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Fonctionnaire (littéralement) payé à ne rien faire… Et tous les autres : le point sur ceux qui travaillent ou pas dans la fonction publique française
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Pas à la même enseigne

Alors qu'un fonctionnaire vendéen à la retraite a perçu ces dernières années plusieurs dizaines de milliers d'euros alors qu'il ne travaillait plus, il est important de garder à l'esprit que tous les employés de l'Etat ne sont pas logés à la même enseigne quand il s'agit du temps de travail.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Selon un récent rapport de la chambre régionale des comptes, une commune de Vendée a rémunéré pendant plusieurs mois un directeur des services qui ne travaillait plus, avec notamment 36800 euros injustifiés (lire ici). Si l'on observe le panorama global de la fonction publique française, quels sont les secteurs et les corps de métiers où les employés de l’État travaillent le moins ? A-t-on une idée précise de leur nombre ?

Luc Rouban : Il est effectivement important de bien distinguer les choses. En l'occurrence, ce rapport de la chambre régionale des comptes porte sur la fonction publique territoriale et en particulier sur un emploi de cadre dirigeant qui fait partie des emplois dits fonctionnels, souvent fortement politisés.

Dans la fonction publique territoriale, on constate souvent de très gros problèmes de gestion du personnel, avec des employés recrutés – pas tout le temps, certes – sur des critères politiques, ce qui peut entraîner un certain nombre d'abus et de dérives (primes, situations illégales, rémunération excessives, etc.). Cette gestion est assez régulièrement épinglée par les chambres régionales des comptes. C'est donc bien au niveau local que les zones d'opacité sont les plus nombreuses.

Or, la fonction publique territoriale n'est pas gérée comme la fonction publique de l’État. Chaque collectivité locale dispose d'une totale autonomie de gestion de son personnel, avec de grandes libertés, notamment pour le recrutement. C'est souvent dans ce cadre-là que l'on trouvera des situations abusives (considérations politiques, tolérance envers certaines pratiques, etc.).

Bien sûr, il faut se garder de généraliser ce genre de situations, tout dépend des collectivités locales et des parcours personnels des uns et des autres.

Il faut bien savoir que la fonction publique territoriale est composée aux trois quarts de fonctionnaires de catégorie C (employés, ouvriers), ce qui représente environ 1,35 millions de personnes. Il y a souvent des problèmes de gestion de ces personnels, en partie liés au fait qu'une bonne partie de ces travailleurs sont recrutés sans concours. On constate alors des soucis d'absentéisme, de conflits avec la hiérarchie, etc. Il y a régulièrement une vraie fracture interne dans les collectivités locales entre les cadres et le personnel d'exécution qui travaille sur la voirie ou dans des tâches manuelles. A cela s'ajoute le fait qu'étant donné que ces travailleurs effectuent pour beaucoup des tâches manuelles, ils sont plus souvent soumis aux accidents du travail, aux problèmes de santé, aux arrêts-maladie, etc. L'absentéisme n'est donc pas tout le temps illégitime.

Globalement, le recrutement sans concours induit un recrutement par affinités, pour lutter contre chômage local, pour préserver la paix sociale dans les communes, etc. C'est une forme de distribution d'emplois publics, comme on a pu l'observer dans l'Italie du Sud par exemple.

A l'inverse, y a-t-il des fonctions publiques ou des secteurs où les fonctionnaires travaillent beaucoup plus que la moyenne, voire même trop ?

Luc Rouban : Il y en a plusieurs, et on peut penser ici au secteur de de la recherche. Dès que l'on atteint un certain niveau de grande qualification, tous les cadres et assimilés sont au forfait-jour, ce qui sous-entend des semaines de 50-60 heures.

Contrairement à la fonction publique territoriale, la fonction publique d’État comporte, elle, des personnels qui peuvent être au contraire complètement écrasés de travail avec des salaires médiocres. C'est le cas dans les services actifs (140 000 policiers environ, 310 000 militaires environ), où vous avez des permanences de nuit et des contraintes horaires extrêmement fortes. C'est aussi vrai pour la fonction publique hospitalière (1 million d'agents, dont 113 000 médecins), avec notamment les personnels infirmiers et soignants des hôpitaux publics. Tous ces employés sont soumis à des pressions très fortes de la part de leur hiérarchie et des usagers, avec un niveau d'agression au travail parfois considérable (souligné par les récentes enquêtes de la Dares).

Ces secteurs sont très chargés et subissent en outre des réductions d'effectifs depuis quelques années, avec des conditions de travail dégradées. Ce qui pose d'ailleurs les germes d'un autre problème à l'avenir : maintenir un bon niveau de prestation pour l'avenir, alors que la demande de service public n'a pas baissé (bien au contraire) et que tous les métiers ne sont pas substituables entre eux.

Au-delà de la supposée paresse intrinsèque au statut de fonctionnaire bien souvent évoquée, est-ce que l'absence de tâches claires à effectuer n'est pas également une cause majeure de l'absentéisme de certains fonctionnaires en France aujourd'hui ?

Luc Rouban : D'une manière générale, il y a deux problèmes centraux.

Le premier est lié à l'absence de véritable gestion des ressources humaines. Dans les services de l’État, toutes les carrières sont en réalité déterminées par l'appartenance à un corps. Ces carrières sont donc balisées, mais avec des plafonds de verre arrivé à un certain âge, ce qui peut démotiver le personnel. Dans la fonction publique territoriale, on retrouve aussi ce grave souci de gestion, et l'exemple de ce directeur de services vendéen payé alors qu'il ne travaillait plus l'illustre bien. Au-delà d'une éventuelle malveillance, il y a souvent un mauvais suivi des affaires personnelles.

Il est très important de comprendre que dans la fonction publique, tout ce qui touche à la gestion des ressources humaines est considéré comme une tâche ingrate dont personne ne veut s'occuper, ce qui aboutit souvent à un travail mal fait. C'est particulièrement visible dans l’Éducation nationale (mobilités géographiques, mutations inter-académiques, etc.), alors qu'il y a environ 1 million d'enseignants en France.

Par ailleurs, cette gestion mal maîtrisée par rapport au secteur privé peut évidemment encourager certains employés ayant l'intention d'abuser du système...

Le deuxième problème se situe au niveau des injonctions contradictoires. On demande ainsi à la police de maintenir l'ordre dans certains quartiers, mais de ne surtout pas provoquer d'émeutes. On demande aux enseignants de suivre les programmes officiels et les nouvelles méthodes pédagogiques, mais également d'assurer l'égalité de tous les enfants... Les personnels de la fonction publique se retrouvent donc pris dans des objectifs contradictoires. Cela crée des tensions très fortes au travail car ils ont l'impression d’être complètement dépossédés de leur métier. A terme, cela encourage aussi la démoralisation et l'absentéisme.

>>>> A lire aussi : Temps de travail dans le secteur public : quand le laxisme mène à des semaines de moins de 35 heures

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