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Europe, libre échange et mondialisation : la fin de la naïveté pointe dans les discours, quid des actes ?
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Union européenne

Ces dernières années, l'Union Européenne a semblé faire preuve de moins de naïveté et adopter des positions d'avantage protectionnistes, on pense notamment à la posture européenne face aux multinationales américaines du web.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico :  Qu'est-ce qui est à l'origine de ce changement de posture de l'Union européenne ? S'agit-il d'une conséquence de la guerre commerciale et du regain du protectionnisme américain ? 

Christophe Bouillaud : Il faut distinguer : la plus grande activité de la Commission européenne à l’égard des « GAFA » tient essentiellement à des raisons d’optimisation fiscale extrême, pour ne pas dire plus, de la part de ces acteurs économiques. Il y a là un consensus entre les grands Etats et la Commission européenne sur le fait que ces firmes ont exagéré – euphémisme - dans la dissimulation à la limite de la légalité de leurs profits à toute taxation étatique. Qu’elles soient américaines ne change en fait rien à l’affaire dans un premier temps, elles seraient chinoises, indonésiennes ou indiennes, le problème serait le même : il n’est plus possible dans le cadre d’une crise de financement des Etats européens d’accepter un tel niveau de taxation ultraléger, bien trop faible par rapport à la valeur ajoutée produite sur le territoire européen par ces mêmes firmes. Ce mouvement de retour à une fiscalité plus raisonnable pour les « GAFA », et pour les multinationales en général – celle réduite au fil des décennies d’intégration européenne qui s’applique par ailleurs aux autres firmes de petit taille, uniquement nationales  - s’observe d’ailleurs au niveau de l’OCDE, l’organisation de coopération économique internationale qui regroupe tous les pays les plus développés de la planète. Après, une fois qu’on veut taxer plus les « GAFA », il faut savoir qui bénéficie de cette manne fiscale : les Etats-Unis ou les autres pays où ces derniers sont présents ? D’où un conflit entre l’Union européenne et les Etats-Unis sur ce point.
Ensuite, en dehors de ce début de réaction fiscale des Etats développés en général, la Commission européenne en charge de la politique commerciale des 28 pays de l’Union européenne réagit au regain du protectionnisme américain. Jusqu’ici, elle s’est contentée de contre-sanctions quand les autorités de Washington ont pris des mesures protectionnistes à l’encontre de biens ou de services européens. Elle a cherché à toucher des biens made in U.S.A. symboliques, mais, en même temps, elle a accepté de discuter avec l’Administration Trump. Surtout, par la voix des grands dirigeants nationaux, allemands et français principalement, l’Union européenne a réaffirmé son engagement ferme envers le libre-échange comme source de croissance économique. Le multilatéralisme reste mis en avant, et on s’enorgueillit aussi des accords bilatéraux signés, comme celui entre l’UE et le Japon, ou l’UE et le Canada. En même temps, l’Union européenne sait aussi parfois se défendre contre des concurrents trop agressifs en usant d’instruments anti-dumping – même si les critiques de l’UE notent la trop grande lenteur de ses réactions. 
Donc, sur le commerce, l’UE reste officiellement et pratiquement libre-échangiste. Par contre, là une mutation semble s’observer ces derniers mois, c’est sur la question des investissements directs, et surtout de la prise de contrôle par des capitalistes  extra-européens, essentiellement chinois, de firmes possédées et dirigées auparavant par des capitalistes européens, ou plus exactement appartenant à une nation européenne particulière. Visiblement, un effet d’apprentissage se trouve à l’œuvre face à la stratégie d’entrisme et de prédation, via l’investissement direct, des firmes chinoises – derrière lesquelles il n’est pas très difficile de voir l’Etat chinois à l’œuvre. Cette réflexion n’est pas vraiment nouvelle : l’inquiétude politique vis-à-vis d’investissements étrangers sur son territoire de la part d’un Etat me parait aussi vieille que le capitalisme, tout comme l’espoir mis dans ces mêmes investissements, mais elle prend une acuité nouvelle avec l’affichage de la part des autorités chinoises de leur volonté de montée en gamme technologique et de reconfiguration de l’espace géoéconomique eurasiatique autour des « Nouvelles Routes de la Soie ». De fait, les firmes chinoises ne sont pas les seules, et l’on peut aussi regarder du côté du lien entre les Etats-Unis et leurs entreprises, lien qui semble souvent passer par une instrumentalisation du droit ou de la géopolitique (comme dans les relations avec l’Iran). 

Si dans leurs discours les chefs d'Etats européens semblent avoir pris conscience du besoin de protéger le marché intérieur, qu'en est-il des actes ? Des mesures concrètes ont-elles été prises ou s'agit-il majoritairement d'une posture politique ? 

Il ne s’agit pas tant de protéger le marché intérieur que de s’assurer que des firmes destinées à assurer la domination technologique dans le futur proche restent dans des bonnes mains européennes, ou que des filières ne soient pas abandonnés à des concurrents étrangers. De fait, beaucoup de ces décisions, sans doute vitales pour l’avenir de l’industrie européenne, sont prises au coup par coup, par un Etat ou par un autre.   Or, pour l’instant, les prises de contrôle de tout ou partie de grandes entreprise ou infrastructures européennes par des acteurs extra-européens paraissent persister – même s’il existe des contre-exemples le rachat d’Opel par Peugeot par exemple. 

Enfin, qu'attend l'Europe pour agir véritablement et transformer discours en action ? Pourquoi cette réticence? 

D’une part, les Européens ne sont pas complétement d’accord sur ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas. L’acier est-il encore stratégique aujourd’hui ? Si oui, quelles productions précisément ? Par ailleurs, entre eux, ils n’arrivent guère à construire des groupes paneuropéens à la gouvernance équilibrée, comme on le voit avec les difficultés de la fusion Luxottica-Essilor, ou de l’alliance Air France-KLM. 
D’autre part, les milieux économiques européens restent fondamentalement libéraux en la matière. Le droit d’acheter ou de vendre une entreprise, celui de bouger ses capitaux d’un pays à l’autre, paraissent indiscutables. Le patronat européen n’est pas vraiment demandeur de protectionnisme. Il est pleinement engagé dans la mondialisation, et il ne veut bien sûr par couper des marchés des pays qui seraient victimes du protectionnisme européen.
Enfin, s’il existe une vision protectionniste, elle est entièrement confinée à quelques experts, à une partie du grand public, à une partie des électeurs. Beaucoup d’Européens voudraient que leur propre emploi soit protégé de la concurrence internationale, mais, en pratique, les consommateurs européens sont friands de biens et de services produits hors d’Europe. 
Donc, pour l’heure, le protectionnisme reste essentiellement une arme de la démagogie auxquels recourent les partis politiques, y compris les plus centraux, pour attirer à eux les électeurs. De fait, il faut remarquer que, dans un pays comme la France, elle parait presque universellement utilisée – d’où ce sentiment de hiatus entre des discours protectionnistes qui prolifèrent et des pratiques des élites économiques et politiques et des consommateurs qui ne vont pas vraiment dans cette direction. 
Enfin, sur un plan plus général, cela traduit le fait que, pour réduire vraiment les échanges internationaux, cela correspond à ce stade de l’intégration des économies du monde entier une radicalité, qui ne correspond en réalité qu’aux réflexions écologiques ou éco-socialistes les plus poussées. Le reste du protectionnisme correspond plutôt à du libre-échange instrumentalisé.

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