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Fête du travail : Macron/ Le Pen, ce que chacun propose sur le dialogue social, le rôle des syndicats et la réforme de la Sécu
©PATRICK KOVARIK / AFP

1er mai

Que ce soit la posture d'Emmanuel Macron vis-à-vis du paritarisme ou bien celle de Marine Le Pen, les propositions des deux candidats auront un effet en profondeur sur le paysage social français.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : A plusieurs reprises, Emmanuel Macron a mis en avant sa volonté d'en finir avec le paritarisme à la française. Quelles en seraient les conséquences ? Quelle est son ambition à ce sujet ?

Eric Verhaeghe : Il n'est pas du tout sûr que quelqu'un s'aperçoive du moindre changement dû à une suppression du paritarisme de gestion. C'est d'ailleurs probablement pour cela que Macron, à juste titre d'ailleurs, en propose la disparition. Qui, en France, sait que les retraites complémentaires évoluent selon des décisions prises par les partenaires sociaux et non par l'Etat ? En réalité, cela n'intéresse personne et l'idée de supprimer le paritarisme de gestion est, en quelque sorte, frappée au coin du bon sens. Concrètement, cette idée se traduirait par une étatisation de l'assurance-chômage, de l'assurance maladie et de l'assurance retraite, au sens large. Les régimes complémentaires de retraite seraient absorbés par le régime général, qui lui-même perdrait probablement son conseil d'administration paritaire et deviendrait un établissement public ouvertement piloté par la direction de la Sécurité sociale.

On notera toutefois qu'Emmanuel Macron n'est pas allé au bout de ses explications sur le sujet et que nous sommes donc réduits à un certain nombre de conjectures sur le sujet. On le regrettera, car on peut en déduire que Macron ne met pas toutes les chances de son côté pour susciter l'adhésion à ses idées. 

Philippe Crevel : Emmanuel Macron entend étatiser les régimes sociaux. La création de l’assurance-chômage universel et qui ne serait plus financée par les cotisations sociales, l’instauration d’un régime unique de retraite, tout comme sa vision de l’assurance-maladie, peuvent aboutir à une régression du paritarisme. Il s’inscrit dans la lourde tendance qui a cours depuis 1995, année de la réforme Juppé qui s’est traduite par l’institutionnalisation de la loi de financement de la Sécurité sociale et la montée en puissance de la CSG en lieu et place des cotisations sociales d’assurance-maladie. Dans les faits, l’intrusion de l’Etat dans la gestion paritaire date de plus longtemps. Nous vivons dans le pays de Louis XIV, de Napoléon et du Général de Gaulle, pays dans lequel tout doit passer, un peu trop à mon goût, à un moment ou un autre par l’Etat.

Cette incapacité récurrente à organiser le dialogue social est également liée à notre histoire, à la suppression des corps intermédiaires durant la Révolution. La loi Chapelier de 1791, en interdisant la création de syndicats de salariés et de mutuelles, ainsi qu’en interdisant le droit de grèves, a bloqué les relations sociales pour un siècle. Il n’y a pas eu de lieu de dialogue comme en Allemagne ou au Royaume-Uni. En outre, le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, qui avait décidé la suppression des corporations, n’a pas favorisé l’émergence d’un système de protection sociale. Il faudra attendre le 25 mai 1864, sous le Second Empire, afin que le délit de coalition et de grève soit supprimé par la loi Ollivier. Cette loi met un terme au délit de constitution de syndicats tout en en maintenant l’interdiction. La légalisation des syndicats professionnels n’intervient qu’avec la loi du 21 mars 1884. Ce combat pour la reconnaissance des syndicats a laissé son empreinte dans l’histoire sociale de la France. C’est l’exécutif et le législatif qui ont autorisé les syndicats. Etant divisés, c’est encore l’Etat qui, de manière implicite, joue l’arbitre et le maître du jeu. Par ailleurs, les partenaires sociaux ont souvent préféré que le mauvais rôle soit pris par l’Etat en ce qui concerne les augmentations des cotisations ou les diminutions des prestations. 

Compte tenu de l’importance des dépenses sociales dans notre pays - 34 % du PIB - elles sont des leviers clefs de l’action publique. Les gouvernements, privés de l’arme budgétaire, utilisent les prestations et cotisations sociales pour tenter d’infléchir le cours de l’économie française, pour tenter d’améliorer le sort des ménages….

Enfin, la technicité croissante du droit social et du droit du travail, ainsi que la problématique du financement de la protection sociale en période de crise, ont contribué à l’étatisation des régimes. Aujourd’hui, l’Etat contrôle le régime de base de l’assurance-maladie et celui des retraites. La caisse nationale d’allocation familiale est également très dépendante de la politique décidée par l’exécutif. Les complémentaires "retraite" et l’assurance chômage sont complètement dans le champ de la gestion paritaire. La caisse en charges des accidents du travail est moins exposée et plus indépendante.

Emmanuel Macron poursuit deux objectifs : diminuer les cotisations sociales en effectuant un transfert sur la CSG et prendre le contrôle de pans importants de la protection sociale. Il veut ainsi alléger le coût du travail et donner à l’Etat des moyens de pression sur l’organisation de la protection sociale. Le Ministère des Affaires sociales pousse depuis des années en ce sens, aidé en cela par les tergiversations des partenaires sociaux.

Comment pourraient réagir les syndicats à une telle volonté ?

Eric Verhaeghe : Les syndicats n'ont pas caché leur extrême hostilité à ce projet pour des raisons systémiques. Le paritarisme de gestion permet en effet aux syndicats d'occuper des dizaines de milliers de militants, de leur donner des mandats ronflants et accessoirement de se financer. Tout le monde sait, notamment, que les organismes paritaires de formation professionnelle ou de protection sociale complémentaire sont de grandes pompes à finances pour les syndicats. Ces derniers ne se laisseront donc pas faire, c'est pourquoi on aimerait plus de détails sur le programme d'Emmanuel Macron. On aimerait savoir comment il va s'y prendre. Parce qu'en l'état, le programme est flou... et Macron devra une partie de son élection aux syndicats. Il devra donc tôt ou tard renvoyer l'ascenseur. Du coup, la mise en oeuvre de la promesse paraît douteuse. 

Philippe Crevel : Une remise en cause du paritarisme sera mal perçue par les syndicats qui ont, en outre, pris ces dernières années, leurs responsabilités pour équilibrer l’AGIRC et l’ARCCO, et tenter de réduire le déficit de l’assurance-chômage. Pour les régimes complémentaires, ils ont même accepté de différer d’un an l’âge de la retraite à partir duquel l’assuré pourra toucher sa retraite à taux plein. L’AGIRC et l’ARRCO disposent de réserves qui leur permettent de lisser les effets des crises et de la démographie. Cela n’existe pas à l’assurance-maladie ou au sein du régime de base de l’assurance-vieillesse.

L’attrition du paritarisme poussera les syndicats à devenir de simples forces de contestation et de blocage. N’étant plus aux commandes de la protection sociale, ils seront tentés par l’opposition systématique avec une surenchère d’autant plus importante que la concurrence entre eux ne fera que s’accentuer.

Cette régression nous éloignera un peu plus du modèle allemand qui repose sur la cogestion. Elle nous rapprochera des Britanniques, voire des Américains. Nous passons d’un système d’assurance à un système de solidarité nationale. C’est une philosophie différente qui ne constitue en aucun cas un gage d’efficacité.

Marine Le Pen, elle, entend instaurer une véritable liberté syndicale par la suppression du monopole de la représentativité. Mais quelles sont les limites à davantage de paritarisme ?

Eric Verhaeghe : Pour le coup, la suppression du monopole de représentativité syndicale ne signifie pas plus de paritarisme. Disons même que les deux propositions sont de nature très différente. On peut très bien supprimer le paritarisme et le monopole syndical en même temps, c'est-à-dire ouvrir à tous les salariés d'une entreprise la possibilité de monter des listes aux élections professionnelles sans passer par une étiquette syndicale "représentative". C'est cela que signifie que le monopole syndical au premier tour des élections dans une entreprise.

En l'état actuel du droit, on ne peut monter une liste à une élection en entreprise dès le premier tour sans passer par l'étiquette d'un syndicat représentatif au niveau national. L'alternative n'est possible qu'au second tour, lorsque le premier n'a pas été fructueux. De ce point de vue, il ne faut donc pas opposer le programme de Macron et de Le Pen, si ce n'est que le programme de Marine Le Pen est plus étatiste que celui de Macron. 

Philippe Crevel : La France souffre, non pas de trop de syndicalisme, mais de pas assez de syndicalisme. L’Allemagne, les pays d’Europe du Nord ont des syndicats forts et représentatifs. La loi ne peut pas fixer toutes les règles de la vie sociale, de la vie du travail. C’est au niveau des branches, au niveau des entreprises que certaines décisions doivent être prises.

Les règles de représentativité ont profondément évolué ces dernières années. Les dernières ont été fixées par la loi du 18 décembre 2014 et sont entrées en vigueur au 1er janvier 2017.

La représentativité des organisations syndicales est ainsi appréciée selon les critères cumulatifs suivants :

· Le respect des valeurs républicaines ;

· L'indépendance ;

· La transparence financière ;

· Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ;

· L'audience ;

· L'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ;

· Les effectifs d'adhérents et les cotisations. 

Au niveau national, pour être représentative, une organisation doit :

· avoir obtenu 8% des suffrages résultant de l'addition d'une part des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou à défaut des délégués du personnel, et d'autre part des suffrages exprimés au scrutin concernant les entreprises de moins de onze salariés ;

· être représentative à la fois dans des branches de l'industrie, de la construction, du commerce et des services. 

Le Front national veut mettre un terme au monopole des syndicats dits représentatifs mais ce monopole n’existe plus. Il a une bataille de retard en la matière. Favoriser l’émergence de syndicats d’entreprise, de syndicats maison est évidemment le souhait de Marine Le Pen mais les risques seraient alors d’avoir des syndicats complaisants ou des syndicats extrémistes. Le dialogue social n’y gagnerait pas en sérénité et en responsabilité.

Comment expliquer un tel ancrage du paritarisme dans notre société ? Que risquons-nous de perdre à y renoncer ?

Eric Verhaeghe : Le paritarisme de gestion est la clé de voûte d'un système destiné à occuper les syndicalistes les plus brillants ou les plus virulents en dehors de l'entreprise. Le monopole syndical vise à empêcher la constitution de listes incontrôlables dans les élections professionnelles.

Dans les deux cas, les propositions auront un effet en profondeur sur le paysage social français. La suppression du paritarisme de gestion renverra tôt ou tard l'action syndicale dans les murs des entreprises et obligera le patronat français à modifier ses pratiques managériales. On demande à voir. La suppression du monopole syndical aura les mêmes effets. Elle permettra l'émergence de listes conflictuelles dans les entreprises, et elle tendra les relations sociales internes. Personnellement, j'y suis favorable dans la mesure où ce système récompensera les employeurs qui investissent dans les relations humaines et pénalisera les autres. Mais il faut être conscient des conséquences à long terme. 

Philippe Crevel : Le paritarisme est accusé, bien à tort, de tous les maux ; pourtant il est au cœur de notre vie sociale. En moyenne, chaque année, une dizaine d’accords nationaux interprofessionnels sont signés dans les domaines correspondant au paritarisme dit de gestion : la prévoyance, les retraites complémentaires ou encore l’assurance-chômage. Entre 950 et 1 500 accords de branche sont conclus chaque année.  Pour les accords d’entreprise, c’est plus de 35 000. Contrairement à quelques idées reçues, il y a de plus en plus d’accords signés et bien souvent avec la signature de tous les syndicats.

Le paritarisme ne s’arrête pas à la Sécurité sociale. Il est présent au sein de la gestion des caisses de retraite complémentaire, des complémentaires de santé, des complémentaires "prévoyance". Il est également présent au sein de la gestion des institutions de prévoyance. L’épargne salariale est aussi une expression du paritarisme. Tous les jours ou presque, nous avons à faire au paritarisme. Un quart des Français sont des assurés du groupe de protection sociale AG2R LA MONDIALE, un groupe paritaire et performant.  

Réduire le paritarisme serait une erreur. Il faudrait, au contraire, sacraliser le domaine dévolu à la négociation sociale. A côté du domaine de la loi et du domaine du règlement (articles 34 et 37 de la Constitution), il nous faut un domaine social constitutionnellement protégé. L’Etat ne pourrait pas intervenir, sauf en cas de force majeure et de manière motivée. Il est fréquemment répété que les syndicats français ne peuvent pas être comparés à leurs homologues allemands mais ce n’est pas en restant campés sur de vieilles lignes que cela changera. Ce n’est pas en infantilisant les acteurs sociaux que ceux-ci atteindront l’âge de la majorité.

Le paritarisme peut, au contraire de ce que souhaitent Emmanuel Macron ou Marine Le Pen, étendre le champ du paritarisme. La formation, le logement, la dépendance, la prévention en matière de santé sont des champs d’expansion possibles. ll faudrait, en effet, sans nul doute, clarifier les compétences en matière de formation où de nombreux acteurs interviennent. L’Etat, les régions devraient se désengager et laisser les groupes de protection sociale s’occuper de la formation qui devrait être obligatoire. L’individualisation des droits formation, avec la création d’un compte spécifique, constitue un net progrès mais il faut aller jusqu’au bout de la logique. En matière de logement, un peu moins d’Etat, un peu plus de gestion paritaire pourrait être également une piste. De même en matière de santé, la Sécurité sociale peine à développer des actions de prévention. Les acteurs sociaux pourraient prendre des initiatives en la matière.

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