Fausse sortie de l’armée américaine en Afghanistan face aux talibans, l’un des boulets du mandat de Barack Obama <!-- --> | Atlantico.fr
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Des forces spéciales de l'armée américaine et des hélicoptères Blackhawk transportant des officiers de l'OTAN à Marjah, en Afghanistan, en février 2010.
Des forces spéciales de l'armée américaine et des hélicoptères Blackhawk transportant des officiers de l'OTAN à Marjah, en Afghanistan, en février 2010.
©PATRICK BAZ / AFP

Bonnes feuilles

Marc Hecker et Elie Tenenbaum ont publié « La guerre de vingt ans » aux éditions Robert Laffont. Vingt ans, déjà, que les tours du World Trade Center se sont effondrées. Qui aurait cru alors que, deux décennies plus tard, la guerre globale contre le terrorisme se poursuivrait sans issue en vue ? Fruit de plusieurs années d'enquêtes, cet ouvrage constitue la première histoire de la guerre contre le terrorisme de 2001 à aujourd'hui. Extrait 1/2.

Marc Hecker

Marc Hecker

Marc Hecker est directeur de la recherche et de la valorisation à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère. Titulaire d'un doctorat en science politique, il a notamment publié Intifada française ? De l'importation du conflit israélo-palestinien (Ellipses, 2012).

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Elie Tenenbaum

Elie Tenenbaum

Élie Tenenbaum est responsable du Laboratoire de recherche sur la défense à l'Ifri. Il est agrégé et docteur en histoire. Son précédent livre, Partisans et centurions. Une histoire de la guerre irrégulière au XXe siècle (Perrin, 2018), a obtenu le prix Émile Perreau-Saussine et le prix du Livre d'histoire de Verdun.

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À raison de 10 milliards de dollars annuels, l’Afghanistan est de loin le premier récipiendaire de l’aide américaine. Désenchantée par les frustrations du nation building dans ce pays, l’administration Obama a, dès 2011, réduit ses ambitions en matière de gouvernance et se dit prête à se contenter d’un Afghan good enough. Délaissant les enjeux pourtant fondamentaux de justice et de gouvernance économique et sociale, elle se concentre sur les forces afghanes de sécurité nationale (FASN) dont la cible à atteindre est fixée à plus de 350 000 personnels – près de 200 000 pour l’armée nationale afghane et 150 000 pour la police. Le développement continu de cet appareil sécuritaire a pour seul et unique objectif de permettre un retrait graduel des contingents internationaux d’Afghanistan tout en maintenant la pression sur les Talibans. Barack Obama entend « afghaniser » la guerre contre les Talibans, tout comme Richard Nixon avait annoncé dans son discours de Guam (1969) le processus de « vietnamisation » d’une guerre qui mobilisait alors encore 500 000 soldats américains.

La tâche s’avère cependant particulièrement ardue tant l’armée afghane semble à la peine. Même si les Américains s’enorgueillissent en juin 2012 que 40 % des opérations sont désormais « menées par les Afghans » avec un appui de la FIAS – un chiffre qui passe à plus de 80 % début 2013 –, cette réalité cache une incapacité de ces troupes à opérer seules. L’aide internationale a produit une structure de force trop bureaucratique et compliquée, très dépendante de systèmes d’information et de communication sophistiqués ainsi que de matériels haut de gamme, à la maintenance coûteuse, et de tactiques complexes, incompatibles avec les capacités réelles d’action autonome des troupes locales. En effet, les FASN continuent de faire face en 2014 à un déficit de compétences, y compris dans les domaines les plus fondamentaux puisque leur taux d’alphabétisation n’est que de 13 %. Elles souffrent par ailleurs d’une attrition élevée : entre un quart et un tiers des effectifs s’évaporent chaque année, pour la plupart du fait de désertions. Ces chiffres n’incluent même pas les « soldats fantômes », personnels fictifs dont les chefs accaparent les soldes. La corruption touche autant sinon plus les forces armées et la police que le reste de l’administration, du général attribuant des contrats indus à une entreprise personnelle ou familiale jusqu’au simple soldat revendant ses armes et ses munitions au marché noir.

À ces facteurs d’inquiétude s’ajoute le phénomène croissant des attaques dites « infiltrées », ou green on blue dans le jargon militaire, au cours desquelles des soldats afghans se retournent contre leurs conseillers ou formateurs de l’OTAN. Ainsi, le 20 janvier 2012, sur la base avancée de Gwan en Kapisa, un soldat afghan se saisit d’un fusil-mitrailleur, tue cinq militaires français et en blesse une douzaine d’autres alors qu’ils étaient en pleine séance de sport. Entre début 2011 et fin 2012, plus de 80 Américains, Australiens, Britanniques, Allemands, Espagnols tombent sous les balles de soldats afghans qu’ils avaient la tâche de former. Si un plan de lutte contre l’infiltration est mis en place avec de nouveaux moyens confiés à la sécurité militaire, les enquêtes démontrent que seules 20 % des attaques sont effectivement commises par des militaires infiltrés ou retournés par les Talibans ; la majorité résulterait de motifs personnels et d’une « friction culturelle » provoquée par les comportements de certains membres de la coalition. Quoi qu’il en soit, cette situation ne fait qu’accroître la défiance des personnels de la FIAS et l’amertume vis-à-vis d’une armée afghane perçue comme peu motivée, incompétente, corrompue, ingrate et déloyale.

Ce sentiment se traduit de fait par un net désinvestissement des forces internationales présentes en Afghanistan. Une semaine après l’attentat de Gwan, Nicolas Sarkozy accueille à l’Élysée Hamid Karzaï pour signer un partenariat stratégique franco-afghan. Cet accord sans grandes conséquences ne pèse toutefois pas autant que l’annonce, au même moment, que les forces françaises quitteront le pays d’ici la fin 2013. Alors en pleine campagne électorale, le président français doit faire face à une opinion publique de plus en plus hostile à la guerre, et à un candidat socialiste, François Hollande, qui surenchérit en demandant un retrait plus rapide encore. Élu le 6 mai 2012, le nouveau président de la République applique sa promesse de campagne et annonce le départ du contingent français avant la fin de l’année. L’engagement français laisse un goût d’inachevé : le bilan de cette opération de onze ans, qui aura coûté la vie à 90 militaires, demeure incertain, alors que la task force Lafayette plie bagage en laissant derrière elle les vallées de Tagab et Nijrab. Si les autres pays de la coalition maintiennent leur contribution, ils réduisent leur exposition, militaire et politique, en vue du terme affiché de la mission, fixé au 31 décembre 2014, peu enclins à prolonger ce qui apparaît de plus en plus comme une fin de partie.

Cette lassitude est tout aussi prégnante chez les Américains. Ce n’est pas sans ironie que l’ambassadeur James Dobbins, celui-là même qui avait négocié en 2001 les accords de Bonn en niant toute légitimité aux Talibans à revenir dans le jeu politique, est nommé en 2012 pour reprendre le flambeau laissé par Richard Holbrooke, et tenter de relancer les pourparlers avec l’insurrection. Dans la perspective encore lointaine d’un accord de réconciliation, les Américains acceptent néanmoins de signer un protocole d’entente avec le représentant de la Choura de Quetta, Tayeb Agha, autorisant l’ouverture d’un bureau officiel des Talibans au Qatar. Doha avait en effet servi dès 2010 de médiateur au profit des insurgés et se propose désormais d’en héberger une quasi-ambassade. Le bureau est ouvert en juin 2013 devant les caméras du monde entier qui découvrent ainsi un modeste bâtiment sur lequel flotte le drapeau de l’Émirat islamique d’Afghanistan, du nom de l’ancien régime prétendument défunt en 2001. Son commandant suprême, le mollah Omar, n’est toutefois plus là pour contempler cet incroyable retournement de l’histoire. Sa mort, quelques mois plus tôt d’une infection pulmonaire dans un hôpital de Karachi, est encore gardée secrète par le mouvement, désormais dirigé par Mohammed Mansour, un tenant de la frange dure, réputé hostile aux négociations.

Au mois de juin 2014, l’Afghanistan se lance dans sa troisième élection présidentielle, la première sans Hamid Karzaï, empêché de se présenter par la limite constitutionnelle. La campagne houleuse, marquée par les malversations et les violences – dont une tentative d’assassinat du principal candidat d’opposition – ne permet pas de déboucher sur un résultat net. Les deux finalistes, l’ancien ministre des Finances, Ashraf Ghani, et l’ex-conseiller du commandant Massoud, Abdullah Abdullah, revendiquent tous deux la victoire, provoquant un imbroglio de plusieurs mois dont l’issue est finalement un gouvernement à deux têtes avec Ghani comme président et Abdullah comme chef du gouvernement. À cette instabilité politique s’ajoute la situation sécuritaire : avec plus de 10 000 victimes civiles (morts et blessés), l’année 2014 est la plus sanglante depuis la chute des Talibans. Force est de constater que la stabilisation est loin d’être atteinte et qu’un retrait total de l’aide internationale à la fin de l’année ne pourrait qu’accélérer l’effondrement du pays.

Alors qu’il avait promis devant le Congrès que la « guerre en Afghanistan serait terminée » pour Noël, Obama est donc contraint de surseoir au retrait. Dès l’été 2014, il doit annoncer le lancement de la mission Resolute Support, qui prévoit le maintien pour une durée initiale de deux ans d’une force résiduelle de 10 000 soldats de l’OTAN – dont 80 % d’Américains. Ce contingent croupion est composé aux deux tiers de conseillers militaires chargés de continuer la formation de l’armée afghane, et pour un tiers de forces spéciales, poursuivant le ciblage du leadership d’al-Qaida et des Talibans. Il s’agit d’un dispositif à l’« empreinte légère » tel que l’avait préconisé Joe Biden dès 2009 dans son modèle de « contre-terrorisme plus ». Il n’en comporte pas moins des effectifs cachés avec près de 30 000 employés de sociétés de sécurité privées, assurant diverses tâches, allant du gardiennage aux actions de combat et un coût encore mirobolant de plus de 40 milliards de dollars par an.

Mais l’Afghanistan n’est que l’un des boulets dont Obama ne cesse de chercher à se débarrasser sans y parvenir. Au printemps 2011, alors même que les derniers GI américains quittent l’Irak envahi sept ans plus tôt, une vague révolutionnaire sans précédent déferle sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Les sociétés arabes ont déclenché elles-mêmes l’élan démocratique que Washington n’avait jamais réussi à susciter de l’extérieur du temps de George W. Bush. Obama et ses alliés occidentaux sont soudain mis face à leurs contradictions, eux qui ont soutenu, au nom de la lutte contre le terrorisme, tant de régimes autoritaires, tout en faisant l’éloge de la démocratie et du droit des peuples. Le dilemme s’avère d’autant plus épineux que les djihadistes sont en embuscade, prêts à profiter de la déstabilisation du monde arabe. Lors d’un échange informel avec le journaliste Jeffrey Goldberg, le président américain évoquant la situation au Moyen-Orient et la lutte contre le terrorisme n’hésite plus à se comparer au personnage de Michael Corleone, joué par Al Pacino dans Le Parrain, tout particulièrement lorsque ce dernier se lamente sur l’impossibilité de s’extraire des griffes de la pègre : « Juste quand je croyais en avoir fini, ils me font replonger ! »

Extrait du livre de Marc Hecker et Elie Tenenbaum, « La guerre de vingt ans, djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle », publié aux éditions Robert Laffont.

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