maturité moyenne de la dette à 7 ans, elle ne gagnerait que 2 ans par cette monétisation mais on peut penser que de tels montants d’intervention sur les marchés ne seront pas nécessaires pour maintenir les taux d’intérêt à des niveaux acceptables car il y a l’actuel FESF pour la Grèce et le Portugal.

Ce système, cependant, travaille essentiellement pour le système financier afin de limiter ses pertes et pour palier la spéculation des marchés. Aussi, le retour à la proposition française du changement de statut du FESF nous parait indispensable. L’achat de l’argent au coût de la banque centrale, comme toute banque peut le faire, nous paraît logique et indispensable pour prêter aux Etats à un coût conforme aux perspectives de croissance et d’inflation, qui ne les oblige pas à la banqueroute. Le taux actuel de 4 ou 5% ne correspond pas à la croissance potentielle et ne peut que nous enfoncer un peu plus dans l’endettement. La proposition  française est non seulement moralement mais aussi techniquement indispensable.

2 Cette monétisation doit s’accompagner de la rigueur pour que, dans les cinq ans à venir,  toutes les dépenses de fonctionnement ne fassent plus l’objet d’emprunts. L’emprunt public doit être réservé à l’investissement public.

3 Il faut un programme de relance par l’investissement rentable pour apporter une réponse structurelle à une situation de déficit structurel des pays du Sud qui sinon continueront à s’endetter.

Sur ce programme de relance par l'investissement durable, lire la contribution de Jean-Luc Schaffhauser à paraître mercredi.

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