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Explosion de violences urbaines : comment les quartiers difficiles français sont en train de se transformer en véritables ghettos ethniques à l’américaine
©Reuters

Zones de non-droit

Si la notion de ghetto ne pouvait s'appliquer aux banlieues des grandes villes françaises, en raison de leur forte hétérogénéité ethnique, cela pourrait changer dans les années et décennies à venir, à condition que les flux migratoires se maintiennent au niveau actuel et continuent d'avoir une dominante de personnes originaires du Maghreb. Un phénomène qui, s'il se concrétisait, pourrait être accompagné d'une forte hausse de la violence.

Christophe Soullez

Christophe Soullez

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012
et de "La criminologie pour les nuls" chez First éditions, 2012. 

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Les inner-cities américaines ont été l'un des sujets du premier débat opposant Donald Trump à Hillary Clinton. Alors que la notion de ghetto ne pouvait pas réellement s'appliquer au cas des banlieues françaises, notamment en raison de l'hétérogénéité des populations qui peuvent les composer, quels sont les risques de voir apparaître de telles enclaves en France ? En quoi les flux migratoires récents, notamment en provenance d'Afrique, conjugués à une volonté politique d'abaisser le niveau de dépenses publiques, peuvent-il participer à la formation de tels ghettos, associant homogénéité ethnique et intense pauvreté, sur le modèle des ghettos américains ? 

Laurent Chalard : Les risques de voir émerger des ghettos ethniques en France comme il en existe aux Etats-Unis sont particulièrement élevés dans le courant des trente prochaines années si les flux migratoires devaient perdurer au niveau actuel avec une dominante de personnes originaires de pays qui ont déjà fourni de gros contingents d’immigrés à la France dans les cinquante dernières années, c’est-à-dire les pays du Maghreb et, accessoirement, ceux d’Afrique noire. En effet, du fait d’une démographie plus dynamique, produit d’une fécondité plus élevée et d’une structure par âge plus jeune, au bout d’un certain temps, les concentrations ethniques vont avoir tendance à se renforcer, les êtres humains préférant se regrouper entre personnes membres d’une même communauté. On le constate déjà dans les villes moyennes de province à forte communauté maghrébine et/ou turque, où existent de petits quartiers quasi-exclusivement peuplés par ces populations, suite à la fuite générale des autres populations. Dans les grandes métropoles, les flux migratoires étant plus diversifiés, ce n’est pas encore le cas, l’hétérogénéité ethnique dominant jusqu’ici (on parle souvent pour les désigner de quartiers aux "x" nombres de nationalités !), il existe déjà des immeubles, voire des îlots d’habitat ethnicisés, mais pas des quartiers entiers. Cependant, certaines tendances, comme le fait que les populations musulmanes pratiquantes cherchent à se rapprocher des mosquées, ou les affrontements entre Maghrébins et Chinois en Seine-Saint-Denis, pourraient bien conduire à l’émergence de quartiers peuplés uniquement de Maghrébins.

Faut-il craindre l'émergence d'un communautarisme d'une forme nouvelle ? La France n'est-elle pas plus "armée" pour faire face à l'implantation réelle de telles zones ? 

Laurent Chalard : Ces tendances devraient faire définitivement basculer la France dans le multiculturalisme, c’est-à-dire une société où co-existent des communautés différentes, sans fusion entre elles, processus très différent de l’assimilation. La traduction politique serait le développement d’un clientélisme communautaire à l’échelle locale, qui existe déjà, mais risque de s’accentuer grandement, avec des logiques de "chantage" auprès des élus locaux par les membres les plus revendicatifs de certaines communautés. Sur le plan économique, cette nouvelle donne pourrait conduire à l’émergence d’un marché du travail à deux temps : celui des autochtones et celui des communautés. Dans ce cadre, pour empêcher les inégalités, l’Etat serait obligé de promouvoir une politique de quotas, accordant d’office un certain nombre d’emplois aux membres d’une communauté ghettoïsée pour éviter le chômage de masse. Sur le plan social, les dérives communautaires risquent d’être importantes, l’Etat perdant le contrôle sur ce qui s’y passe réellement, surtout si émerge une demande d’enseignement scolaire spécifique à une communauté. Cet ensemble d’ingrédients peut conduire à la violence si les populations sont revendicatives vis-à-vis de l’Etat, mais cela peut aussi bien se passer si les gens se sentent bien dans leur pays d’accueil, comme le montre le cas des nombreux Chinatowns dans le monde. Séparation ne signifie pas forcément conflit !

La France n’est guère armée pour faire face à une éventuelle apparition de quartiers ethniques puisqu’elle nie le multiculturalisme. Nos dirigeants s’accrochant à la République une et indivisible, qui les conduit à mener une politique assimilationniste, l’émergence d’une société multiculturelle est non pensée car non souhaitée, comme en témoigne la poursuite des politiques de "mixité sociale" (en fait, de mixité "ethnique"), qui, pourtant, ne fonctionnent pas. Plutôt que de prendre acte de la réalité d’une évolution, que l’on peut regretter, mais qu’il est difficile de contrecarrer sauf en mettant fin à l’immigration provenant des pays concernés, l’Etat préfère nier le phénomène.

Quelles sont les zones à "risques" à considérer sur le territoire français ?

Laurent Chalard : Les zones à "risques" d’ethnicisation sont très nombreuses, étant donné la dynamique démographique des communautés originaires du Maghreb et d’Afrique noire. Si la communautarisation et les tensions avec la société autochtone se poursuivaient dans les prochaines décennies, il est probable que chaque agglomération française de plus de 20 000 habitants comptera son (ou ses) ghetto(s) ethnique(s), sur le modèle des ghettos juifs des villes européennes du Moyen-Âge. Les premiers territoires qui pourraient être concernés par ce processus sont certains grands ensembles des villes-centres ou des banlieues des grandes métropoles, où les populations autochtones ont disparu, dans lesquelles des processus de concentration par ethnie vont se développer, leur faisant perdre au fur et à mesure du temps leur caractère pluriethnique. En effet, lorsqu’une communauté devient majoritaire numériquement, elle impose de facto son mode de vie dans l’espace public du quartier, faisant mécaniquement fuir les autres communautés.

Dans quelle mesure certains territoires français sont-ils d'ores-et-déjà touchés par un phénomène de "ghettoïsation" ? Si le niveau de violence n'est en rien comparable aujourd’hui avec des taux d'homicides largement plus élevés aux Etats Unis dans les zones concernées, peut-on craindre que ces zones françaises s'orientent sur une voie similaire ? Quels sont les types de violences déjà visibles aujourd'hui, et qui n'existaient pas dans le passé ?

Christophe Soullez : Je n’aime pas le terme de ghettoïsation car, étymologiquement, les ghettos sont voulus et organisés par un Etat ou un pouvoir. Ce qui n’est pas le cas. En revanche il est vrai que certains territoires cumulent des handicaps sociaux, économiques et culturels et que, de plus en plus, ces quartiers désertés par les commerces et les services publics, font cessation et passent parfois sous le contrôle de quelques bandes criminelles. Aussi je préfère utiliser le terme de communautarisation ou de quartiers en voie de cessation. Mais ce phénomène n’est pas nouveau. Je vous rappelle que la politique de la Ville, qui a débuté au début des années 80, a été mise en place pour justement essayer d’enrayer ce phénomène. De même les territoires au sein desquelles les interventions de police sont difficiles ne sont pas apparus dans les dernière années mais, malheureusement, existent depuis près de 30 ans. Les agressions contre les forces de l’ordre et, au delà contre tout ce qui peut représenter une certaine forme d’organisation sociale, ne sont pas non plus des phénomènes récents. Malheureusement, dans certains quartiers, des individus (une minorité) cherchent à imposer leur propre ordre social basé sur le trafic de stupéfiants et l’usage de la violence ou de l’intimidation. L’objectif c’est l’économie souterraine. La plupart des violences ou des infractions constatées aujourd’hui étaient présentes il y a 5, 10 ou 15 ans. Ce sont des règlements de compte, des affrontements entre bandes ou des agressions contre les forces de l’ordre. Concernant les événements de Grigny-Vitry ce qui est nouveau c’est la volonté, a priori, d’attenter délibérément à la vie de policiers. Mais n’oublions pas toutefois que, parfois, des patrouilles de police sont prises à partie et que s’il n’y a pas de blessés c’est parce que les policiers ne cherchent pas la confrontation immédiate sans être sûr d’être suffisamment nombreux pour imposer l’ordre.

Quels pourraient être les impacts politiques, économiques, sociétaux, en termes de violence, si un tel phénomène prenait de l'ampleur ?

Christophe Soullez : Dans certains quartiers l’économie souterraine a pris une telle place qu’elle est devenue un véritable système de survie pour de nombreux habitants. De même certains individus ont tellement évolué dans un milieu criminel qu’il est de plus en plus difficile de les en faire sortir. La politique de la Ville, si elle a contribué à l’amélioration des conditions de vie de certaines populations, n’a pas atteint son autre objectif : la prévention de la délinquance. Les problèmes liés à l’emploi, à la formation professionnelle ou encore aux difficultés d’intégration de certaines populations accentuent les difficultés de ces territoires. Comme toujours si l’Etat laisse se développer ce type de situation certains quartiers peuvent vraiment devenir hors contrôle et il sera de plus en plus difficile (pour certains territoires on peut se demander si le point de non retour n’est pas déjà atteint) de renverser la vapeur.

Alors que monte le sentiment d'insécurité, voire l'insécurité réelle, les autorités françaises vous semblent-elles suffisamment armées pour répondre à ce phénomène ?

Christophe Soullez : Dans un contexte où les forces de l’ordre sont concentrées sur le terrorisme et l’islamisme radical, il ne faut pas perdre de vue que les autres types d’activité criminelle perdurent. Il y a donc aussi des choix de priorisation, d’affectation des moyens et de stratégies. La lutte contre l’économie souterraine passe prioritairement par le renforcement de l’activité judiciaire. C’est en démantèlement les réseaux et les filières que le trafic reculera et non pas en se contentant d’interpeller les petits dealers ou en faisant de la gesticulation policière temporaire avec les CRS. Un bilan des groupes d’intervention régionaux, créés en 2002 et qui partaient d’une excellente démarche, doit être fait. De même, dans ces quartiers, une grosse partie de la population subie ces violences et ces trafics. Il faut donc lui faire comprendre qu’elle a tout intérêt à coopérer avec la police mais pour cela il faut aussi qu’elle ait confiance dans l’institution. Il faut donc rétablir des relations plus sereines entre cette population et les policiers. C’est aussi comme cela que la police pourra collecter de l’information. Le renseignement criminel est aussi essentiel dans la lutte contre ce type d’activités criminelles. Malheureusement nous n’en faisons pas encore assez. C’était notamment l’une des missions du Renseignement Territorial. Mais, aujourd’hui, plus de 90 % de son activité est consacrée à l’islamisme radical. Enfin, dans les quartiers les plus difficiles qu’il faut absolument limiter à quelques dizaines, il est indispensable de concentrer, le temps qu’il faut, des moyens très importants tant au niveau policier, que judiciaire mais aussi en matière d’emploi, d’éducation ou de formation. A trop vouloir s’occuper de milliers de quartiers on a saupoudré les moyens sans grande efficacité.

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