France-Australie : cette fois-ci l'équipe de France de Rugby pourrait bien réussir à rendre populaire le sport féminin<!-- --> | Atlantico.fr
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L'équipe de France féminine de rugby affronte ce samedi l'Australie
L'équipe de France féminine de rugby affronte ce samedi l'Australie
©REUTERS/Tyrone Siu

Les femmes dans les stades

La Coupe du monde de rugby bat son plein. Et c'est plutôt bien parti pour les Bleues qui ont écrasé l'Afrique du Sud lors de leur dernier match. Elles affrontent l'Australie ce samedi. La compétition et leurs victoires permettent d'attirer les médias sur ce sport féminin souvent oublié.

Anne Saouter

Anne Saouter

Anne Saouter est anthropologue et s'intéresse à la question de la production des corps sexués dans les pratiques sportives. Elle a écrit "Etre rugby : jeux du masculin et du feminin" et est également l'auteur du livre "Des femmes et du sport (éditions Payot), en 2016. 

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Atlantico : L'équipe féminine de Rugby affronte samedi l'Australie aprsè avoir écrasé l'Afrique du Sud (55-3). Les très bons résultats des bleues peuvent-ils permettre de susciter l'intérêt des français quant à ce sport traditionnellement vu comme un sport d'hommes ? 

Anne Saouter : Ce n'est pas le résultat des Françaises qui va provoquer un engouement de la popularion pour le rugby féminin, c'est la manière de traiter ce sport. La médiatisation de la Coupe du monde permet de montrer le talent des joueuses, un talent qu'elles ont toujours eu. Cela fait un moment que les Bleues jouent au rugby et prennent part à la Coupe du monde or très peu de Français savent qu'elles y ont déjà participé. Même chose pour le football. Là les médias ont décidé de les médiatiser beaucoup plus que lors des précédentes compétitions. On réalise qu'il y a de bonnes joueuses en oubliant qu'elles étaient déjà là auparavant. Le public se rend compte que la façon de jouer est différente de celle des hommes. Chez les femmes, le jeu l'emporte sur la performence. Certes, l'équipe de France a écrasé l'Afrique du sud, mais les Africaines se sont défendues jusqu'au bout. 

Comment expliquer que le sport féminin soit moins populaire que le sport masculin ? 

Dès les débuts du sport les femmes n'ont pas été encouragées à faire du sport. Les historiens et sociologues sont d'accord là-dessus. Lors des premiers JO les femmes ne pouvaient pas participer. Et quand elles l'ont pu, ce fut que dans certaines disciplines uniquement. Des disciplines où le public attendait de la féminité et de l'esthétisme. Des disciplines comme le patinage artistique ou la gymnastique. Il y a eu un léger engouement pour le football et le rugby féminin dans les années 1920, 1930. Ces sports ont été oubliés par la suite. Cela est lié au contexte politique et social. On ne supportait pas alors de voir le corps de la femme envahir l'espace public. Les institutions sportives elles-mêmes ont toujours marginalisé la pratique sportive féminine, elles l'ont situé en deça de la pratique masculine. La pratique sportive féminine ne devait pas porter d'ombre à la pratique masculine. C'est une pensée toujours actuelle. Il suffit de comparer les stades ou joue l'équipe de France de Rugby féminine et ceux occupés par leurs homologues masculins. 

Maintenant toutes les disciplines sont aussi pratiquées par les femmes. Le problème ne se situe plus dans l'autorisation ou l'accés au sport. Il est ailleurs. Des difficultés subsistent en terme de moyens, matériel, lieux d'entrainement. Des portes ont été ouvertes mais il en reste d'autres. Une de ces portes est la médiatisation. Une discipline médiatisée gagne en terme de rentrées d'argent et de visibilité, ce qui manque au sport féminin. 

Pourquoi le sport féminin n'est-il pas davantage regardé et médiatisé en France ? Est-ce spécifique à la France ?

Il n'est pas médiatisé parce que moins regardé. Certes. Cependant, le taux d'audience augmente de match en match. L'offre crée la demande. Plus les médias montreront le sport féminin, plus la population s'y intéressera. Dans la conscience collective, le sport est directement lié au masculin. La performence également, on a des difficultés à la définir au féminin. Ce n'est pas propre au sport. On retrouve les mêmes difficultés dans le travail. Ce qui inquiéte, c'est le fait que les femmes peuvent être aussi fortes que les hommes. L'autre peur est la pensée simpliste selon laquelle les garcons pourraient se transformer en filles et les filles en garcons.

En France, la population est très attachée à l'image du sport comme lieu de la masculinité. Concernant la Coupe d'Europe de football féminin, bien que les bleues avaient de très bons scores, elles étaient très peu regardées par leur public contrairement à leurs adversaires notamment anglosaxonnes. Dans d'autres pays le sport féminin est un enjeu, une lutte pour conquérir la liberté. En France, où l'on se targue d'être un pays libre, le sport féminin est tout de même traité de telle facon que l'on peut pratiquer le sport que l'on souhaite. A condition de trouver un club. Et un entraineur. Et du matériel.

Le dernier match contre les sud-africaines a quant à lui été vu par 1.5 millions contre un million pour le match France-Pays de Galles. On note donc une progression de 500 000 spectateurs, cet engouement pourrait-il s'inscrire dans la durée ? 

Cela pourra s'inscrire dans la durée si, fort de cette expérience, les chaînes décident de continuer à transmettre des compétitions féminines autres que celles que l'on a l'habitude de voir ( natation, gymnastique...). N'oublions pas que l'effet Coupe du monde est un coup de publicité et qu'il n'y a pas d'actualités sportives pour le moment. Les mentalités changent mais très lentement. 

Quel est le potentiel de popularité de ce sport chez les femmes en France ?

Si on continue à leur donner de la visibilité oui. Le rugby féminin existe depuis les années 60, c'est pourtant un sujet dont on ne parlait jamais ou à de très rares occasions. Le regard que l'on porte sur ce sport et sur les joueuses change. Il y a eu d'excellentes joueuses comme Nathalie Amiel qui est aujourd'hui l'entraineuse des bleues. Et pourtant, qui connait Nathalie Amiel ? 

Existe-t-il d'autres sports où les femmes tentent-elles de s'imposer ? 

Le rugby est un des derniers bastions. Les filles sont présentes dans tous les sports mais il faut continuer à batailler. Par exemple, dans un club de rugby qui connait des difficultés économiques, on préférera toujours garder les équipes masculines plutot que féminines. Même si ces dernières sont meilleures. Ensuite, une femme qui veut pratiquer un sport devra trouver un club, une simple formalité chez les hommes qui peut se révéler compliquée chez les femmes. Les salaires des joueuses, le matériel mis à leur disposition, le terrain etc... sont d'une qualité moindre que ceux des hommes. Ce sont ces choses que l'on ne voit pas qui posent encore problème. 

De plus, des clichés persistent, il suffit de parler aux enfants d'une fille pratiquant du rugby et d'observer leur réaction pour le constater. 

Le sport féminin ne représente que 7% de l'ensemble des retransmissions sportives à la télévision et est diffusé à 95% sur les chaînes payantes, selon les derniers chiffres du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Parmi ces 7%, les sports collectifs sont écrasés par les sports individuels, tennis, athlétisme et ski en tête. Comment expliquer ce phénomène ? Qu'est ce qui attire ce public ? 

C'est mitigé, ce n'est pas forcément que l'on aime particulièrement ces disciplines, c'est surtout parce que ce sont celles que les médias montrent le plus souvent. C'est quelque chose d'inconscient. Quand une personne regarde un sport féminin, elle s'attend à voir quelque chose de féminin. Prenons par exemple le cas de la skieuse Lindsey Vonn qui a voulu participer à une descente masculine. Cette idée a déclenché un scandale et cela lui a été refusé. Il ne faudrait pas que les femmes vienent marcher sur les plateformes des hommes. Toutes les personnes qui ne connaissaient pas le rugby féminin étaient venues avec un à priori. Elles s'attendaient à voir des joueuses hystériques se crêper le chignon. En repartant du match, elles admettent toutes avoir vu de la technique, du jeu, en bref, du sport. Et elles oublient leurs à priori. 

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