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"Le suicide ne touche pas que les jeunes, c'est la première cause de décès chez les 45-50 ans"
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Spleen des quarantenaires

Une étude publiée ce mardi par l'Institut de Veille Sanitaire dresse un état des lieux du suicide en France. Plus d'un Français sur cinq y avoue avoir déjà tenté de se donner la mort au cours de sa vie.

Michel Debout

Michel Debout

Michel Debout est professeur émérite de Médecine légale et de droit de la santé, et psychiatre, au CHU de Saint Étienne. 

Il est membre associé du CESE et membre de l'Observatoire national du suicide, spécialiste de la prévention du suicide et des eisques psycho-sociaux au travail. Il est auteur de nombreux ouvrages dont "Le traumatisme du chômage"  (editions de l'Atelier, 2015) et "Le Renouveau démocratique : placer la santé au cœur du projet politique" (éditions de l'Atelier, août 2018).

 

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Atlantico : Une étude récente de l'InVS montre que plus d’un Français sur 5 (entre 15 et 85 ans) ont déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie, mais « seulement » 0,5 % de la population sur l’année écoulée. Les chiffres sont-ils alarmants, malgré ce paradoxe ?

Michel Debout :Ces statistiques montrent avant tout que le suicide n’est pas une question marginale, mais doit bien être une préoccupation de santé publique.

Si on rapporte aux 65 millions de Français environ, la proportion est tout de même importante : cela fait tout de même 325 000 personnes ! En revanche, ces chiffres n’apportent pas vraiment de nouveauté, en ce qu’ils ne semblent heureusement pas progresser sur la dernière décennie, ou très légèrement. La DREES (Direction des études au Ministère de la Santé) donnait des niveaux un peu inférieurs, il y a six ou sept ans. La population a augmenté, le nombre de tentatives de suicide aussi, mais en liant les deux on s’aperçoit que la proportion est à peu près équivalente.

On doit aussi considérer que le nombre de tentatives de suicide est plus élevé que celui des personnes qui tentent de se donner la mort : certains font en effet plusieurs tentatives.

On voit aussi que les femmes sont plus concernées par les tentatives de suicide…

Là encore ce n’est pas nouveau. Il y a deux explications à cela : la première est que la femme qui tente de se suicider utilise plus volontiers, comme mode de suicide, la prise de médicaments. Cette méthode, heureusement, laisse plus facilement la survie qu’elle ne provoque la mort. Le mode qu’elle retienne est ainsi moins mortel que ceux qu’utilisent plus fréquemment les hommes. La deuxième raison touche au problème de l’adolescence. Les tentatives de suicide chez les femmes sont plus nombreuses chez les jeunes (15-20 ans). Chez les garçons, l’expression du mal-être adolescent trouve d’autres terrains d’expression : l’ivresse, parfois mortelle, la délinquance, les agressions, les réactions de violence en général…

Le deuxième pic de tentatives de suicide chez les femmes sévit dans les 40-50 ans. C’est ainsi un nouveau changement qui s’annonce, une troisième vie, avec les enfants qui partent, parfois une séparation d’avec le conjoint, et même la ménopause qui s’installe.

Mais en outre, et je crois que cette étude n’en parle pas, il existe un pic de mortalité par suicide dans ces tranches d’âges. La mortalité par suicide est la première cause de décès autour de 45-50 ans, devant les accidents (source : INSERM) Ce constat inquiétant implique une prise de conscience : le suicide des jeunes est évidemment très préoccupant, mais les tentatives aussi, car elles vont fragiliser la personne. En outre on doit absolument s’occuper plus assidument du suicide des adultes.

L’étude met en exergue des différences géographiques dans la répartition des tentatives de suicide…On y voit notamment que les régions du Nord et de l’Est sont spécialement concernées par ce problème. Une application de la théorie des climats ?

Dans ces régions il y a des facteurs connus liés au suicide. Ce sont des régions où la crise sociale est plus forte, où l’addiction à l’alcool est plus importante qu’ailleurs. Le facteur du climat n’est pas forcément le plus probant, mais il peut néanmoins être pris en compte. Mais ces différences de statistiques sont plutôt liées aux facteurs sociaux, aux habitudes de vie, au problème d’accès aux soins…

Les pensées suicidaires sont assez importantes (3,9 % de la population sur les douze derniers mois). Est-ce rassurant, dans le sens où les gens y pensent mais ne passent pas à l’acte, ou alarmant, en ce qu'un nombre important de personnes pense au suicide ?

Une pensée suicidaire ce n’est pas juste avoir une idée passagère du suicide, mais plutôt réfléchir à son propre suicide. En l’an 2000 avait été effectuée une étude similaire sur les pensées suicidaires. Le chiffre obtenu était de 13 % de la population, mais sur l’ensemble de la vie. Sur l’année écoulée le ratio était déjà équivalent. Là encore c’est une constante. La crise actuelle n’a rien rajouté à cela. Le suicide est un problème alarmant, mais cette étude ne l’est pas plus que les précédentes.

Mais à y bien regarder, en 2009 comme en 2008, le nombre de morts par suicide était à peu près identique, de l’ordre de 10 000 décès. C’est important de le souligner car durant les 10 années précédentes, on a vu une baisse progressive de ce chiffre, alors que depuis 2008, il ne baisse plus et demeure constant. Est-ce un premier signe d’alerte ? La vraie question est là. Les répercussions de la crise économique de 2008, notamment sociales, se sont ressenties en 2010, à l’instar de la crise de 1929, dont l’impact sur le nombre de suicide a été différé de deux ans, soit en 1931. Voilà ce qu’il serait primordial de savoir : les chiffres de 2010, que cette étude ne donne pas. Et si la France était dotée d’un observatoire du suicide digne de ce nom, on ne serait pas aussi attentistes. La réponse à la crise ne peut être seulement économique et financière. On doit également y apporter une réponse humaine et sanitaire. 

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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