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Eugénie Bastié : “On doit proposer des alternatives concrètes à l’avortement, comme l’ouverture de centres d’aides à la grossesse”
©Reuters

200 000 IVG par an depuis 40 ans

A l'occasion de la sortie de sou ouvrage "Adieu mademoiselle, la défaite des femmes", Eugénie Bastié revient sur les combats du féminisme contemporain, ses contradictions (réelles) et ses erreurs. Comme celui d'ériger l'avortement comme un progrès social sans défaut ; quand un grand nombre de femmes en souffrent.

Eugénie Bastié

Eugénie Bastié

Eugénie Bastié est journaliste au Figaro et essayiste. Elle est l'auteur de deux ouvrages, Adieu mademoiselleLa défaite des femmes (Cerf, 2016) et Le Porc émissaire. Terreur ou contre-révolution (Cerf, 2018).

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Atlantico : Dans votre livre "Adieu mademoiselle, la défaite des femmes", vous rappelez que la loi Veil de 1974 sur l'IVG était "une concession au réel". Quelle était l'esprit de cette loi, et que voulez-vous dire par là ?

Eugénie Bastié : Je cite Simone Veil, à la tribune de l’Assemblée nationale : " L’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. " Elle ne parle pas une seule fois de " droit " mais de situation d’urgence absolue, face au sort de milliers de femmes qui allaient de toute façon avorter dans des conditions épouvantables. Il est frappant d’entendre les féministes actuelles expliquer que Veil avait dû faire ces concessions à l’époque à cause du patriarcat tout puissant. Elle aurait, selon une réécriture orwelienne de l’histoire, pratiqué une sorte de " taqyia " féministe pour tromper ses adversaires. Ce qu’elle voulait en réalité, c’était le droit à l’avortement, nous disent-elles pour justifier le récent " toilettage " de la loi. Je crois l’inverse. La loi Veil est une loi de santé publique, pas une loi sociétale. Je cite encore Pasolini, qu’on ne peut pas accuser de bigoterie, qui écrivait à la même époque: " Je suis contre l’avortement, mais pour sa légalisation ". Il s’érigeait contre le " triomphalisme " des féministes qui, en faisant de l’avortement un " droit fondamental ", en oubliant le caractère sacré de la vie et le mystère de la filiation, ajoutaient leur pierre à l’entreprise néolibérale de marchandisation du vivant. 

>>> A lire aussi : "Adieu mademoiselle" : pourquoi les périls qui menacent vraiment les femmes d’aujourd’hui sont ignorés (quand ils ne sont pas promus) par un néo-féminisme devenu orwellien

Comment a-t-on glissé de ce sens premier d'une dépénalisation dans certains cas précis impliquant une situation de "détresse" à un "droit fondamental" ? En quoi, concrètement, considérez-vous qu'il s'agit d'une "absolutisation de l'individu" ?

On feint de croire qu’il s’agit d’un acte banal, tout en sachant qu’il s’agit au mieux d’un échec, au pire d’un drame. On tranche entre la vie du fœtus et la vie de la mère, au nom d’un certain pragmatisme qui confine à l’arbitraire. Ce qui est insupportable, c’est de sacraliser et " fondamentaliser " ce compromis. C’est exactement ce qu’a fait la loi Najat Vallaud Belkacem en supprimant le mot " détresse " et le délai de réflexion afin d’ériger en droit une concession. 

Dans quelle mesure la suppression récente du délai de réflexion entre les deux rendez-vous précédant un avortement est-elle selon vous la preuve que "les néoféministes (...) infantilisent la femme, la jugeant comme une éternelle mineure, incapable de faire des choix éclairés, en connaissance de cause, et trop sensibles pour résister à la pression de la société" ?

On supprime le mot " détresse " de la loi, en imaginant qu’en éradiquant le mot on évacuera la souffrance. On supprime le délai de réflexion parce qu’il représenterait une tentative insidieuse de culpabilisation de la femme. Si vous allez acheter un micro-ondes chez Darty vous avez une semaine pour vous rétracter. Mais le choix de donner ou pas la vie devrait faire l’économie d’une réflexion ?  Pour les féministes, les femmes sont d’éternelles mineures, incapable de choisir en connaissance de cause. Elles sont tellement fragiles qu’il s’agirait de les préserver de la propagande pro-vie d’atroces " obscurantistes ". Cela trahit un mépris absolu de la liberté des femmes. 

Si vous ne voulez pas interdire l’avortement, que proposez-vous donc ? 

Toutes les femmes qui ont avorté ne souffrent pas, mais une part substantielle d’entre elles, oui. Les féministes n’en parlent jamais. Elles ne parlent pas de ces femmes qui sont obligées à ce geste par leurs compagnons. Or, si le patriarcat gît quelque part, c’est bien là ! Les féministes ont beau se lamenter sur de prétendus " obstacles " à l’avortement, il y a 200.000 IVG par an en France depuis 40 ans. Ce nombre ne baisse pas malgré la diffusion de la contraception. J’appelle cela un problème. Et je crois que la baisse du nombre d’avortements devrait être un objectif de politique publique. Qu’on ne se méprenne pas : contrairement au Planning familial, je suis authentiquement pro-choix. Les deux options doivent être présentées de façon équilibrée aux femmes. Et on doit proposer des alternatives concrètes à l’avortement, dont l’ouverture de centres d’aides à la grossesse comme  il en existe aux Etats-Unis.

Quel paradoxe voyez-vous dans le fait que "Najat Vallaud-Belkacem consacre en l'avortement un droit et pourchasse en la prostitution un crime", au point de pénaliser les clients de prostituées par une loi finalement votée cette semaine à l'Assemblée ?

Faire de l’IVG un droit fondamental et pénaliser le client de prostituées relève de la même idéologie, celle d’un effacement progressif du " négatif " dans nos sociétés. La prostitution, c’est mal, il faut donc l’interdire. L’avortement, c’est bien, il faut donc le célébrer : une mécanique manichéenne, où le droit est là pour canoniser la tendance, où les zones grises, qui échappaient avant à l’empire du droit et du marché, sont progressivement envahies par l’envie de pénal (Muray) et le besoin frénétique de reconnaissance.

Il a cependant un paradoxe : on ne peut pas dire " mon corps m’appartient " au sujet de l’avortement, et décréter ce slogan caduc au sujet de la prostitution. Cela revient à dire que le vagin des femmes ne leur appartient que pour peu que la vie y apparaisse. Je remarque simplement que pour défendre la GPA, en 2010, Najat Vallaud Belkacem écrivait " Quant a` l’argument de la dignité´, trop souvent galvaudé, il a fini par s’émousser ". C’est ce même argument qu’elle reprend pourtant pour plaider l’abolition de la prostitution. Pas de problème pour louer son utérus, mais haro sur le vagin!  C’est symptomatique du glissement d’un féminisme utérin, fondé sur la maternité à un féminisme clitoridien, axé sur la jouissance et  la hantise du viol. 

Vous évoquez à de nombreuses reprises dans votre livre "le privilège féminin de la maternité". L'inégalité entre les sexes, que conteste inlassablement le féminisme, résiderait-elle donc dans la capacité des femmes à porter un enfant, ou à interrompre une grossesse ?

En attendant l’utérus artificiel que nous mijote la Syllicon Valley, la maternité constitue la preuve la plus saillante et charnelle de l’asymétrie des sexes. " Son malheur, c’est d’avoir été biologiquement vouée à répéter la Vie ", écrit Simone de Beauvoir dans le Deuxième sexe. Je crois au contraire que c’est sa chance. Sa faiblesse et sa force. La maternité est une potentialité, pas un devoir bien sûr. Reste que c’est pour le moment l’apanage de la femme, et qu’on ne peut pas penser la liberté et les choix de celle-ci en évacuant cette question. 

Quelle liberté reste-t-il alors aux hommes dans le choix d'avoir un enfant ou non ?

Certes, le pouvoir de la procréation est tout entier entre les mains de la femme, c’est elle qui décide quand elle veut avoir un enfant et avec qui, mais cette liberté se paye d’une immense servitude à la technique. C’est elle qui avale chaque jour des hormones, qui modifie son corps, qui loue son ventre et détruit la chair de sa chair, ce n’est pas l’homme. Aujourd’hui, on nous annonce que la " pilule de demain " sera la congélation des ovocytes. Le slogan " un enfant si je veux, quand je veux " sera enfin réalisé. La femme pourra suspendre son horloge biologique pour réussir sa carrière, puisque le credo de l’époque veut que la réussite d’un être humain se mesure à son compte en banque plutôt qu’à sa descendance.

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