Européennes : ce qui dépend vraiment du Parlement de Strasbourg, ce qui dépend toujours de l’intergouvernemental (et du coup faut-il voter par rapport aux équilibres du Parlement européen ou français… ?)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le Parlement européen gère la plupart des lois, des règlements et des politiques européennes avec les Etats.
Le Parlement européen gère la plupart des lois, des règlements et des politiques européennes avec les Etats.
©FRÉDÉRIC FLORIN / AFP

Mémo pré-électoral

À trois jours des élections européennes, petit rappel utile sur ce qui dépend du Parlement de Strasbourg et sur ce qui relève de l’intergouvernemental

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu est professeur émérite de l’Université Paris1- Panthéon-Sorbonne ; Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel ; Ancien Conseiller d’Etat (S.Ex.) ; Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature et membre de la Commission de Venise du Conseil de l'Europe
Voir la bio »
Henri de Bresson

Henri de Bresson

Henri de Bresson a été chef-adjoint du service France-Europe du Monde. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin.

Voir la bio »

Atlantico :  Qu'est ce qui relève du Parlement européen, du Conseil de l’UE ou des politiques des Etats dans le cadre de la politique et des lois européennes ?

Bertrand Mathieu : Le Parlement européen contribue très largement à sortir du cadre de compétence qui est fixé par les traités européens. Une part très importante des délibérations du Parlement européen ne concerne pas les compétences de l'Union européenne. Le Parlement européen a un rôle législatif extrêmement complexe dans de nombreux domaines majeurs de la politique de l’UE. Le Parlement européen a aussi un rôle politique qui permet notamment de nommer le président de la Commission et le Parlement européen a un rôle de forum de discussions sur les enjeux sociétaux avec un fort tropisme progressiste.

L'Union européenne est un organe qui est composé des nations, des Etats qui disposent, eux, du pouvoir de décider par les traités. Mais en réalité, il y a un mouvement de fédéralisation qui se développe indépendamment des traités, notamment sous l'influence de la Commission et de de la Cour de justice de l'Union européenne. Dans ce paysage, le Conseil de l’UE représente les Etats mais théoriquement, il n'a pas l'initiative de la loi. La Commission, qui représente les intérêts de l'Union, a l'initiative législative et le Parlement est censé représenter les citoyens de l'Union. Cette représentation des citoyens de l'Union est en fait assez abstraite.

Sur le papier, notre modèle est une Europe des nations et dans la pratique, l’Europe se fédéralise de plus en plus. Les organes représentant les intérêts propres de l'Union, la Commission, la Cour de justice et accessoirement le Parlement vont jouer un rôle de plus en plus important. Théoriquement, le Conseil de l’UE est l'organe qui représente les Etats. Le Conseil représente les ministres, soit les chefs d'Etat, les gouvernements des différents Etats qui sont issus du suffrage universel.

Henri de Bresson : Rien ne relève uniquement du Parlement européen. Le Parlement européen gère la plupart des lois, des règlements et des politiques européennes avec les Etats. Il y a des domaines dans lesquels le Parlement européen a des compétences et d'autres où il n'en a pas comme par exemple tout ce qui est relève de la fiscalité, de la sécurité sociale, de la défense, de la politique étrangère, tout cela reste du domaine réservé du Conseil de l’UE, des Etats, des gouvernements.

Le Parlement européen s’occupe d’autres domaines comme l'environnement, le budget européen. Le plan de relance de l'économie européenne après le Covid ou le plan de politique verte émanent aussi du Parlement de l’UE.

Au regard des sondages, les citoyens européens reconnaissent que dans des domaines comme l'énergie, l'environnement, la réponse à la crise du climat est qu’il n’est pas possible de traiter ces choses-là sur le plan national. A partir du moment où l’on accepte l’idée que nous sommes une démocratie, que l'on vit dans un État démocratique, il faut bien que les gouvernements soient aussi contrôlés via un contrôle parlementaire. C’est dans ce domaine que le Parlement européen a été amené de plus en plus à jouer un rôle important dans notre vie politique. Au fur et à mesure que l'Union européenne prenait plus de responsabilités dans différents domaines, il faut bien qu'il y ait un contrôle.

Il y a aussi un rôle important de surveillance de la Commission européenne. Le premier rôle est aussi de voter pour la présidence de la Commission européenne.

Le Parlement européen a fonctionné avec des majorités qui jusqu'à présent étaient des majorités de droite ou social-démocrate. Le groupe des Verts est devenu très important au Parlement européen mais ils négocient souvent avec le groupe social-démocrate, Il y a donc des poids lourds politiques qui sont connus dans chacun de nos pays. Il y avait en Allemagne le parti social démocrate, qui est actuellement au pouvoir avec les Verts, qui a souvent été allié au Parti socialiste français quand celui-ci était également à la tête des gouvernements européens. A droite, cela a été tardif. Il a fallu attendre que la présidence Chirac avec Juppé.

Au niveau de la réalité européenne, quelles sont les spécificités du Conseil européen ? 

Henri de Bresson : Il y a du côté français une relation plus compliquée avec le Parlement européen. Sans doute que dans d'autres pays, notamment comme en Allemagne, il s’agit plutôt d’une histoire de tradition politique. Le rôle du Parlement en Allemagne vis-à-vis du gouvernement allemand est beaucoup plus important que le rôle du Parlement français vis-à-vis de la présidence de la République qui a été voulue par la Ve République comme un personnage un peu au-dessus de la mêlée. On retrouve cette méfiance en France vis-à-vis du Parlement européen qui a mis du temps à s'installer dans l'esprit français. Jacques Delors, l'ancien président de la Commission européenne, a fait énormément de choses en Europe et il a joué un rôle très important pour développer et faire rayonner l'Union européenne. Mais à l'époque, on ne parlait que des gouvernements et de la Commission européenne. Le Parlement n'existait pas. Petit à petit, le Parlement européen a pris plus de pouvoir. Cela a pris beaucoup de temps dans les esprits français, y compris dans les médias français. Je suis bien placé pour le savoir puisque j'étais au Monde pendant toute cette période. Je me rappelle des débats internes au journal pour savoir s'il fallait ou non mettre un correspondant au Parlement européen ou pour trouver quelqu'un qui débriefe l’actualité de ce qui se passait au Parlement européen. Cela a mis beaucoup, beaucoup de temps.

Depuis la dernière législature, les choses ont évolué avec la crise en Ukraine, la crise de l'énergie. Toutes ces questions ne peuvent pas être traitées sur le plan national uniquement.

Il y a des interrogations sur la démocratie dans beaucoup de nos pays occidentaux avec des mouvements politiques pour lesquels le Parlement européen est juste une caisse de résonance mais n'a pas franchement d'importance. Il s’agit notamment de l'AfD en Allemagne. La radicalité du mouvement et leurs prises de position sur l’Europe les rapprochent d’une volonté d’une sortie de l’Europe, comme le Brexit pour le Royaume-Uni.

Quand il s'agira de défendre la voix de l'Europe dans les grands débats du Parlement européen, certains groupes seront assez hostiles.

Par rapport au pouvoir du Parlement européen, du Conseil européen et des Etats, quels sont les sujets qui relèvent de l'un ou de l'autre ? Au regard de tout cela, faut-il voter aux élections européennes en fonction des rapports de force plutôt nationaux ou européens ?

Bertrand Mathieu : Pour ce qui relève des compétences de l'Union européenne, qui sont très larges, en matière économique, monétaire, sociale, cela concerne très largement le Conseil de l’UE et le Parlement. Le système repose sur une initiative législative à la Commission et ensuite sur un accord du Conseil et du Parlement. Le Conseil et le Parlement interviennent dans le même champ de compétence. Sauf que les questions les plus fondamentales, notamment celles qui concernent la révision des traités, sont essentiellement discutées au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement.

Certains pays vont vouloir légiférer, en économie ou sur l'immigration, mais le Parlement, la Commission ou le Conseil vont avoir le dernier mot.

Il y a eu un développement considérable des compétences de l'Union européenne. A travers l'utilisation des fonds européens, les instances européennes et notamment la Cour vont intervenir sur la composition des juridictions polonaises. Le constat est le même par rapport à la Hongrie ou au travers des valeurs de l'Union. Il y a des compétences européennes assez précises en matière sociale, économique, monétaire pour les pays qui font partie de l'euro. Et il y a une nébuleuse de compétences qui tient à ce qu'on appelle les valeurs de l'Union. A travers les valeurs de l'Union, les instances européennes imposent aux Etats le respect de toute une série d'obligations qui ne relèvent pas des compétences de l'Union comme l'organisation de la justice en Pologne ou les lois concernant les ONG ou les LGBT en Hongrie.

Henri de Bresson : La tendance dans chacun de nos pays européens est de vouloir, parmi les électeurs, répondre sur le plan électoral pour des enjeux nationaux. Certains citoyens estiment que les décisions européennes sont trop éloignées d’eux.

Le Parlement européen et le Conseil de l’UE permettent de rapprocher les débats politiques des différentes nations. Les pays européens peuvent apprendre à discuter ensemble via ces institutions. Il y a énormément de sujets majeurs et qui sont dans le domaine de compétence du Parlement européen pour que cet apport permette de faire avancer l'esprit européen. Mais cela ne suffit pas toujours dans la narration qui en est faite et dans le sens que l'électorat perçoit.

Il y a un apprentissage à faire. Les Français ont notamment voté contre la Constitution européenne. Les Néerlandais nous ont suivis dans cette ligne. Cela a poussé à une évolution dans les traités.

Certains citoyens européens redoutent d’être pénalisés par les institutions européennes, notamment à travers les mesures menées et les prérogatives européennes.

Or, si l’on regarde ce qu’il se passe en Ukraine avec la Russie qui menace tout le front Est de l'Union européenne, cela devrait faire réfléchir nos pays. Qu’est-ce représenterait la France et quel serait son poids dans le monde d'aujourd'hui si elle n'était pas alliée à l'Allemagne et aux autres grands pays européens face à la Chine, à l'Inde, au Brésil, aux Etats-Unis et à la Russie ?

Au regard de tout ce contexte politique, du poids des instances européennes et du droit européen et concernant les prérogatives des Etats, faut-il voter pour ces élections européennes en fonction des rapports de force qui sont à l'œuvre sur le plan national ou sur le plan européen ?

Bertrand Mathieu : Le citoyen européen est lui-même pris dans une ambiguïté fondamentale car il n'existe pas vraiment, bien qu'elle commence à se constituer, de vie politique uniforme au niveau européen. Elle n’est pas similaire à ce qui existe au niveau des Etats. Le choix du président de la Commission est en général l'objet d'un consensus entre les deux premières forces, souvent les socialistes et les conservateurs. Donc il n'y a pas véritablement de vie politique transnationale. Un citoyen allemand ne va pas voter sur les mêmes critères qu'un citoyen français. Il va voter essentiellement au regard de choix de politique nationale, allemande ou française, soit de ce qu'il attend de ses députés européens, notamment pour les décisions susceptibles d'intervenir en Allemagne ou en France. Les citoyens ont donc tendance à voter sur des critères de politique nationale. Mais il est évident que ce vote va avoir une répercussion sur les politiques européennes.

Si un jour la prépondérance socialiste arrive à être remise en cause par d'autres intervenants, notamment par des partis qui se situent à droite des conservateurs, il pourrait y avoir un infléchissement sur la politique européenne, sur le choix du président de la Commission et sur la politique européenne, à partir du moment où le Parlement doit approuver un certain nombre d'actes proposés par la Commission.

Les électeurs votent sur des critères nationaux mais leur vote aura assez indirectement une répercussion sur la politique qui sera conduite au niveau de l'Union européenne.

Qu'est-ce qui dépendra de ce que la France assumera ? Quel pourrait être l'impact sur le sur le plan politique des postures d'Emmanuel Macron sur l'Europe par rapport aux élections ?

Henri de Bresson : Il y a eu un grand silence entre son discours de la Sorbonne et le début de la guerre en Ukraine. Les Européens s'étaient réunis au sommet de Versailles pour décider de se mobiliser de manière solidaire sur le plan de défense ensemble. Finalement, tout le monde s'est tourné vers les Etats-Unis. Biden a pris les choses en main et cela arrangeait tout le monde. Les Etats-Unis ont été freinés par la majorité au Sénat, à la Chambre des représentants dans le plan d’aide et de soutien à l'Ukraine. L'Europe s’est interrogée sur la position qu’elle devait adopter face à la Russie. Emmanuel Macron a décidé d’intervenir et de se positionner clairement sur ce dossier. Ses déclarations et ses promesses ont pu choquer l’opinion publique ou certains dirigeants en Europe. Mais il a permis de faire avancer les discussions. Tous les pays d'Europe orientale à la frontière russe sont conscients qu'il y a un véritable danger. Macron a ouvert un cheminement et une orientation nouvelle sur ce dossier sensible du conflit en Ukraine. Cette position est défendue en Allemagne par la ministre des affaires étrangères et par le candidat français Raphaël Glucksmann.

Il y a également des impératifs industriels. L'Europe n'est pas à la hauteur du point de vue de son industrie de défense. Rebâtir de tels projets à l’échelle européenne ne se fait pas du jour au lendemain. A l'issue de la visite d'Etat d’Emmanuel Macron en Allemagne, il y a eu un long communiqué après le conseil des ministres franco-allemand pour dire qu'il allait falloir continuer à travailler ensemble, notamment avec les Anglais, sur le char lourd du futur.

Mais sur le plan de la défense européenne, il n'est pas encore question du programme d'avions de combat de demain qui pose des problèmes dans la relation franco-allemande depuis plusieurs années. Il y a donc encore énormément de travail à faire à l’échelle de la coopération européenne. Les institutions de l’Europe sont là pour agir en ce sens.

Bertrand Mathieu : Des questions se posent sur la nécessité ou non de se détourner de la nébuleuse institutionnelle de l'Union européenne pour privilégier éventuellement des politiques nationales. Il y a une possibilité qui est celle dessinée par le président Macron. Ce chemin est celui d’une évolution vers une fédéralisation de l'Union européenne. Cela va accentuer les compétences de l'Union européenne, notamment en matière de défense et en matière diplomatique. Cela conduit finalement à renforcer les compétences des institutions qui, au sein de l'Union européenne, représentent les intérêts de l'UE. La deuxième évolution serait de faire un double travail qui serait de travailler sur la répartition claire des compétences entre l'Union et les États, ce qui n'est pas le cas du tout aujourd'hui puisqu'il y a énormément de compétences qui sont partagées entre les États de l'Union. Clarifier la répartition des compétences et clarifier le rôle des institutions est important. Il serait important de renforcer le rôle du Conseil qui est l'organe le plus démocratique et de faire de la Commission un organe d'exécution, puisque la Commission n'a en elle-même aucune légitimité démocratique. Il serait bon qu’elle soit un organe d'exécution des décisions du Conseil. Il serait utile également de renforcer la légitimité démocratique du Parlement.

Les citoyens ne savent pas ce que fait le Parlement européen et personne ne connaît ses députés européens. Le lien de la démocratie représentative entre l'élu et l'électeur n'existe pas dans le cadre des européennes. Il n'y a pas vraiment de peuple européen. S'il y avait un peuple européen, il y aurait des élections transnationales. Or, ce n'est pas le cas. Il faut donc probablement renforcer le rôle politique du Parlement européen. Il est important de renforcer le rôle des parlements nationaux au niveau de l'Union européenne. Les Parlementaires européens pourraient être élus par les parlements nationaux. Il est important d’équilibrer, au sein du Parlement européen, la représentation des intérêts européens et des intérêts nationaux.

Quels sont les enseignements concernant les rapports de force au sein du Conseil européen ou du Parlement européen sur les enjeux comme l'environnement ou l'immigration à l'heure actuelle ?

Bertrand Mathieu : L'un des enjeux majeurs dans ces affaires, et qui est l'un des débats et ce à quoi pousse notamment le président Macron, est de faire en sorte que les décisions soient de plus en plus prises à la majorité qualifiée et non pas à l'unanimité. Ce qu’il reste de la compétence des Etats concerne éventuellement le droit de veto. La Hongrie l'exerce assez fréquemment. Ce droit de veto s'exerce au sein du Conseil de l’UE. A partir du moment où l'on glisserait à des majorités qualifiées, il est évident que les Etats n'auraient aucun moyen de s'opposer, même si ces moyens sont limités aujourd'hui, à une politique environnementale ou une politique de l'immigration.

Il y a eu des tournants dans la politique européenne suite à des pressions sociales. Il y a notamment eu la correction de la politique environnementale à partir des revendications des agriculteurs. Ces revendications étaient transnationales.

Cela a aussi été le cas pour la politique de libéralisation des frontières en matière agricole avec l'Ukraine.

L’opinion politique arrive à se manifester sur le terrain européen.

Sur l'immigration, les instances européennes, face à ce qu'elles considèrent comme le péril de la montée des droites nationalistes, ont tenté de corriger à la marge les politiques d'immigration.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !