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FN : Il faut exclure papa !
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Père/Fille

Philippe Bilger revient sur la polémique suscitée par les propos de Jean-Marie Le Pen sur la tuerie d'Oslo. Le magistrat analyse comment, au FN, les provocations du père brisent les plans de la fille. L'ancien président du parti n'a jamais finalement aimé partagé le pouvoir.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Les rapports de Jean-Marie Le Pen (JMLP) avec sa fille Marine sont passionnants à observer.

Sur le site web du Front National (FN), JMLP, à la suite de l'ignoble tuerie norvégienne, a estimé que "la naïveté" du gouvernement et de la société norvégienne était "plus grave" que le massacre perpétré par Anders Behring Breivik qu'il a qualifié "d'accident" (Le Monde, le JDD, nouvelobs.com, Marianne 2, Le Figaro, Mediapart).

Marine Le Pen (MLP) avait pourtant, le 24 juillet, déclaré ce qui, toutes tendances politiques confondues, tombait sous le sens et était imposé par la morale : "Le FN condamne ces actes barbares et lâches et exprime sa totale solidarité avec le peuple norvégien".

La présidente du FN avait déjà fait exclure un militant dont les propos au sujet de la même tragédie avaient choqué.

Marine Le Pen sur la défensive

L'intervention du président d'honneur n'a pas manqué de produire ses effets. Des accusations d'indécence et d'irresponsabilité ont été formulées à l'encontre de lui-même, de sa fille et du FN. L'UMP et le PS ont pressé MLP de se justifier. C'était inévitable et, j'en suis persuadé, désiré. Les grands partis officiels incapables de faire le ménage en leur sein - sauf quand il s'agit de réprimer les candidatures dissidentes lors des prochaines élections sénatoriales où on nous annonce que le président de la République sera "sans pitié" - ont ainsi pu s'en donner à cœur joie en apparaissant comme des parangons de vertu démocratique en face de ces honteuses absurdités proférées par JMLP.

MLP, dans une attitude évidemment défensive, ne pouvait que tactiquement mettre en cause ceux qui la pressaient de toutes parts et prétendaient lui faire payer ce dont elle n'était pas responsable. Le mal en tout cas était fait qui ruinait la portée de sa condamnation initiale et d'une démarche qui avait pour but de ne pas tristement singulariser le FN.

MLP pourrait faire valoir que sont peu fondés à lui demander des comptes ceux pour lesquels son père et elle, sur le plan historique et politique, constituent un couple indivisible et qui devraient donc se réjouir de voir ainsi validées leurs pires griefs. JMLP se laisse aller à une ignominie et sa fille en est évidemment solidaire !

Mais si cette identité n'existe pas ou plus, si la confusion ne peut plus être faite entre la stratégie suicidaire de l'un et celle plus réfléchie et maîtrisée de l'autre, il convient de s'interroger alors - on peut être aux antipodes du FN et mû par une curiosité en quelque sorte citoyenne - sur l'étrange comportement de JMLP.

Il était facile de prévoir que la distinction - ce hochet - de président d'honneur ne lui suffirait pas. Le pouvoir totalitaire, l'emprise absolue sont incapables de s'accepter limités, relatifs. C'est tout ou rien. Faute de supporter le rien qui exigerait une abstention et un exil entiers, JMLP, à sa manière, continue à revendiquer le tout et sa seule obsession consiste à saboter les initiatives de celle qui l'a remplacé et à l'égard de laquelle il se situe dans un lien d'amour et de dépit à la fois.

Je ne crois pas non plus que les foucades bénignes ou graves de JMLP soient destinées seulement à satisfaire la part des "durs" du FN, qui ne supporteraient pas l'ouverture et la volonté d'assainissement mises en œuvre par MLP, et à les retenir. Il me semble qu'avec le personnage de ce père de moins en moins noble, de plus en plus aigre et envahissant, nous sommes confrontés plus à une histoire intime déréglée qu'à une conduite politique cohérente.

Jean-Marie Le Pen contre la normalité

Il s'agit à l'évidence, d'abord, de se poser en face de sa fille comme un opposant, mais non dans tous les secteurs de la vie du parti. Ce qui agite JMLP, c'est tout ce qui relève de l'éthique, du regard sur l'Histoire d'hier, de l'acceptation ou non des "grandes gueules" et des jusqu'aux boutistes de l'extrême. Il viendra toujours à leur soutien sans se préoccuper de la "ligne", heureux au contraire de la briser, de mettre du sulfureux, de maintenir la provocation, la pensée et la parole comme scandales au sein de "son" FN.

Derrière ces postures qui sont à la fois infantiles - je choque donc je suis - et destructrices, comment ne pas voir que l'ennemie principale, peut-être la seule, est la normalité, un rythme de croisière qui ne mépriserait pas le juste milieu, n'irait pas systématiquement vers le devoir d'inquiéter, l'obligation d'indigner et l'exigence de dissidence ? La normalité, cette aspiration des âmes tièdes et des intelligences paisibles, ce souci d'autrui plus que le culte de soi. Le refus de la normalité l'a conduit vers l'extrême droite plutôt que l'inverse. La normalité : ce qui ordonne un monde alors que JMLP, en même temps qu'il saccage, avec l'affection paternelle à la bouche, les plans de sa fille, n'a pour désir constant que de le perturber. La normalité vous engloutit dans la masse quand JMLP ne s'estime que parce qu'il en sort sans cesse. Au risque de l'échec de sa fille, par contagion, mais qu'importe puisqu'il continue ainsi à dominer en empêchant dorénavant ce qui devrait être. Il n'est plus l'homme de l'action mais celui de la réaction.

Marine, il faut exclure papa !

Billet initialement publié sur le blog de Philippe Bilger. Les intertitres et le gras ont été ajoutés par Atlantico.

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