« Femmes dirigeantes, Comment elles ont osé » : Valérie Pécresse, l’amour du risque<!-- --> | Atlantico.fr
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Valérie Pécresse, lors de sa victoire au Congrès des Républicains.
Valérie Pécresse, lors de sa victoire au Congrès des Républicains.
©Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Bonnes feuilles

Marie-Virginie Klein publie « Femmes dirigeantes, Comment elles ont osé » aux éditions Plon. La place des femmes progresse dans la société, mais la plupart reste cantonnée à un rôle de second plan. Pourquoi ? Quels sont les « secrets de fabrique » de celles qui, en politique, dans les affaires ou les médias, ont réussi à se hisser sur la 1e marche ? En s'appuyant sur leurs témoignages, ce livre explore les aspirations des femmes, au lendemain de la crise. Extrait 2/2.

Marie-Virginie Klein

Marie-Virginie Klein

Marie-Virginie Klein est vice-présidente de Willa, une association qui accompagne depuis 15 ans les femmes entrepreneures. Elle est aussi directrice générale adjointe du cabinet de conseil aux dirigeants d'entreprise Tilder. Elle compte, parmi ses clientes, de nombreuses dirigeantes. Experte en communication politique, elle conseille également des personnalités politiques de premier plan. Marie-Virginie Klein intervient régulièrement dans des émissions d'analyse et de décryptage de l'actualité sur BFM TV, BFM Business, CNews, LCI, Public Sénat, etc.

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La troisième prise de risque structurante pour son parcours politique a été sa décision de se lancer, envers contre tout, à la conquête de la région Île-de-France. Une région qui était dans les bastions du Parti socialiste depuis dix-sept ans. Avec 60% d’électeurs identifiés de gauche, elle était classée comme imprenable pour la droite. Perdue par Édouard Balladur en 1998, elle était restée entre les mains du socialiste Jean-Paul Huchon jusqu’en 2015. Jean-François Copé n’avait pas réussi à la gagner en 2004. Même Nicolas Sarkozy avait renoncé à tenter sa chance.

«On me disait : “Mais pourquoi vas-tu t’embêter avec cette région?” Je voulais y aller parce que je voulais un beau combat. Quand j’ai été élue députée des Yvelines, à l’époque les sondages me donnaient perdante, mais j’ai gagné. Et personne ne retient que j’ai gagné contre le général Morillon, une grande figure envoyée par François Bayrou. »

Un peu à l’image d’une compétitrice dopée par le plaisir que lui apporte le jeu, elle déclare :

«Cette fois-ci, je voulais un combat qu’aucun homme n’a jamais remporté et qu’aucun homme n’était capable de remporter. Je voulais montrer que j’étais capable de réussir ce qu’aucun autre n’avait réussi à faire. Quel homme de droite aurait gagné la région Île-de-France ? »

Valérie Pécresse, elle, l’a fait à deux reprises, en 2015 et en 2021. Elle y est parvenue en ramenant à elle le centre gauche.

« Je suis une femme de droite assumée, mais je suis ouverte à des thématiques qui ne sont pas celles de la droite classique. Oui, le régalien est pour moi une jambe droite très forte, sans doute plus puissante que celle de certains hommes. Je suis dans la région où il y a le plus de crimes, le plus de séparatisme, le plus de terrorisme et de ghettos urbains et où le besoin d’ordre est par conséquent très fort. J’ai installé le conseil régional à Saint-Ouen, à 300 mètres d’une zone de reconquête républicaine, carrefour européen du deal et de la fraude. Je dois aussi avoir une jambe gauche très forte. Une jambe gauche qui s’ouvre à des sujets de modernité, de société – l’écologie, le télétravail, l’intégration, l’éducation, l’égalité femmes-hommes, le social “efficace” : l’égalité des chances, la lutte contre les fractures. »

Valérie Pécresse poursuit sa comparaison assumée entre les manières féminines et masculines de diriger :

«Les femmes peuvent être beaucoup plus courageuses que les hommes dans leur exercice du pouvoir. Que l’on regarde Margaret Thatcher ou Angela Merkel, les exemples de pouvoir au féminin sont plutôt réussis. Quand on arrive à ce niveau de responsabilités, la sélection élective a été telle que forcément les femmes marquent leur fonction. D’ailleurs, on dit souvent que, pendant la crise du Covid-19, les femmes Premières ministres ont été généralement meilleures. Parce qu’une femme qui a vraiment réussi son parcours initiatique, qui a franchi toutes les étapes, ne peut pas manager de la même façon que les hommes. »

Au sujet du leadership, justement, Valérie Pécresse possède une méthode bien à elle pour emmener ses troupes. On pourrait dire qu’elle exerce une forme de management par la maïeutique. Pour convaincre ses collaborateurs, elle tente de les faire accoucher eux-mêmes de l’idée qu’elle pressent, elle, comme étant la bonne. Une forme de méthode de conviction par l’engagement de chacun qui pourrait, selon elle, s’apparenter à une manière féminine d’exercer le pouvoir.

«La meilleure façon de convaincre, c’est de laisser penser que l’idée vient des autres. Si l’idée vient de vous uniquement, vous aurez du mal à rassembler autour d’elle. Si vous arrivez à faire en sorte que l’idée vienne des autres, c’est-à-dire qu’ils aboutissent d’eux-mêmes à l’idée que vous souhaitez défendre, là vous avez gagné. Parce que vous emmenez les gens à choisir eux-mêmes. C’est cela le plus difficile : faire en sorte de convaincre vos interlocuteurs d’emprunter par eux-mêmes le chemin qui vous semble être le meilleur. Il faut qu’ils pensent que l’initiative vient d’eux. Le vrai talent d’un politique, c’est bien celui-là : parvenir à entraîner derrière lui, à convaincre à tel point que ceux qui sont en face pensent que c’est leur propre idée. C’est difficile à réaliser, mais cela fonctionne. Il faut écouter, influencer en laissant germer les idées. Souvent même, votre idée de départ s’améliore, car il y a beaucoup plus de bonnes idées dans plusieurs têtes que dans une seule. C’est exactement ce que nous sommes parvenus à faire lors de la réforme de l’autonomie de l’Université. Nous voulions au départ en réformer deux ou trois pour entraîner ensuite les autres. Mais en entendant cela, un très grand nombre d’universités nous ont dit vouloir elles aussi devenir autonomes dès le départ. Finalement, quatre-vingt-cinq universités ont demandé leur autonomie. Même Nicolas Sarkozy en était étonné. Il pensait que nous n’en réformerions qu’une dizaine. Nous en avons réformé près d’une centaine. »

Puis elle ajoute en souriant :

«Si je vous dis que je suis une sage-femme, on va encore me dire que je fais du stéréotype de genre. Mais oui, le vrai leadership au féminin, c’est de réussir à faire porter ses idées par des ambassadeurs qui sont eux-mêmes des relais de terrain. Il s’agit bien de la forme la plus aboutie de la conviction. »

Est-ce pour cette raison qu’on ne distingue pas forcément les traits saillants de sa personnalité et de sa façon d’être au pouvoir? L’aura de mystère qui l’enveloppe est-elle le fruit de son habileté à s’effacer pour laisser germer ses idées dans les esprits des autres et les convaincre indirectement? Quand je lui demande si cela ne lui pose pas de difficultés de se laisser ainsi désapproprier de ses idées, elle me répond, très pragmatique :

«Ça n’est pas très grave de savoir qui a eu l’idée. L’important, c’est de la mettre en œuvre. Il ne faut pas avoir d’ego d’auteur. Vouloir revendiquer la paternité d’une idée est un réflexe un peu masculin. Une bonne idée a toujours cent pères, c’est la défaite qui est orpheline. »

En effet, Valérie Pécresse n’est pas connue pour ses coups de sang, ses colères ou ses gaffes qui, dans l’imaginaire collectif, peuvent contribuer à forger une personnalité publique. Avec son caractère constant, égal, son management bienveillant, elle ne donne pas de prises aux médias pour lui construire une image nette ou l’enfermer dans une case :

«Mon management est différent de celui d’un homme. D’abord, je ne perds jamais mon calme. Parce qu’une femme qui perd son calme est toujours suspectée d’être faible. C’est mon tempérament. Je pense d’ailleurs que, pour un homme comme pour une femme, être colérique constitue une faiblesse, même si en général on ne le reproche qu’aux femmes. Je suis assez équanime. Il peut m’arriver de m’énerver, mais alors il faut vraiment venir me chercher ou me trouver dans un état de très grande fatigue. Je peux être énergique, mais je ne perds jamais mon sang-froid. »

Nous l’aurons tous compris, Valérie Pécresse est extrêmement engagée sur les questions d’égalité femmes-hommes et de représentation des femmes dans les lieux de pouvoir. Cet engagement trouve racine dans son expérience personnelle : « Je fais de la politique parce qu’on m’a refusé le job de mes rêves alors que j’étais enceinte. » Valérie Pécresse nourrit depuis toujours une très grande passion pour le cinéma. Lorsqu’elle était au Conseil d’État, elle était rapporteure de la sous-section en charge de l’audiovisuel. Après quatre années de bons et loyaux services, on lui propose de prendre le poste de numéro deux du CNC, le Centre national de la cinématographie, « le job de ses rêves », comme elle le dit. Son entretien avec le directeur du CNC de l’époque se déroule à la perfection : «Vous êtes LA femme qu’il me faut, ce travail est fait pour vous, je veux que vous deveniez ma numéro deux. » Honorée, Valérie Pécresse tient tout de même à se montrer parfaitement honnête.

« Je lui dis : “Il y a juste une chose dont j’aimerais vous faire part. Je suis enceinte de trois mois. Mais ne vous inquiétez pas, je suis une grande travailleuse, je resterai jusqu’au bout, je ne prendrai qu’un congé maternité très court, etc.” À ce moment-là, mon interlocuteur se met à transpirer à grosses gouttes. L’entretien se termine. Je n’ai plus jamais été rappelée pour ce poste, jamais. Et on n’a même pas pris le soin de me dire qu’on ne me choisirait pas. Je n’en ai juste plus jamais entendu parler. La corrélation est assez rapide à faire. »

L’expérience se renouvellera quelques semaines après, quand le secrétaire général du Conseil d’État l’appellera pour lui proposer de devenir secrétaire générale adjointe du Conseil d’État. Poste qui lui sera refusé cette fois-ci haut et fort, toujours au motif qu’elle est enceinte. Heureusement, dix jours plus tard, le président de la section du contentieux de l’époque la convoque et lui offre de devenir commissaire du gouvernement. Elle lui annonce là aussi qu’elle est enceinte, de quatre mois cette fois-ci. Michel Gentot lui répond : «Et alors, tu ne vas pas laisser ta grossesse changer quelque chose à ta carrière ? » Hommage lui soit rendu.

Son principal regret? Ne pas avoir osé plus tôt être qui elle était vraiment et s’imposer comme elle aurait aimé le faire face à ce type de situations. Valérie Pécresse conclut l’entretien, non sans une pointe d’ironie :

« Je ne ferais pas de politique aujourd’hui si on ne m’avait pas refusé le job de mes rêves parce que j’étais enceinte… En plus, c’était un homme de gauche qui me l’a refusé. Cela confirme qu’ils auraient mieux fait de me le donner! ». 

A lire aussi : « Femmes dirigeantes, Comment elles ont osé » : Anne Lauvergeon, une femme d’énergie

Extrait du livre de Marie-Virginie Klein, « Femmes dirigeantes, Comment elles ont osé », publié aux éditions Plon

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