Fessenheim : l’exorbitante facture du forfait, l’ampleur du mensonge<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photographie prise de la centrale nucléaire de Fessenheim, dans l'est de la France, en mars 2020.
Une photographie prise de la centrale nucléaire de Fessenheim, dans l'est de la France, en mars 2020.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Energie

La facture du forfait Fessenheim, à établir en 2041, sera comprise entre 20 et 29 milliards d’euros, auxquels s’ajoutera un énorme préjudice fait à EDF estimé de 14 à 28 milliards d’euros.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Un article publié chez Boulevard Voltaire, le 10 février 2020, déclinais l’estimation du coût de remplacement de la production de Fessenheim, établie par une communauté professionnelle parmi les plus habilitées à y procéder. Considérant la perte d’exploitation de la centrale jusqu’à l’âge 60 ans qu’aura son homologue de Beaver Valley, aux USA, lorsqu’on larrêtera, cette estimation était parvenue au chiffre de 10 milliards d’euros, non compris le dédommagement des droits de tirage des partenaires allemands et suisses d’EDF sur la production des deux tranches, à hauteur de 17 % pour les premiers, de 15 % pour les seconds.

On sait aujourd’hui comment ce dédommagement étalé sur une période se terminant en 2041 a été contractualisé par l’État français, au bénéfice d’EDF, de l’allemand EnBW et du suisse CNP, indistinctement ; le premier étant par ailleurs gratifié de 490 millions d'euros supplémentaires destinés à couvrir ses dépenses de reconversion des personnels et de surcroit de maintenance.

Aux termes de cet accord, en 2041 l'État français sera tenu de verser aux trois partenaires ci-dessus une soulte calculée en fonction de l'évolution des prix de marché et de la production des autres réacteurs de 900 mégawatts. À partir de l’estimation « fuitée » de cette soulte dont s’est emparé un article du Canard enchaîné, le 5 avril 2017, il n’est guère difficile de déduire la formule de calcul ci-après de l’indemnisation annuelle, où P est le prix marché (spot) moyen du MWh de l’année n, les 12 millions de MWh de la production annuelle des deux tranches sont écrit 12.10 E6 et le chiffre de 23,1 représente la probable estimation du coût du MWh sortie centrale, au moment de l’arrêt :

Indemnisation de l’année n = 12.10 E6 x [P 23,1]

Ladite
soulte sera donc obtenue par intégration mathématique de telles évaluations annuelles, jusqu’en 2041. Un État français plus à un parjure près en a vu bien d’autres et 2041 est encore loin, ont sans doute pensé les héritiers de ceux qui instrumentalisent nos institutions depuis tant d’années. Après tout, leurs contribuables d’électeurs ne sont-ils pas pétris de la foi en un avenir dont la prospérité est suspendue à lavènement du tout renouvelable ?

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Eh bien, donnons à leurs compatriotes une petite idée de la probable ardoise qu’ils auront à acquitter pour la seule année 2022, avec un cours moyen du MWh de l’ordre de 200 euros : 12.10 E6 x [200 – 23,1] = 2,1 E9, soit 2 milliards d’euros. Et attirons leur attention sur le fait que, maintenu sur les 20 ans nous séparant de 2041, un tel régime d’indemnisations annuelles agrège pour leurs enfants la bagatelle de 40 milliards d’euros de dettes ; en tout cas, pas moins de 20 milliards d’euros, si l’on en croit l’oppressante conjoncture géopolitique actuelle. Bien entendu, EDF n’a pas la moindre chance de voir la couleur des 2/3 promis de cette somme.

Nos descendants auront donc bel et bien à payer un dédommagement incompressible de 7 à 14 milliards d’euros à EnBW et à CNP et, en nature, un bien plus lourd non-dédommagement d’EDF. Hélas, ce n’est pas tout : aux 10 milliards d’euros rappelés au début, venant se cumuler à cette ardoise, il faudra également ajouter la réactualisation de leur estimation établie comme suit : par hypothèse, les 12 TWh annuels perdus sont produits pour moitié par des éoliennes maritimes et terrestres, au coût moyen de 150 euros/MWh (220 pour l’off-shore et 80 pour le terrestre), et, pour moitié, par de l’électricité provenant de centrales à cycle combiné au gaz, soit 110 euros/MWh. On peut donc raisonnablement prévoir que le caractère durable de l’actuelle flambée du prix du gaz se traduira par une note supplémentaire d’au moins 3 à 5 milliards d’euros, sans pour autant rendre l’éolien plus rentable, bien au contraire.

La facture du forfait Fessenheim, à établir en 2041, sera donc comprise entre 20 et 29 milliards d’euros sonnants et trébuchants, auxquels s’ajoutera un énorme préjudice fait à EDF estimé de 14 à 28 milliards d’euros.

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Pour couronner le tout, une efficace communication publique met aujourd’hui le mensonge suivant au service du cynisme venant d’être caractérisé : les deux réacteurs de Fessenheim seraient réputés avoir été fermés respectivement les 22 février et 30 juin 2020, suite à la déclaration d’arrêt définitif émise par EDF le 27 septembre 2019 et à la demande d’abrogation d’exploiter émise le 30 septembre. Le Code de l’énergie et la règlementation de l’ASN stipulent pourtant clairement que, seules, deux entités peuvent demander l’arrêt d’une centrale nucléaire : son exploitant, pour des raisons lui étant propres, et l’ASN, pour des raisons de sûreté ; le gouvernement étant dépourvu d’un tel pouvoir.

Alors, comment ce dernier s’y est-il pris pour triompher de son bras de fer – car il y a eu bras de fer – avec une direction d’EDF farouchement opposée à la fermeture du site ? Tout bonnement en mettant dans la balance la mirobolante procédure d’indemnisation décrite ci-avant, pardi ! Et, pour faire bonne mesure, l’actionnaire principal de l’opérateur historique n’a pas hésité à lui savonner la planche afin de l’empêcher de procéder aux travaux d’amélioration requis pour un prolongement décennal de l’exploitation des deux tranches, lors de la révision prévue à cet effet, ce que l’ASN n’aurait eu d’autre choix que de sanctionner définitivement.

Ainsi, de turpitude électorale en turpitude électorale, une défiance à l’égard de la parole de l’État s’installe-t-elle toujours plus solidement dans la conscience collective, portant en germe des périls sociaux qu’on croyait définitivement révolus et dont la plus redoutable manifestation est l’abstention croissante des électeurs. Nos compatriotes doivent plus que jamais avoir conscience que cet État n’est pas une abstraction désincarnée et qu’ils doivent la démonétisation de sa parole à tous ceux qui, depuis 40 ans, sont censés l’avoir servi et, au lieu de cela, l’ont peu ou prou trahi par intérêt, par clientélisme partisan et/ou par idéologie.

Il y a donc urgence à ce que les Français mettent un terme au temps de l’impunité de ces coupables, en commençant par substituer à une veulerie et à une naïveté déjà trop anciennes une détermination sans faille à leur tordre le bras. En l’espèce, ils doivent rapidement trouver le moyen de forcer ceux qui sont aux affaires à redémarrer Fessenheim ou à aménager dès maintenant le site, en vue de son accueil d’un ou plusieurs SMR.

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