Que fait la crise de leurs 20 ans ? Une génération européenne laminée...<!-- --> | Atlantico.fr
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La part des jeunes espagnols et allemands au chômage atteint ainsi respectivement 8,1 et 49,6% dans ces pays !
La part des jeunes espagnols et allemands au chômage atteint ainsi respectivement 8,1 et 49,6% dans ces pays !
©Reuters

Génération Z

Les chiffres du chômage en Europe continuent de s'aggraver. Et les plus touchés sont les jeunes, qui s'enfoncent dans la précarité : les séquelles pourraient se faire sentir sur la totalité de leur carrière.

Antoine Math

Antoine Math

Économiste à l'Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES).

Spécialiste des politiques sociales européennes, des retraites et des revenus des personnes privées d'emploi.

 

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Atlantico : Tous les indicateurs du chômage en Europe sont au rouge. S’ils varient de 4 à 6% en Allemagne et jusqu’à 16 à 22% en Espagne, à chaque fois ils touchent particulièrement la génération des 16-25 ans. La part des jeunes espagnols et allemands au chômage atteint ainsi respectivement 8,1 et 49,6% dans ces pays ! Peut-on parler de génération sacrifiée ?

Antoine Math : Dans toutes les crises, les jeunes, qui sont à l’entrée du marché du travail, se retrouvent au cœur des transformations de celui-ci. Les pratiques des entreprises et les règles d’embauche changent. Les jeunes sont ceux qui expérimentent cette nouveauté et qui sont les premiers touchés. En pleine crise, ce sont eux, surreprésentés dans les catégories précaires de l’emploi (intérim, mi-temps, contrat à durée déterminée), qui se retrouvent doublement affectés. D’une part, ils sont touchés par la baisse des flux d’embauche, aussi bien dans le public que dans le privé, et d’autre part par le non renouvellement de CDD, facteur principal de l'augmentation du chômage.

Des études ont montré l’impact à long terme d’une période de crise sur les générations qui sont nées au mauvais moment. Ceux qui arrivent sur le marché de l’emploi lors d’un creux économique subissent des conséquences en termes de plan de carrière et de niveau de salaire. Dix ou vingt ans après, selon que vous ayez commencé à travailler pendant une période faste ou pendant une période difficile, vous ne progressez pas de la même manière. Les effets négatifs ne sont jamais totalement rattrapés.

Plus inquiétant, ces effets ont été observés sur la période 1993-1997, qui a vu le chômage s’envoler pendant 4-5 ans. Or la situation que nous traversons aujourd'hui est bien plus inquiétante qu'une simple conjoncture difficile. Les ressorts d’une crise durable peuvent avoir un impact encore plus important à long terme sur toutes les générations qui arrivent sur le marché du travail actuellement. On peut donc se poser la question : quid des conséquences d’une décennie de croissance atone ?

Y a-t-il des politiques, en Europe, qui permettent de limiter les dégâts sur la jeune génération ?

Globalement, les solutions ne sont pas dans des dispositifs d’incitation à l’emploi mais dans des politiques macroéconomiques globales. Pour simplifier, si votre économie plonge, vous pouvez difficilement offrir des emplois à vos jeunes. Le principal déterminant de l’emploi des jeunes, c’est une politique budgétaire, économique et financière qui soit positive. Les études ont montré qu’il ne fallait pas négliger le secteur non marchand. Quitte à encourager l’emploi des jeunes, il faut le faire aussi dans ce domaine pour éviter le basculement des plus défavorisés sur le marché de l’emploi. S’ils ont comme inconvénient d’être coûteux, ils le sont moins que de laisser s’enfoncer durablement une partie de la jeunesse dans l’exclusion professionnelle.

Il y a d’assez grandes différences entre les pays européens. La crise n’a pas frappé tout le monde de la même manière. En Irlande ou en Grande-Bretagne par exemple, l’emploi a été rapidement touché, bien avant la faillite de Lehman Brothers à l’automne 2008. Selon les structures économiques, l’ampleur des répercutions sur l’emploi n’a pas été la même. Dans les pays où la finance et l’immobilier jouaient un rôle économique important, l’impact sur l’emploi a été plus visible. C’est le cas en Espagne. Certains pays ont mieux résisté aussi parcequ’ils avaient des outils de flexibilité de l’emploi qui leur ont permis de s’adapter. Des mécanismes de chômage partiel par exemple ont servi en Allemagne ou en Italie. Les salariés ne sont pas licenciés mais travaillent moins. Ce type de politique permet d’atténuer l’impact sur l’emploi.

Depuis 2010, certains pays ont mis en place des politiques d’austérité particulièrement fortes, comme la Grande-Bretagne et l’Irlande. D’autres ont par contre pu observer une légère amélioration sur le marché du travail : Allemagne, Autriche ou Belgique.

Les jeunes Allemands pourraient donc être sauvés ?

Non. Si le taux de chômage en Allemagne n’a pas énormément augmenté, la précarité a malgré tout largement évolué. Les formes de flexibilisation sur le marché du travail se sont multipliées et la pauvreté laborieuse s’est accentuée. L’Allemagne s’en sort bien sur le plan macroéconomique : grâce à des excédents commerciaux excédentaires, elle a pu absorber la récession. Mais cette bonne performance est aussi le fait d’une précarisation de l’emploi en général et en particulier chez les jeunes.

Et pour les Français ?

Tous les indicateurs de pauvreté, chez les jeunes, sont à la hausse. L’accès à l’emploi, la précarité des contrats, la situation sociale générale de cette génération évoluent de manière négative. En France, sans être au niveau de l’Espagne ou du Portugal, on observe des conditions de vie chez les jeunes qui sont inquiétantes. D’autant plus inquiétantes que ces niveaux sont déjà atteint dans certaines régions, à commencer par les départements d’outre-mer où le niveau de chômage des jeunes a déjà dépassé par endroit les 50%.

Certaines politiques ont été écartées pour des raisons budgétaires. Les plans de rigueur ont réduit la marge de manœuvre des politiques publiques : impossible par exemple de mettre en place des revenus d’autonomie pour éviter que trop de jeunes ne sombrent dans l’exclusion. Par ailleurs, pour des raisons idéologiques, certains types d’emplois aidés, mal vus en France, ont été mis de côté. Seuls quelques dispositifs minimalistes ont été mis en place dans le secteur marchand.

Pour ce qui est de l’accès à l’emploi, il est possible de mettre en place des politiques d’encouragement à l’embauche. Là aussi, pour des raisons budgétaires et idéologiques, on a écarté le secteur non marchand. Il n’y a pas eu ce type de démarches pour les associations par exemple, alors que c’est une mesure souvent plébiscitée en période de crise pour éviter de trop perdre en capital humain. Seul le secteur marchand est soutenu avec des emplois aidés. Ces dispositifs ne fonctionnent malheureusement pas en période de crise et ont même des effets pervers.

Ces mesures « pro-cycliques », se sont multipliées. Pour simplifier : elles n’incitent pas une entreprise dont les carnets de commande sont vides à embaucher, même avec une aide alors qu’en cas de croissance, elles ne feraient que soutenir des sociétés qui auraient de toute façon besoin de recruter. C’est le cas par exemple du dispositif proposé au printemps 2009. Le président de la République a mis en place une prime à l’embauche des stagiaires. Les entreprises pouvaient recevoir 3000 euros lorsqu’elles offraient un CDI à leurs stagiaires. Effet d’annonce : pour 150 millions d’euros, 50 000 jeunes devaient bénéficier de la mesure. Bilan de cette politique d’encouragement, après étude de ses résultats : pour 20 millions d’euros, seuls 7000 jeunes en ont profité. 85% de ceux qui en ont profité avaient au moins bac +3 et avaient des chances d’être embauchés, même sans aide de l’Etat.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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