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Et si le vrai scandale du cireur de chaussures de l’Elysée était qu'on s’en offusque : pourquoi les petits emplois seraient-ils donc indignes ?
©Reuters

Le Mépris

En même temps que ses révélations sur un potentiel conflit d'intérêts rencontré par Aquilino Morelle du temps où il était membre de l’Inspection générale des affaires sociales, le site Mediapart a jugé digne d'intérêt d'évoquer le recours régulier du désormais ex-conseiller de François Hollande à un cireur de souliers.

Atlantico : Le conflit d’intérêt dans lequel se retrouve plongé le désormais ex-conseiller de François Hollande Aquilino Morelle est teinté d’une autre « affaire », celle du recours aux services d’un cireur de souliers, qui venait tous les deux mois à l’Elysée prendre soin d’une trentaine de paires de chaussures, selon Mediapart. Mais le vrai scandale n’est-il pas qu’on s’en offusque ? Comment expliquer que le fait de recourir à un cireur soit choquant ?

Hubert Landier : D’une part, le conseiller du président a peut-être mieux à faire que passer du temps à cirer ses chaussures ; d’autre part, il fournit ainsi du travail à quelqu’un qui peut ainsi en vivre. Il faut d’ailleurs rendre hommage à ce cireur de chaussures pour son sens de la publicité. Ce qu’il y a d’anormal, c’est qu’on en fasse toute une affaire. En fait, c’est tout à fait significatif : d’une part, condamnation de ce luxe qui consisterait à donner ses chaussures à cirer ; d’autre part, mépris pour un « petit boulot » jugé dégradant. Le tout en mettant en cause un personnage supposé s’inspirer des idéaux de la gauche républicaine et égalitariste.

Guy Minguet : Je trouve que l’emploi du mot « petit métier » est en soit révélateur. Qu’est-ce qu’un petit métier ? Ce qualificatif renvoie nécessairement aux « grands métiers » que seraient chirurgien ou ingénieur. Mais cela ne veut en aucun cas dire que le métier d’infirmier, de sage-femme ou, dans le cas présent, de cireur, serait indigne.

Peut-on parler d’un mépris généralisé de certaines élites à l’égard des professions dites techniques, par opposition aux professions intellectuelles ? Ou bien est-ce un problème plus généralement français ?

Hubert Landier : Je me souviens avoir visité une entreprise japonaise avec des cadres dirigeants d’une grande entreprise française. Question de l’un des participants français au vice-président japonais qui nous recevait : « comment avez-vous fait pour devenir leaders mondiaux dans votre spécialité ? ». Réponse du VP japonais : « c’est, je crois, parce que nous avons appris à dire merci, à nos ingénieurs, à nos ouvriers et même à nos femmes de ménage. » Nous sommes, en France, plongés dans une société dont nous ne mesurons pas à quel point elle est élitiste.  Et cet élitisme est souvent perçu ailleurs dans le monde comme étant insupportable. Le résultat, c’est que cet élitisme et la morgue qui l’accompagne débouchent régulièrement sur de la révolte, venant de tous ceux qui se considèrent comme étant injustement méprisés.

Guy Minguet : Je ne parlerais pas d’un mépris de la part d’élites vis-à-vis de classes qui leur seraient inférieures, mais d’un mal spécifiquement français qui porte sur la distinction entre les travaux manuels et les travaux dits intellectuels. Dans notre pays, on le voit très nettement, les métiers manuels sont dévalorisés. Parce qu’on a fait des études techniques, et que l’on effectue un métier technique, on pratiquerait un « petit métier ». Mais c’est oublier que tout métier, quel qu’il soit, à une composante opérationnelle, et une autre, basée sur la réflexion. Nos voisins allemands, eux, ont une vision tout autre. Exercer un métier, c’est être un professionnel dans un domaine, un expert. Ils ont une culture du spécialiste, et ce à tous les niveaux.

Au risque de me répéter, je dirais que cette polémique émane d’une société française « boboïsée » qui fait le distinguo entre ce qui est technique et ce qui est intellectuel. Alors que la vie est faite de ces échanges de services et de rémunérations. On oublie qu’il faut de tout pour faire un monde ; cette distinction est véritablement stupide.

Ne devrait-on pas se réjouir que les professions de service, comme celle de ce cireur, soient sollicitées, et déplorer qu’il ait perdu un client en la personne de Monsieur Morelle ?

Hubert Landier : Il y a quelques mois, il y avait, à la station de taxis de la Gare St Lazare à Paris, un jeune homme d’une trentaine d’année qui, en tête de station, aidait les gens à monter en voiture, ouvrait et fermait les portières, fourrait les valises dans le coffre et veillait à la sécurité. Tout le monde l’aimait bien ; il vivait des quelques pièces que lui glissaient les clients et il gagnait ainsi sa vie en rendant un service apprécié. Il paraît qu’il a été déféré devant la justice pour « racolage sur la voie publique ». Sans doute aurait-il mieux fallu qu’il pointe à Pôle Emploi. On ne dira jamais à quel point en France le travail est méprisé dès lors qu’il ne s’inscrit pas dans le cadre de ce qu’on appelait les arts libéraux à l’époque de l’Ancien régime.

Guy Minguet : Dans le cas d’Aquilino Morelle, il est incompréhensible que le fait qu’il ait eu recours aux services d’un cireur de souliers fasse polémique, ou soit tout bonnement digne d’être rapporté dans la presse. Tout comme une personne qui se rend chez un cordonnier, ou emploie une personne pour faire le ménage à domicile, Monsieur Morelle a rémunéré une personne pour services rendus. Il est bien curieux de s’en offusquer.

Comment faire pour que les professions techniques soient moins déconsidérées dons notre société ?

Hubert Landier : Laissons les gens travailler et cessons de considérer qu’il y a les tâches nobles et celles qui ne le sont pas. Heureusement, les jeunes le comprennent de mieux en mieux. C’est « L’éloge du carburateur » de cet Américain, Matthew Crawford, qui a laissé tomber une belle carrière de lobbyiste pour s’installer comme réparateur de motocyclettes et qui s’en trouve bien. Je vois autour de moi de plus en plus de jeunes, et de moins jeunes, qui changent de métier par ce que ce que leur offre la France officielle a cessé d’être porteur de sens à leurs yeux, et qui se retirent pour faire autre chose, moins bien rémunéré mais qui leur permet de « prendre leur pied » dans ce qui les intéresse. Je connais ainsi un DRH, et non des moindres, qui était très fier, au lendemain de son départ à la retraite, quand il a réussi son CAP de menuisier. Il fait enfin ce qui lui plaît…

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