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Fin du cumul des mandats : mais 
alors pourquoi certains ministres 
se présentent-ils aux législatives ?
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Absurde et méprisant !

Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a précisé et répété que les membres du gouvernement devraient être en conformité avec la règle de non cumul des mandats d'ici fin juin. Alors pourquoi se présenter aux législatives ? Pour la légitimité du vote populaire... C’est oublier l’esprit de notre constitution et la nécessité de la séparation des pouvoirs pour le bon équilibre de notre démocratie.

Michel Faure

Michel Faure

Michel Faure est journaliste, écrivain et traducteur.

 
Il est vice-président du Mouvement des Libéraux de Gauche (MLG).
 
Il est l'auteur, entre autres, de Au coeur de l'Espoir (Robert Laffont / avril 2012), co-écrit avec le Dr Eric Cheysson.

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Il est tout de même bizarre, alors que notre nouveau président nous promet la fin du cumul des mandats, d’observer la curieuse danse de tous ces ministres du gouvernement de Jean-Marc Ayrault qui se présentent aux élections législatives. S’ils sont élus, ils ne siègeront pas à l’Assemblée nationale. Dès lors, pourquoi voter pour eux ? Et s’ils sont battus, ils seront chassés du gouvernement. Pourquoi donc se présentent-ils ?

Tout cela n’est pas nouveau, bien sûr, mais démontre de la part de nos gouvernants une curieuse conception de nos institutions. Quant aux électeurs qui jouent à ce jeu, ils révèlent un étonnant masochisme politique en votant en conscience pour quelqu’un qui ne les représentera pas.

L’argument le plus souvent entendu pour défendre cette pratique - assez baroque - est qu’il s’agit d’une attitude républicaine de la part de ces ministres candidats, et que les membres du gouvernement ont besoin de la légitimité du vote populaire pour mener à bien leur action. C’est oublier deux choses : l’esprit de notre constitution et la nécessité de la séparation des pouvoirs pour le bon équilibre de notre démocratie.

En France, un ministre ne peut être parlementaire, et un parlementaire ne peut être ministre, au nom de la séparation des pouvoirs entre exécutif et législatif. La seule personne au sein de l’exécutif qui détient la légitimité populaire face aux députés, eux aussi élus du peuple, est le président de la République. Tel est l’esprit de la Ve République. Les membres du gouvernement ne sont pas élus et n’ont pas besoin de l’être. Ils ont deux sources de légitimité : ils sont désignés par le président élu, et le gouvernement pour rester en fonction doit garder la confiance du Parlement. Qu’un ministre cherche une autre source, plus directe, de légitimité en se présentant à un mandat parlementaire qu’il ne compte pas exercer est une posture absurde, et surtout méprisante à l’égard de l’honneur que constitue une élection victorieuse.

Prétendre à siéger à l’Assemblée nationale n’est pas une frivolité, une ambition à prendre à la légère. Faire la loi, tenir responsable le gouvernement de la bonne exécution de celle-ci, voter l’usage que l’on fera de l’argent des contribuables à l’occasion du budget, constituent des fonctions essentielles de la démocratie. Désirer les mettre en œuvre est honorable. S’en détourner alors que l’on a été élu est scandaleux. Conquérir le pouvoir législatif, tout en ne voulant pas l’exercer, ce n’est pas faire preuve d’esprit républicain, comme on le dit trop souvent, c’est faire injure aux institutions de la République.

Admettons cependant que les intentions de tous ces ministres candidats soient pures, qu’ils considèrent qu’ils ne peuvent vraiment bien gouverner qu’avec la légitimité que leur accorde une élection. Qu’ils nous proposent alors une nouvelle république, la constitution d’un régime parlementaire, avec un chef de l’État désigné indirectement, sans pouvoir ni autorité, genre Reine des Belges, et un chef de gouvernement élu du peuple, chef du groupe majoritaire du Parlement, entouré de ses ministres élus, et menant sa politique face à une opposition d’élus. Ce système brouille totalement la frontière entre exécutif et législatif, certes, puisque le premier est issu du second, mais le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, notamment, font la preuve chaque jour qu’il fonctionne plutôt bien.

Peut-être sommes-nous en France encore un peu trop bonapartistes, sans doute détestons-nous toujours, à l’instar de Charles de Gaulle, « le régime des partis » qu’incarne le parlementarisme. Nous voilà donc condamnés à rester avec notre constitution, aussi imparfaite et bancale soit-elle, qui emprunte au parlementarisme certaines de ses dispositions, et au présidentialisme, d’autres. Au fond de nous-mêmes, c’est probablement le présidentialisme que nous préférons. Nous voulons un homme fort, ou une dame de fer, bref un chef, un leader charismatique qui nous décoiffe et nous conduit vers l’avenir. Sauf qu’aujourd’hui, nous en sommes un peu revenus. L’heure est plutôt à la « normalité », un peu morne, mais honnête et besogneuse.


Pourquoi, alors, ne pas en profiter de ce court instant de sagesse pour opter enfin pour une lecture plus « normale », rigoureuse et austère de notre actuelle constitution. Pourquoi ne pas nommer un gouvernement dans lequel la compétence des membres serait le principal critère, même si l’affinité politique avec le chef de l’État ne doit pas être exclue ? Pourquoi pas un gouvernement d’administrateurs sérieux, qui se contenteraient de gouverner sans chercher ailleurs une légitimité populaire dont ils n’ont pas besoin, puisque celle-ci leur est déjà indirectement et doublement octroyée par la confiance du président et celle de l’Assemblée ?

C’est d’autant plus le moment d’adopter cette lecture « normale » de notre constitution que la fin du cumul des mandats, déjà partiellement aménagée et qui devrait l’être totalement bientôt en vertu de la promesse de François Hollande, sous-tend la logique d’une meilleure séparation des pouvoirs. Cette mesure, en effet, n’est pas seulement d’ordre pratique, mais aussi institutionnelle. Le non-cumul, c’est certes la fin de nombreux conflits d’intérêts et l’espérance de l’agonie du clientélisme, mais c’est surtout l’aspiration à mettre chacun à sa place, dans son institution, là où il doit se tenir et bien travailler. C’est l’idée qu’un gouvernement gouverne, et que les législateurs légifèrent. Cela exige des compromis et du respect. Lequel suppose qu’un ministre, s’il veut un siège au Parlement, ambition honorable, doit naturellement oublier son maroquin et occuper son siège s’il a le bonheur et l’insigne honneur d’être élu par ses électeurs.

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