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Et une entreprise suédoise implanta des micro-puces dans les mains de ses salariés
©DR

Science-Fiction

Une entreprise suédoise a décidé d'injecter une puce électronique de la taille d'un grain de riz dans la main de certains de ses salariés. Un dispositif électronique qui leur permettra, par exemple, d'utiliser la photocopieuse ou de payer à la cantine ... Seulement, au-delà de l'aspect pratique et innovant, cette micro-puce n'est pas sans poser un certain nombre de questions. Au sujet de ses possibles dérives, notamment.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Quand on entend parler de la décision de cette entreprise, on pense directement aux films de science-fiction qui représentent des hommes "pucés" comme des chiens. Les possibles dérives, en matière de vie privée et de surveillance, nous viennent directement à l'esprit : un niveau supplémentaire vient-il ici d'être franchi ?

Fabrice Epelboin : Oui et non. D'un point de vue symbolique, cela choque les personnes qui ne s'y connaissent pas trop dans ce domaine. Mais on fait déjà ça avec les animaux et sur les humains il y a déjà eu des tentatives : aux Etats-Unis par exemple, pour pucer les enfants, mais cela avait échoué. Cela dit, vous avez dans votre poche un téléphone portable qui remplit déjà cette fonction. Après, avec l'implantation d'une puce dans le corps, on passe un stade, malheureusement on tend vers cela.

Symboliquement l'acte est violent, mais il est sûr que dans la décennie qui vient, un évènement fera que la population acceptera ce genre de choses. Si vous regardez ce a quoi elle consent dans la situation post-Charlie Hebdo, on voit que c'est totalement spectaculaire par rapport à ce qu'elle était prête à accepter avant les attentats. Aujourd'hui les sondages montrent que 71% de la population est prête à accepter une surveillance sans juge, seulement exercée par l'exécutif sur qui bon lui semble et quand bon lui semble. A la lumière d'un autre évènement violent, il est probable que la population puisse en venir à accepter les implantations de puces.

Avant tout, il faut savoir que nous sommes déjà dans les dérives dont vous parlez. La chose qui change c'est l'injection symbolique dans le corps, mais le fait d'être traçable à tout moment parce qu'on a un téléphone dans la poche choque, en général, beaucoup moins. Pourtant c'est rigoureusement la même chose. Idem, dans votre poche il y a une carte de crédit qui contient elle aussi une puce. La seule nouveauté c'est la matière étrangère dans le corps, mais la véritable dérive réside dans le fait d'associer un individu à un dispositif électronique qui permet de le traquer.

L'idée de ces puces est bien d'associer un dispositif technique à un individu qui certifie son identité. Il y a, bien sûr, toujours moyen de tricher avec cette identité, puce dans le corps ou pas. L'atteinte à la vie privée est là : la négation de la possibilité de se déplacer sans être traqué. Que l'autorité dont on parle soit une entreprise ou un Etat revient, plus ou moins, au même. On est purement dans une dimension symbolique qui fait qu'une personne qui n'aurait pas encore appréhendé la perte totale de sa vie privée, en prend conscience par l'atteinte au corps. En réalité tout cela est fait depuis longtemps.

N'est-on pas un peu alarmiste ? Ces puces, dans le cas de cette entreprise suédoise, sont là dans un but pratique, et non pas pour contrôler les gens …

Non, ce n'est pas vraiment cela. Ces puces ne sont pas ici pour faire quoi que ce soit, elles sont uniquement là dans un but : certifier une identité. Autour, dans votre environnement, vous trouverez des dispositifs techniques qui, eux, vont faire quelque chose à partir de cela : ouvrir une porte, par exemple. D'ailleurs, cela me rappelle quelque chose de similaire mis en place en Thaïlande il y a quelques années, on y implantait des puces dans les mains des séropositifs pour leur interdire l'accès à des boîtes de nuit. Dans les deux cas il s'agit de la même puce, seul le dispositif technique autour change. Aujourd'hui on peut vous implanter une puce pour ouvrir une porte, faire des photocopies, c'est "cool" et pratique, cela permet de ne plus s'encombrer d'une carte, mais demain le dispositif technique autour évoluera : la puce vous permettra de voter, et ainsi de suite. A la fin vous vous rendrez compte que vous avez totalement identifié votre identité à un dispositif technique intégré à votre corps et que vous n'avez donc plus le droit à l'anonymat. Or l'anonymat représente le contrat de base de tout système démocratique, sinon l'on voterait de façon publique. Mais, encore une fois, cela a déjà été fait, dans notre société actuelle il est très difficile d'être anonyme. Il s'agit là de la base du contrôle des populations.

En Suède il semble s'agir d'un épiphénomène, en France on n'assiste pas encore à de type de mécanisation extrême du monde travail. Va-t-on vers une révolution des puces dans l'entreprise ? Dans combien de temps ?

Si l'on regarde de près, encore une fois, nous y sommes déjà. Dans le monde de l'entreprise, on se promène toujours avec un badge, dedans il y a une puce, et on badge à tour de bras. C'est la même chose, mais en externalisé. Il s'agit de la même puce exactement, du même dispositif technique, soit externe, soit interne. L'enjeu aujourd'hui est de l'internaliser. Fondamentalement, il y  a déjà énormément d'entreprise où l'on passe son temps à utiliser son badge. La différence entre le badge et la puce dans le corps ne fait que frapper l'esprit, dans les conséquences il n'y a pas de différence. Je pense que cette entreprise suédoise a fait une bêtise car elle permet à beaucoup de gens de toucher du doigt la réalité du problème.

Nous sommes là dans une dimension réellement effrayante du phénomène des puces, quasi-carcérale. Ne peut-on pas voir des applications positives de ce dispositif ? Dans le domaine médical par exemple …

Bien sûr, il y a plein d'applications positives. De toute façon, pour qu'on accepte de se faire implanter une puce dans le corps, il faudra bien avoir des arguments de vente. Ces puces-là sont utilisées au quotidien depuis quelques années : dans les cartes de crédit, dans le badge qui ouvre la porte de votre immeuble, celui de votre entreprise etc. Elles nous rendent plein de service, comme payer sans contact ou autre. En médical également, car c'est le domaine où l'on a absolument besoin d'avoir accès à une identité certifiée, ce qu'on appelle "l'identification forte" : si demain quelqu'un a un accident de voiture et est inconscient, le fait de pouvoir apposer un dispositif technique à sa main pour avoir accès à son dossier médical est un grand plus. Maintenant il faut être conscient de ce qu'on y laissera en termes de liberté individuelle, pour moi ce prix s'appelle la démocratie.

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