Fracture Nord-Sud : l’Europe des pays qui croient au collectif pour sortir de la crise face à celle de ceux qui la jouent perso<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L’Allemagne est le seul pays qui pense que TOUS les acteurs de la vie socio-économique ont un rôle à jouer dans la sortie de crise.
L’Allemagne est le seul pays qui pense que TOUS les acteurs de la vie socio-économique ont un rôle à jouer dans la sortie de crise.
©

Série "Les Européens face à la crise"

Comment les Européens réagissent-ils à la crise ? Publicis Groupe a mis en place en 2013 une enquête auprès des classes moyennes supérieures en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne.

Véronique  Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier ont créé en mars 2007 FreeThinking, laboratoire de recherche consommateur 2.0 de Publicis Groupe.

Voir la bio »

29% seulement des Européens considèrent que leur gouvernement propose des solutions constructives pour sortir de la crise ; et les chiffres sont aussi faibles , voire pires, quand ils jugent les syndicats ou l’Union Européeenne… Mais là encore, les contrastes sont violents : si 45% des Allemands déclarent faire confiance à leur gouvernement pour sortir de la crise, ils ne sont que 21% à faire confiance au leur en France, 19% en Espagne... Les chiffres sont du même ordre – du simple au double - pour le jugement porté sur les syndicats et sur l’opposition.

La parole des Européens donne un sens très clair à cette deuxième série de chiffres tirés de l’enquête quantitative menée par Ipsos : au-delà des perceptions différentes de la crise, ce sont des visions différentes de la sortie de crise que nous voyons se mettre en place dans les discussions entre participants au sein des communautés rassemblées. Avec deux modèles qui s’opposent et opposent l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, notamment en ce qui concerne les acteurs de la sortie de crise – les apporteurs possibles ou avérés de solutions.

L’Europe du Nord, Allemagne et dans une moindre mesure Grande-Bretagne : tous ensemble.

L’Allemagne est en effet sur la question de la sortie de crise et de ses acteurs un cas très particulier parmi les cinq pays étudiés : c’est en fait le SEUL pays dans lequel les participants se rejoignent massivement sur l’idée que TOUS les acteurs de la vie socio-économique non seulement ont un rôle positif à jouer, mais le jouent / l’ont joué.

Gouvernement et opposition – dont beaucoup de participants se rappellent qu’ils ont été unis sous Schröder et Merkel dans la Grande Coalition pour prendre des mesures au service de l’économie, telles celles sur le chômage partiel qui fait l’unanimité - ;

Les syndicats, dont certains disent clairement que sans eux, « l’Allemagne ne serait pas l’Allemagne » et qu’ils ont joué un rôle clé dans la mise en place de solutions transitoires négociées ;

Les grandes entreprises qui apparaissent massivement non seulement comme des partenaires sociaux fiables et constructifs (même si d’abord à la recherche du profit maximum et sans pitié pour les PME sous-performantes) mais comme des fiertés allemandes.

Tous ces acteurs sont reconnus positivement comme des acteurs de la résolution de la Crise. Quant à l’UE, elle apparaît comme un élément qui pour l’instant n’aggrave pas trop les choses, même si l’aide apportée aux pays en difficulté leur semble devoir être limitée.

« Le gouvernement a agi très intelligemment. J'ai déjà décrit les actions de la chancelière Merkel et du ministre des finances Steinbrück (…). De même, l'ancien ministre de l'économie Zu Guttenberg a adopté les bonnes positions » - Allemagne

« Sans les syndicats, l'Allemagne ne serait plus l'Allemagne ! Ils sont indispensables et compensent les inégalités sociales. Même si je n'en fais pas partie, je les trouve bien et utiles ! » - Allemagne

« Traditionnellement, en raison de leur qualité supérieure à la moyenne, les entreprises allemandes n'ont pas trop à souffrir par rapport aux entreprises des autres pays » - Allemagne

Sur le blog britannique, les choses n’apparaissent pas de façon aussi claire, ni aussi uniment positives : naturellement, l’UE apparaît bien plus comme un facteur de crise – ou un facteur potentiel de crise, puisque ne pas y être est clairement une chance. Mais, en dehors de cet acteur et des banquiers, qui font l’unanimité contre eux, les autres institutions citées peuvent être challengées, critiquées, elles n’en apparaissent pas moins comme apporteuses potentielles de solution pour sortir de la crise :

Le Gouvernement : sa politique d’austérité est très décriée par certains, mais défendue par d’autres comme inévitable : on est bien dans la discussion politique « normale », sur le fond comme dans la forme (les mots, les expressions, le vocabulaire employé).

Les syndicats : eux aussi peuvent être sévèrement remis en cause comme immobilistes, ils ne sont pas insultés ou dénoncés comme foncièrement malhonnêtes ;

L’opposition : peu efficace et au moins partiellement responsable de la crise actuelle quand elle était au pouvoir, mais pas corrompue pour autant.

Les grandes entreprises : pas suffisamment solidaires des petites et trop enclines à « ne pas payer leurs impôts », mais indispensables pour créer de la richesse.

On est donc dans le discours et le ton employés dans un jeu démocratique « normal » ; les choses sont difficiles, si la Grande-Bretagne en est là, c’est que beaucoup d’acteurs ont mal fait leur travail (et pour certains, les citoyens eux-mêmes, qui ont manqué de sens des responsabilité quand tout allait bien) ; mais aucun acteur n’est accusé d’avoir sciemment provoqué les difficultés, ou pire, d’en profiter.

« I think some of the austerity measures are a step in the right direction. We need to reduce the UK’s debt burden but perhaps not as deeply or quickly as is currently touted by the tories » - UK

« - the opposition: are crucial to proper debate in parliament
- business: crucial to employment & taxation
- European institutions: are not helping us right now. It is a distraction to national policies.
- the trade unions: like the curates egg – good in parts. Some protect rights and others (e.g. the RMT) can seem to be basically blackmailing LUL over incremental pay and rights for already well paid staff. » - UK

L’Europe du Sud – France, Italie, Espagne- : seuls contre tous ou presque.

A l’inverse, en Europe du Sud, les acteurs institutionnels semblent tous ou plus moins disqualifiés. En Espagne, pays du Sud le plus radical dans son jugement sur les institutions, même la famille royale, qui n’était pas listée parmi les institutions à évaluer mais a été spontanément citée par une minorité notable de participants, est mise en cause. Même si elle reste à la marge de ce que l’on pourrait appeler un « pool des élites corrompues » très violemment attaquées, avec un lexique foncièrement différent de ce que l’on peut trouver dans les posts britanniques ou allemands les plus critiques, puisqu’il relève soit de l’insulte (des « voleurs » qui « se foutent de nous ») soit du vocabulaire judiciaire (« les coupables doivent être punis »).

En Espagne comme en Italie, AUCUNE institution n’apparaît comme apporteuse de solution à la communauté, la plupart sont même en réalité perçues comme des problèmes, des facteurs de blocage, voire des « cancers » :

Le gouvernement : de façon évidente en Italie, où la crise institutionnelle est durement vécue, de façon évidente aussi en Espagne ou le gouvernement Rajoy cristallise à la fois le ressentiment devant l’effort demandé, le désarroi devant la précarisation, la colère devant des comportements non-éthiques ; un mot revient souvent en Italie pour parler d’eux : « vergogna », « la honte ».

L’opposition : exactement dans le même sac que le gouvernement en Espagne (« les pires hommes politiques de tous les temps ») ; en Italie, même Grillo, qui a de nombreux soutiens sur le blog, est interrogé sur sa capacité à réellement s’investir dans une solution.

Les syndicats : facteurs de blocage complet, et en Italie, et en Espagne, avec une dénonciation du clientélisme très forte dans les deux pays.

Les entreprises : dans le même sac que les élites politiques en Espagne en ce qui concerne les grandes, avec un discours anti-patrons très dur (les « profiteurs de crise ») et la dénonciation de dérives quasi-mafieuses – souvent cristallisée dans le discours sur les banques ; un peu plus préservées en Italie, où leurs défenseurs sont nettement plus nombreux, mais où elles apparaissent néanmoins comme largement indifférentes ou égoïstes, souvent accusées d’évasion fiscale.

L’Europe : des institutions européennes (Commission, BCE) dont le rôle est flou, mal compris, mais avec en Espagne comme en Italie une évidence qui efface tout le positif qu’elles pourraient apporter : l’Europe, aujourd’hui « c’est Merkel, qui décide de tout » et qui tente d’abord de sauver les intérêts des pays les plus riches et les plus puissants, en fait de l’Allemagne. La souveraineté est directement menacée…

« Ce gouvernement est proche des pourris et il les tolère et les laisse faire ; il est très proche des intérêts des banques qui apparemment ne gagnent pas assez et ce sont les contribuables qui doivent payer pour leurs erreurs, leurs dettes et leur mauvaise gestion ; il est aussi proche de certains hommes d’affaires, comprenez le MEDEF espagnol, et on voit régulièrement apparaître des entrepreneurs « stars » qui se retrouvent coupables de fraude, qui empochent nos subventions, celles que nous payons tous…, qui licencient à tour de bras, … » - Espagne

« Les mesures prises ne sont pas du tout populaires et vont à l’encontre de la classe moyenne. Cela me serait égal, avec la condition suivante “QUE TOUS LES RESPONSABLES SOIENT EXPROPRIÉS DE LEURS BIENS ET EMPRISONNÉS” LÀ, OUI !!! » - Espagne

« Notre pays est écoeurant (…). Quelle honte, j’ai honte d’être italien (…). Pour l’Europe, nous sommes une blague, notre argent se trouve dans les poches de ces éléments qui se font appeler “politiciens”. Ce sont tous les mêmes, ce sont des voleurs, nous sommes un pays de voleurs. La seule chose qui nous sauverait, ce serait l’honnêteté, un mot inconnu en Italie. Je préfère ne rien ajouter de plus, parce qu’on sait qu’il n’y a pas de liberté de parole dans ce pays. » - Italie

La France, enfin, semble bel et bien appartenir à ce groupe de l’Europe du Sud, en ce que les participants au blog adoptent, en les nuançant ou en les adoucissant (quelquefois à peine) les principaux thèmes développés à l’encontre des institutions en Italie et en Espagne. Avec des critiques très dures envers le gouvernement, pas à la hauteur, ni compétent ni pertinent dans sa politique (fiscalité aberrante, pas de souffle, débats dilatoires…), mais aussi l’opposition jugée inexistante, les syndicats complètement obsolètes et destructeurs de solutions, les citoyens les plus modestes vivant d’assistanat, l’Europe devenue incompréhensible… Les grandes entreprises sont elles aussi mises en cause (indifférentes, voire égoïstes, leur terrain de jeu est le monde et elles négligent la France…) ; mais avec moins de virulence qu’en Espagne, sur des griefs moins précis qu’en Italie.

« Notre pays subit les conséquences de la crise économique et notre gouvernement paraît impuissant ou fainéant ! Je ne pense pas que l’on sauvera l’économie française en augmentant les impôts et en augmentant le nombre de bénéficiaires du RSA ! Le gouvernement ne paraît pas soutenir l’industrie française et ainsi préserver voire créer des emplois » - France

« Que les syndicats arrêtent d’être les fossoyeurs d’entreprises en les asphyxiant par leur refus de toutes propositions et de participer indirectement et directement à l’augmentation du chômage » - France

« L’opposition est contre-productive. Ils pleurent et crient à la moindre décision du gouvernement alors qu’ils auraient pris les mêmes décisions à la place du gouvernement actuel. C’est de la démagogie pure et inutile » - France

« Le salut viendra de la croissance, et la croissance ne peut venir que des entreprises, petites et grandes. Arrêtons de diaboliser les grandes entreprises : ce sont elles qui font travailler les moyennes entreprises, qui font travailler les petites entreprises, qui font travailler les gens » - France

A noter que la France et l’Italie sont, de loin, les deux pays dans lesquels les participants sont les plus ouverts au Partenariat Public-Privé, alors qu’ils y sont plutôt opposés en Allemagne et en Grande-Bretagne (« à chacun son métier », « les privatisations ont été un échec »…) et carrément hostiles en Espagne (« encore une façon de profiter de nous »). Cette ouverture au partenariat est bien sûr assortie en France et en Italie de conditions d’encadrement strictes ; mais elle exprime la volonté d’une posture pragmatique face aux grandes entreprises : utilisons leur puissance et leur efficacité.

« Cela peut être fait mais toujours avec une autorité organisatrice publique(…). Des partenariats peuvent être mis en place aussi lorsque certaines entreprises offrent une technicité que ne possède pas la puissance publique ou encore une capacité d’investissement plus importante » - France

« Il serait juste, pour améliorer réellement le service et réduire les coûts de manière substantielle, que les entreprises gèrent certains des services publics. Contraintes à l’efficacité, les entreprises feraient en sorte de simplifier les processus. En gérant l'assignation des services à travers des appels d’offres, on pourrait obtenir une réduction des coûts » - Italie

Au final, en Europe du Sud, un fond de défiance, avec des nuances bien sûr, plus ou moins sombres. Mais un trait commun : la difficulté à penser collectif, à l’échelle du pays, là où Allemands et Britanniques se montrent soit confiants (dans l’avenir, les uns dans les autres), soit combatifs (individuellement mais aussi ensemble).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !