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L'Europe a-t-elle encore une raison d'être ?
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Canard sans tête

L'accord obtenu lors du sommet européen de Bruxelles peine à cacher les difficultés des différents pays membres à poursuivre une vision commune de l'Europe. Entre un processus décisionnel flou et des efforts importants à mener par la France pour réduire ses dépenses publiques, les défis à surmonter semblent encore devant nous.

Jean-Thomas Lesueur

Jean-Thomas Lesueur

Titulaire d'un DEA d'histoire moderne (Paris IV Sorbonne), où il a travaillé sur l'émergence de la diplomatie en Europe occidentale à l'époque moderne, Jean-Thomas Lesueur est délégué général de l'Institut Thomas More

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Atlantico : Le sommet de Bruxelles a accouché d’un accord au forceps. Mais les problèmes sont-ils vraiment désormais derrière nous ?

Jean-Thomas Lesueur : L’accord obtenu lors du sommet de Bruxelles ne suffira évidemment pas. On ne pouvait sans doute pas faire beaucoup plus ni beaucoup mieux, mais l’échéance d’un prochain traité en mars prochain est beaucoup trop éloignée et les décisions prises insuffisantes pour rassurer durablement les marchés. On n'a donc rien résolu sur le fond. On a même compliqué les choses sur un plan institutionnel et politique, avec un traité intergouvernemental « à côté » des dispositions communautaires, avec certains pays et pas d'autres, la valse des communiqués qui nous disent que cela se fera à 17, puis 23, puis 26...

L’Europe se rend encore un peu plus illisible à elle-même, aux Européens de la rue et au reste du monde. Les relations se tendent encore un peu plus avec le Royaume-Uni, et plus personne n’y comprend rien : où se situe désormais la décision ? La Commission a disparu des radars…

Les propositions allemandes étaient sans doute plus conformes à l’esprit européen communautaire, mais l’urgence a fait que, sur la méthode, une fois de plus c’est plutôt la tendance française incarnée par Nicolas Sarkozy de l’intergouvernementalité qui l’a emporté. Par-dessus le marché, ce vendredi en se levant, on a entendu parler de l’intégration de la Croatie dans l’UE que tout le monde avait oubliée... J’imagine que Madame Michu doit se dire « C’est quoi ce délire ?! ».

Finalement, nous nous trouvons ce week-end dans une situation bien difficile à décrypter... Permettez-moi de reprendre le mot de Pierre Manent qui demande à l'Europe, avec autant de constance que de mélancolie, de « dire qui elle est ».



Comment expliquer de telles difficultés pour sortir de la crise ?

D'abord, les réalités politiques nationales priment, encore et toujours, sur le reste. Certains ont de fait des doubles agendas, avec des échéances électorales qui viennent se greffer sur l’agenda européen. Je pense à la présidentielle française par exemple… Ensuite, et plus fondamentalement, les partenaires européens parlent de moins en moins de la même Europe.

Si vous êtes français, vous pilotez sur le mode intergouvernemental, vous vous servez du « couple franco-allemand » à toute les sauces pour maintenir votre centralité et votre poids, vous manquez de vision mais pas d'initiatives. Si vous êtes allemand, vous restez droit dans vos bottes, vous ne voulez pas mutualiser les dettes, vous ne voulez pas des Eurobonds, vous parlez de rigueur budgétaire, vous êtes une force immobile. Si vous êtes anglais, vous vous dites « Sauve qui peut de ce maelström », vous ne voulez entendre parler que du marché unique et de rien d'autre. La « cause commune », qui a fait sens de la fin de la deuxième guerre mondiale à la chute du mur de Berlin, a disparu et on n'a pas su la remplacer.

Enfin, j'y reviens et c'est évidemment lié, on n'a toujours pas choisi entre l'Europe communautaire (à vocation fédérale) et l'Europe intergouvernementale (où la souveraineté demeure aux États-nations). Fondamentalement, il n'y a que ces deux modèles possible. Dans l'urgence de la crise, la logique communautaire à 27 (et son corollaire qu'est la recherche du compromis) est battue en brèche par l'efficacité de la logique intergouvernementale (qui, au passage, correspond aussi sans doute mieux au tempérament de Nicolas Sarkozy).


Que va-t-il se passer dans les jours à venir ?

Je doute que les décisions prises lors du sommet de Bruxelles suffisent à calmer les marchés. Tout le monde sait que le principal ressort des marchés, qui sont grégaires par nature, est la confiance. Le spectacle donné par le sommet de Bruxelles ne me paraît de nature à en redonner beaucoup ! Je doute que dans les prochains jours ou les semaines qui viennent, tout soit apaisé et que – comme l’a espéré ce vendredi Nicolas Sarkozy – ça en soit fini des Conseils qui durent des nuits entières. Il n'y a pas lieu d'être optimiste.



Mais alors que faire ?

Je vois deux initiatives à prendre : qu'on y soit favorable ou non sur le principe, les eurobonds vont s’imposer d’eux-mêmes. Les réticences allemandes ne sont pas tombées cette fois-ci mais, comme l'histoire n'est pas finie, je pense qu'on y reviendra.

Une autre initiative qui aurait du poids, ce serait l'annonce par la France d'un vrai plan de baisse des dépenses publiques pour le prochain quinquennat. Évidemment, d’un point de vue électoral, c’est délicat à six mois de la présidentielle… C’est dommage, parce qu'avec l'annonce
d'un plan de désendettement de 100 milliards sur 5 ans, par exemple, quelque chose de vraiment ambitieux, la France enverrait un signal fort
à la fois aux marchés et aux Allemands. Elle retrouverait un peu de crédibilité. Il faut rappeler que cette crise est une crise des dettes
souveraines et que les premiers responsables en sont les États et la vie à crédit qu'ils se sont autorisée, et qu'ils ont autorisé à leurs
peuples, depuis bientôt quarante ans.

L'effort à produire par la France est au moins de 100 milliards. En effet, à pourcentage de PIB équivalent, nous dépensons entre 150 et 200 milliards
d'euros de plus par an que les Allemands. Et hors intérêt de la dette, la France est structurellement en déficit là où l'Italie ou d'autres pays européens ont un excédent. Vous conviendrez qu'on est loin des 10 milliards annoncés par François Fillon en août et octobre derniers – qui d'ailleurs était plus des plans d'augmentation de la pression fiscale et pas de baisse de la dépense. C’est cela, le vrai sujet pour notre pays et on ne s’y est pas sérieusement mis.



Le vrai défi ne consiste-t-il pas également à convaincre le Royaume-Uni de signer le traité ? Comment faire ?

En terme d'affichage politique, si, bien sûr : si l'Europe était capable de montrer un front uni et déterminé sur des objectifs clairs, ce serait bien mieux. On peut toujours rêver. Mais je pense qu'on s'épuise un peu vainement sur cette question des traités dont je doute qu'elle puisse sérieusement convaincre ou calmer les marchés.

Le vrai sujet, j'y reviens, ce sont les racines de la crise : l'endettement excessif de bien des pays européens, à commencer par la
France. Faut-il rappeler que les marchés s'inquiètent pour la raison simple qu'ils sont les débiteurs de ces États ? C'est plus difficile et
peut-être plus douloureux, mais c'est exactement comme pour une personne : quand votre compte est longtemps dans le rouge, votre banquier vous enquiquine toutes les semaines ; si vous lui montrez que vous faites des efforts, il vous laisse tranquille. Pour répondre à votre question, le vrai défi, c'est donc les efforts qui sont devant nous...

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