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Exhibitionnistes contrariés ? Le secret, valeur montante des nouveaux réseaux sociaux anonymes
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Anonymous

On ne sait jamais trop bien qui se cache derrière un profil anonyme sur internet. Revue des avantages et des inconvénients des réseaux sociaux anonymes.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Les réseaux sociaux anonymes apparaissent comme une solution à la retenue des propos liée à l'exposition de sa réelle identité sur le digital, en quoi constituent-ils un danger ? 

Nathalie Nadaud-Albertini :C’est un danger parce que c’est un terrain et un vecteur très propices à la diffusion de rumeurs. En effet, le schéma classique d’une rumeur c’est « le cousin de la voisine de la grand-mère de la belle-sœur de mon amie sait de source sure que…. ». On a déjà une forme d’éloignement de la « source » par le chaînage des différents relais. Cette distance avec la « source » initiale permet de protéger la personne qui relaye à son tour la rumeur. Mais avec les réseaux sociaux anonymes, on n’a plus besoin de prendre la précaution de l’éloignement pour se préserver soi-même, puisque la distance entre ce que l’on dit et sa propre identité existe déjà de par l’anonymat. Ça encourage à propager des rumeurs facilement et sans risque apparent vis-à-vis du regard des autres.

Si on prend « Secret », on sait que cela fonctionne avec les contacts « amis » ou « amis d’amis », donc on sait qui est dans le réseau mais on ne sait pas qui dit quoi. Donc on peut propager facilement des propos mensongers sur quelqu’un. Par exemple : X  trompe Y avec S. La situation peut devenir très conflictuelle entre les trois protagonistes, et très gênante vis-à-vis du réseau dont on connaît quand même les membres.

En résumé, le danger est d’exposer les usages aux propos mensongers et aux rumeurs, et de protéger celui qui les lance. Ce dernier n’aura en effet pas à assumer ses propos et à rendre des comptes à X, Y et Z.  

C’est aussi un danger parce que c’est un lieu où on peut rendre publiques pour les membres du réseau des vérités qu’une personne souhaiterait ne pas révéler. Ce ne sont pas forcément des choses répréhensibles moralement, mais des choses que l’on préfère garder pour soi ou du moins partager avec des personnes que l’on choisit. Quelque part, l’un des dangers de ce type de réseaux est de permettre de forcer les limites qu’une personne assigne à son intimité. C’est pire que sur des réseaux comme Facebook, parce que sur les réseaux non anonymes, on choisit ce que l’on va dire de soi, on choisit les limites que son intimité. Au contraire avec les réseaux sociaux anonymes, ce sont les autres qui disent des choses sur un membre et donc le choix des limites de ce que l’on définit comme son territoire intime disparaît. En fait, l’identité numérique d’un membre est constituée par les propos des autres. Or, une identité définie uniquement par autrui, c’est la définition de l’aliénation au sens de privation totale de liberté.

Compte tenu de l'anonymat, des effets pervers comme le harcèlement entre usagers ou l'usage de l'identité d'autrui sont constatés, quelles peuvent-être les répercussions sur le long terme ? 

Les répercussions à long terme de l’usurpation d’identité sont de faire assumer à une personne des propos qu’elle n’a jamais tenus. Imaginez que l’on prenne l’identité d’un membre du réseau pour lui faire tenir des propos homophobes ou racistes ou négationnistes. Non seulement, il va devoir en assumer la responsabilité aux yeux du réseau, mais il pourrait aussi devoir le faire vis-à-vis de la loi, puisque c’est passible de sanction. Or, on sait combien il est difficile de prouver l’usurpation d’identité.

Concernant le cyber-harcèlement, tout dépend de l’importance que l’usager donne à sa vie numérique. Si elle est fortement investie, il en résultera une souffrance d’autant plus forte que l’on ne sait pas qui harcèle. On peut finir par douter de tout le monde, y compris de proches. Donc ça peut nuire à la confiance que l’on accorde à autrui dans la vie quotidienne, hors du monde numérique.

A l'heure où l'identité numérique est devenue aussi importante que celle de la vraie vie, en quoi ces réseaux sociaux anonymes peuvent aliéner une E-reputation ? 

Les réseaux sociaux anonymes peuvent aliéner une e-reputation quand il y a usurpation d’identité ou quand on attribue des actes répréhensibles à une personne alors qu’elle n’a rien fait ou lorsque l’on viole l’intimité de quelqu’un. En fait, l’e-reputation est aliénée lorsqu’elle est davantage définie par les propos des autres que par ceux de l’usager sous sa véritable identité. Comme le réseau fonctionne sous couvert d’anonymat, ce sont les autres qui définissent la réputation de l’usager. Ça rejoint ce que l’on disait.

Quelles sont les possibilités de retracer les débordements ? Comment les combattre ? 

Il me semble assez difficile de retracer vraiment les débordements, car qui a vraiment les moyens techniques de le faire ? Ce sont les moyens techniques auxquels il faut se fier. En effet, on peut éventuellement se dire que l’on a dit telle chose à untel et que donc ça doit être lui qui l’a propagé, mais on reste dans le subjectif, on n’a pas de preuves formelles. On peut risquer d’accuser quelqu’un qui n’a rien fait.

La meilleure façon de combattre les débordements est que chacun se montre responsable en se disant « est-ce que je voudrais que l’on me fasse subir ce que je m’apprête à faire ? ».

Comment et pourquoi sommes-nous passés d'une course à la réputation en ligne (le personnal branding) à une volonté de s'effacer sur la place digitale ? 

Le personnal branding et le désir d’anonymat relèvent de stratégies différentes. Dans le premier cas, on construit une image valorisante de soi aux yeux des autres. On se construit une identité si ce n’est idéale du moins idéalisée. On ne raconte de soi que ce qui est valorisant ou que l’on estime valorisant dans le cadre du réseau. Le désir d’anonymat numérique n’est pas le propre des réseaux sociaux anonymes comme « Secret ». On le retrouve aussi sur des forums et des sites où sous un pseudo où développe une potentialité identitaire dont on ne veut pas parler, souvent parce qu’on a peur que l’on se moque ou d’être mal compris. C’est le cas des sites ou forums consacrés à l’écriture. Dans ce cas, on a peur que les autres pensent que l’on se prend pour un grand écrivain ou que l’on se rêve comme tel alors que l’on a juste envie d’écrire et de partager ses écrits. C’est aussi le cas de sites ou de forums consacrés à l’activité de fans. Il est difficile de se revendiquer comme fan parce qu’on a de ce dernier une image négative (un être asocial totalement obnubilé par tel auteur, tel artiste, telle série, tel manga, tel dessin animé etc.), le discrédit étant proportionnel au manque de légitimé de l’objet de la « fanitude ». L’univers numérique est un lieu où les fans peuvent échanger entre eux autour de ce qui les intéresse. L’une des activités des fans est d’écrire des fanfictions (ce sont des récits inspirés d’univers de romans, de séries, de mangas ou de dessins animés écrits par des fans pour des fans où on fait varier l’intrigue d’origine). La décliner selon différentes variantes est une façon de prolonger le plaisir de l’intrigue. C’est aussi une façon de corriger ce que l’on apprécie pas dans l’intrigue d’origine, la mort de certains personnages par exemple. Les auteurs de fanfictions revendiquent très rarement autour d’eux cette activité, parce qu’ils ont peur du discrédit auquel l’assimilation à la figure du fan les exposerait.  

En quoi ce système d'anonymat peut être vertueux ? Quels pourraient être les bénéfices sur la vie sociale ? 

Ce système peut être vertueux s’il permet à une personne de pouvoir exprimer des choses qu’elle n’oserait pas dire si elle n’était pas couverte par l’anonymat et qu’elle éprouve pourtant le besoin de dire. Par exemple, qu’elle subit telle forme de violence au travail et ne sait pas quoi faire. Les autres membres du réseau peuvent lui apporter un soutien et des conseils sans se sentir gênés comme dans une situation de face-à-face ou dans une situation numérique où l’on connaît avec certitude l’identité des autres.

De la même façon, l’anonymat peut permettre de dire que l’on a vécu tel ou tel événement douloureux et que l’on a du mal à l’assumer. Les autres peuvent apporter de l’aide par leurs propos ou tout simplement leur écoute. Tout dépend des qualités humaines des membres du réseau.   

Ces réseaux sociaux peuvent-ils permettent une plus grande liberté d'expression et par conséquent de dénonciation dans les différentes sphères y compris le monde professionnel ? En quoi pourraient-ils être des systèmes d'alertes sur des sujets épineux qui restent souvent secrets ? 

Oui, l’anonymat peut également permettre de révéler des sujets qui autrement resteraient secret. Par exemple dire : telle personne est connue pour harceler les gens au travail. Ça m’est arrivé, voilà comment je l’ai contrée, ou voilà ce qu’elle m’a fait. Ça permet d’informer les autres qui pourraient être également concernés, et ça peut délier des langues. Par exemple : « moi aussi, il/elle me harcèle etc. ». Ça peut être le début d’une forme de résistance voire de mobilisation qui n’aurait pas vu le jour autrement parce que chacun se serait muré dans sa peur, son mutisme, sa honte et sa peur d’être incompris.

Est-ce finalement un retournement de la liberté d'expression sous couvert d'anonymat, les utilisateurs sont-ils pris à leur propre jeu ? 

En fait, ce n’est pas l’anonymat en soi qui est un problème, c’est ce que l’on en fait. Je dirais que cela favorise la liberté d’expression quand elle débouche sur des choses positives pour les usagers. Dans le cas contraire, je ne parlerai pas de liberté d’expression. Je ne crois pas que l’on puisse parler de liberté d’expression quand on est face à des ragots, des rumeurs, du harcèlement etc. , quand justement comme on l’a vu tout à l’heure on prive autrui de sa liberté.

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