Faire venir des millions de travailleurs étrangers pour l’économie française : le double aveuglement du Medef<!-- --> | Atlantico.fr
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Interrogé le 19 décembre sur Radio Classique, le président du Medef, Patrick Martin (à droite sur la photo), a lancé un appel à augmenter l'immigration pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre dans les métiers en tension.
Interrogé le 19 décembre sur Radio Classique, le président du Medef, Patrick Martin (à droite sur la photo), a lancé un appel à augmenter l'immigration pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre dans les métiers en tension.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Diktat du patronat ?

Que la France puisse accueillir des immigrés économiques et avoir besoin de main d’œuvre est une chose. Que le Medef ignore ostensiblement les fractures sociales et identitaires comme le coût économique et social de l’arrivée de millions d’étrangers en est une autre. Les entreprises sont-elles prêtes à en assumer la charge ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Benoît Perrin

Benoît Perrin

Benoît Perrin est le Directeur Général de Contribuables Associés et le Conseil d’Administration de Contribuables Associés.

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Atlantico : Patrick Martin, le président du Medef, avance que "l'économie demande massivement de l'immigration". Partagez-vous cette analyse ?

Don Diego de la Vega : À une certaine époque, la culture dominante était largement marxiste. À cette époque, on reconnaissait que le travailleur immigré était l'allié objectif du patron, une réalité bien établie tant sur le plan théorique qu'empirique. Il était compris que le travailleur immigré contribuait à abaisser les coûts salariaux, renforçant ainsi le pouvoir du patronat en matière de fixation des prix et des salaires. Cette concurrence frontale avec les travailleurs français non qualifiés élargissait également la file d'attente pour l'emploi, renforçant ainsi la position du patron. De plus, on observait que les services et les livraisons profitaient davantage aux riches qu'aux pauvres.

Avec le déclin de la culture marxiste en France, certaines perspectives ont changé. Actuellement, l'emploi de la main-d'œuvre immigrée est parfois perçu comme une orientation de gauche, alors que historiquement, cela était considéré comme une stratégie de droite. Historiquement, le patronat a toujours cherché à maximiser le nombre d'immigrants pour influencer les négociations salariales, accroître sa part du marché, et faciliter ses services. Aujourd'hui, cette stratégie est moins dissimulée, car la disparition de la culture marxiste a modifié la façon dont nous abordons ce sujet.

Nous assistons à une alliance surprenante entre les partisans du sans-frontiérisme d'extrême gauche, qui estime qu'il ne peut y avoir trop d'immigrants en France, et les partisans du sans-frontiérisme capitaliste, focalisés sur la maximisation des gains à court terme, tels que le Medef. Cette alliance peut sembler improbable, mais elle est de plus en plus forte. Autrefois, la présence limitée des gauchistes, en raison de la prévalence des marxistes, rendait le gauchisme extrême moins nécessaire. Le patronat devait dissimuler ses demandes d'immigration, opérant principalement à travers un lobbying discret. Aujourd'hui, il n'y a même plus besoin de dissimulation.

Benoît Perrin : L’utilisation de l’adverbe « massivement » peut prêter à sourire en effet. Le premier élément qu’il faut rappeler c’est que l’économie française va très mal et que la récession approche malheureusement à grands pas. Après avoir enregistré une décroissance de 0,1 % au 3ème trimestre 2023, tout laisse à penser, notamment les indicateurs avancés de l’économie, que la croissance sera encore négative au 4ème trimestre 2023. Nous pourrons alors officiellement parle de récession dont la définition de l’INSEE est un « recul du Produit Intérieur Brut sur au moins deux trimestres consécutifs ». Les faillites d’entreprises sont massives, notamment dans les petites et moyennes entreprises. Ce phénomène a aujourd’hui des conséquences sur l’emploi et en aura encore plus encore dans les mois qui viennent. D’ailleurs, le chômage repart à la hausse (+ 64 000 demandeurs d’emplois par rapport au trimestre précédent), ce qui renforce notre triste place de mauvais élève de la zone euro avec un taux de chômage de 7,4 % alors que la moyenne européenne est aujourd’hui à 6,5 %. Lorsque vous avez selon les derniers chiffres de Pôle emploi près de 3 millions de personnes sans emploi en France, la priorité devrait être la formation et l’incitation à retrouver un travail plutôt que l’arrivée de nouveaux immigrés. J’entends ici et là expliquer que dans certaines branches d’activité, les salaires ne sont pas assez élevés. Comment ne pas le reconnaître ? Il faut impérativement baisser les charges qui pèsent sur les salaires, je pense notamment à la CSG, pour permettre aux employeurs de payer davantage leurs salariés. Je suis convaincu que si on expliquait à nos concitoyens qu’en échange de salaires plus élevés, il faudrait en contrepartie baisser certaines prestations sociales, ils y seraient favorables. Aucun politique n’a encore proposé cet accord.

Certaines personnes avancent que l'arrivée massive d'immigrés sur le marché du travail entraîne une baisse des salaires. Qu'en est-il réellement ?

Don Diego de la Vega : La réponse à cette question est quelque peu nuancée, tant sur le plan théorique que pratique. Des études, telles que celles menées par l'économiste Borjas aux États-Unis sur l'impact de l'immigration mexicaine, confirment cette corrélation. Cependant, la situation en France complique le débat, car la majorité des nouveaux arrivants ne sont pas nécessairement des travailleurs actifs. En réalité, il s'agit principalement de familles regroupées, d'étudiants et de diverses forces, moins orientées vers le marché du travail.

En France, le débat est biaisé par le fait que l'immigration a évolué depuis 1976, passant d'une immigration principalement liée au travail à une migration davantage axée sur le peuplement. Si l'on considère strictement le travailleur immigré provenant de zones hors OCDE, il est indéniable que cela exerce une pression à la baisse sur le coût du travail, réduisant ainsi le pouvoir de négociation salariale des travailleurs autochtones, toutes choses égales par ailleurs. Cependant, notons que cette immigration de travail est désormais minoritaire et structurellement marginale, ce qui complexifie le débat sur son impact global sur les salaires.

Les flux migratoires vers la France correspondent-ils aux besoins actuels de l'économie française en termes de qualification et de potentiel humain ?

Don Diego de la Vega : C'est une question complexe avec des nuances. Comme je l'ai mentionné précédemment, l'immigration actuelle est principalement axée sur des motifs autres que le travail. En conséquence, il existe une déconnexion relativement marquée avec les besoins immédiats et à moyen terme de l'économie française. Cette déconnexion n'est pas extrême, mais elle est notable. Lorsqu'on examine les personnes qui viennent spécifiquement pour travailler immédiatement, la situation est plus nuancée, dépendant largement de la stratégie adoptée.

Si la France avait une stratégie de remontée en gamme, il faudrait plutôt insister sur la qualification, par exemple sur l'école, sur les résultats PISA, par exemple, plutôt que de renforcer l'immigration. Cependant, la France n'a pas de stratégie économique claire, ou si elle en a une, elle se concentre principalement sur une position de moyenne gamme, voire accepte une perte de positionnement dans l'échelle des qualifications.

Est-ce que le Medef ignore délibérément les fractures sociales et identitaires, ainsi que le coût économique et social de l'arrivée de millions d'étrangers dans notre pays ?

Benoît Perrin : Si l’on regarde le sujet d’un point de vue du contribuable, notre dernière étude sur « Le coût de l’immigration en 2023 » rédigée par l’expert Jean-Paul Gourévitch est sans ambigüité : en examinant l’ensemble des bénéfices et déficits liés à la politique migratoire, l’immigration coûte plus de 50 milliards d’euros par an. Trop d’experts se basent uniquement sur la contribution des immigrés au PIB et mettent de côté les dépenses directes comme les prestations sociales (RSA, aides personnalisées au logement, allocations chômage, …), les dépenses indirectes (les coûts liés à la sécurité, à la justice, les fraudes, les trafics, les coûts éducatifs, …) mais aussi celles générées par l’immigration irrégulière (aide médicale d’Etat, hébergement d’urgence, coûts administratifs des déboutés du droit d’asile, des centres de rétention, reconduites à la frontière, …). En outre, ainsi que l’exprime dans les sondages une très forte majorité des Français, quelle que soit leur appartenance politique, la problématique migratoire ne se résume pas à la politique de l’emploi.

Ce qui fragilise aujourd’hui le consentement à l’impôt et donc fracture notre société, ce sont notamment les injustices que ressentent de plus en plus de contribuables. Je pense, par exemple, au sentiment de toujours payer plus pour une contrepartie de plus en plus modique. Nous sommes les champions du monde de la pression fiscale et de la dépense publique pour des résultats médiocres : hôpitaux engorgés, transports publics à l’arrêt, commissariats délabrés, école dont le niveau baisse année après année, … De nombreux Français constatent avec exaspération que le travail ne paie pas assez par rapport à la politique du « tout-social » mis en place par nos responsables politiques. Ces derniers manquent d’ailleurs de courage pour lutter contre la fraude sociale évaluée à des dizaines de milliards d’euros. Parlons aussi de la fracture entre les générations : pourquoi nos enfants paieraient-ils pour des mesures prises en termes de finances publiques depuis 1974, date du dernier budget voté à l’équilibre ? Depuis trop longtemps, les dépenses dépassent largement les recettes. Il faut rapidement faire pression sur les élus pour enfin mettre en place la règle d’or qui interdit le vote du budget de l’Etat en déséquilibre.

Don Diego de la Vega : Le Medef, en tant qu'association cherchant à maximiser les intérêts de ses membres, ne se préoccupe pas des fractures sociales et identitaires ni des coûts économiques et sociaux résultant de l'arrivée massive d'étrangers en France. Son rôle est de défendre les intérêts spécifiques des entreprises, en réclamant non seulement des travailleurs pour les secteurs en tension, mais également en soutenant une augmentation de l'immigration de manière plus générale. La perspective du bien commun n'est pas la préoccupation du Medef, car son mandat est centré sur les intérêts particuliers de ses membres.

La question des défis quotidiens, tels que la surpopulation dans les transports publics, n'est pas une préoccupation du Medef, mais plutôt celle des citoyens ordinaires qui doivent affronter ces problèmes. C'est aux citoyens de voter et de décider de ces questions, et non au Medef, dont les membres ont souvent des moyens de transport privilégiés.

Bien que le Medef ait un agenda et des intérêts, ceux-ci ne coïncident pas nécessairement avec l'intérêt général. C'est normalement au gouvernement de concilier ces intérêts parfois contradictoires et d'optimiser à moyen et long terme en faveur de l'intérêt général. En pratique, cependant, cela ne fonctionne pas toujours ainsi, et les alliances peuvent parfois être antilibérales.

Il est important de souligner que bien que le Medef puisse être perçu comme libéral, il ne l'est pas dans le sens strict du terme. Son objectif est l'optimisation de ses positions, et il peut y avoir une alliance antilibérale avec des partisans du sans-frontiérisme. Dans le libéralisme, la libre circulation des biens et des personnes est conditionnée par l'absence d'un État providence. Cependant, lorsque des politiques sociales sont en place, la question de la gestion des droits aux prestations sociales devient cruciale, justifiant éventuellement des contrôles aux frontières.

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