Et si le système de santé français avait besoin de bien d'autres choses pour être « sauvé » que de la promesse de 32 milliards d'euros faite par Gabriel Attal<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre a promis un investissement de 32 milliards d'euros supplémentaires pour le secteur de la santé dans les cinq ans à venir.
Le Premier ministre a promis un investissement de 32 milliards d'euros supplémentaires pour le secteur de la santé dans les cinq ans à venir.
©Bertrand GUAY / AFP

Ne pas regarder les faux problèmes

Les dysfonctionnements hospitaliers en particulier ceux des hôpitaux publics ne sont pas causés par un manque d’argent. Il faut regarder l’organisation et l’attractivité des métiers du soin.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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L’annonce lors d’un déplacement d’une dépense supplémentaire de 32 milliards pour le système de soins survient après un long silence depuis le départ de F. Braun qui n’a été expliqué ni par l’intéressé ni par l’exécutif. Durant ce laps de temps, A. Rousseau n’aura laissé comme trace que sa défense idéologique de l’AME et A. Firmin-Le Bodo un silence parfait de circonstance. Il aura donc fallu un premier ministre flanqué de sa nouvelle ministre de la Santé pour connaître le premier signe du nouveau gouvernement destiné au système de soins.

Une grande confusion sur les mots

Notons d’abord que le mandat d’Emmanuel Macron s’arrêtera en 2027. L’engagement de 5 ans du premier ministre n’est donc que sur 3 ans. Ensuite en arithmétique simple, 32 milliards d’euros sur 5 ans, cela peut être 5,4 milliards par an ou bien n’importe quel plan progressif ou dégressif. Il faudra attendre les lois de finance pour savoir. Sur l’utilisation de ces milliards, sans faire injure à notre ancien ministre délégué aux comptes publics, il faut bien différencier investissement et dépense de fonctionnement. Acheter ou louer une IRM ce n’est pas embaucher un agent hospitalier… Surtout gardons nous des assertions de la rhétorique de gauche qui sévit depuis 40 ans dans le milieu hospitalier : non l’hôpital ne se meurt pas. Non, il ne faut pas sauver l’hôpital… Pourquoi parce que ces “diagnostics” sont répétés depuis des décennies par les mêmes alors que les hôpitaux publics et privés (ils sont payés par le même argent des prélèvements obligatoires des Français) sont destinataires de montants élevés au regard de notre production de valeur (% du PIB) (Figure N°1). Il est donc factuellement faux de plaider comme un perroquet le manque de moyens financiers. Ce qui invalide aussi la demande de suppression de la T2A (tarification à l’activité) pour revenir à une dotation globale qui encourage les établissements à faible activité et pénalise ceux qui ont une activité soutenue. Les dysfonctionnements hospitaliers en particulier ceux des hôpitaux publics ne sont pas causés par un manque d’argent. Il faut regarder l’organisation et l’attractivité des métiers du soin.

Figure N°1: l’hôpital Français ne manque pas de moyens (DREES).

 Le diagnostice des dysfonctionnements du système de soins

“Vous pouvez ignorer la réalité, mais vous ne pouvez pas ignorer les conséquences de l'ignorance de la réalité …”

Ayn Rand

Un système jadis performant déstabilisé par l’État

Depuis des décennies l’État handicape ses administrations en leur imposant des réformes que ces administrations sont incapables de mettre en oeuvre:

-       Retraite à 60 ans (et même avant pour les salariés ou les libéraux. Rappelons nous du bonus pour partir, MICA et autres dispositifs qui ont coûté des centaines de millions d’euros)

-       35 heures obligatoires qui ont été très favorables aux salariés des services qui ferment le vendredi et rouvrent le lundi mais ont déstabilisé les activités qui fonctionnent 24h/24h, 7j/7j.

-       Surabondance de normes, les lois et règlements avaient été comptabilisés dans les années 2000 au delà de 36000

-       Étatisation totale avec la création de préfets sanitaires à la tête des très coûteuses ARS (Depuis 1996 en plusieurs étapes tellement cette bureaucratie est complexe)

De surcroît, l'évolution des soins sur le plan médical et technologique a approfondi le fossé entre ce que peut une administration (statut des hôpitaux publics) et une entreprise de production de soins de qualité tels que sont devenus les hôpitaux privés à but non lucratif ou commercial. L’hôpital d’antan s’est transformé à marche forcée en une entreprise high-tech mais il a les outils de gestion d’une administration produisant des cartes grises. C’est aussi devenu une entreprise complexe nécessitant un management performant pour maintenir une activité 24h/24h dans toutes les PME de l’hôpital (imagerie, bloc, réanimation, services, urgences, biologie etc). C’est aussi un casse-tête en raison du tarissement des vocations de soignants. De surcroît, l'hôpital fonctionne encore en autarcie ayant de nombreuses activités sans rapport avec le soin. Le maintien d’un nombre élevé de non soignants dans une entreprise dont le but est le soin est un gaspillage de moyens insoutenable. Cette situation demande des réformes structurelles. Or il n’est pas possible de mener à bien la restructuration et la mission dans le cadre d’une administration territoriale. Ce statut doit être changé et l’hôpital public devenir une entreprise détenue par l'État et les collectivités territoriales, gérée par un conseil d’administration responsable financièrement.

De toutes parts une résistance au changement organisationnel

Depuis les premières conventions médicales dans les années 1970 le paysage médical a été transformé par la technologie, la biologie et l’informatique mais l’organisation elle-même a tout fait pour résister à des réformes. Et elle a réussi.
Quelques exemples:

-       délégation des tâches: rien n’a avancé depuis le rapport Berland de 2003 et ce n’est que sous la contrainte que pendant la Covid-19, la pire pandémie depuis 1918, quelques tâches ont été déléguées aux infirmières et aux pharmaciens d’officine. Assurément pas assez et assurément dans les pires conditions.

-       Hostilité constante à prendre en compte les expériences étrangères: nous ne sommes pas les seuls à faire fonctionner des services d’urgence, des réseaux entre médecine ambulatoire et hospitalière ou bien une liaison immédiate entre rééducation/réhabilitation et soins aigus. Mais voilà, chaque fois ce qui marche à l’étranger est écarté ou méconnu pour choisir des solutions improbables qui bien qu’elles ne marchent pas perdurent des décennies. Il en est ainsi du tri aux urgences, de l'engagement des médecins dans les maisons médicales de garde, du retour à domicile au lieu d'un séjour en soins de suite assuré par une gestion des places sur tout le territoire enfin de l’urgence d’une formation médicale continue et recertifiante.

-       Impulsée par la Covid-19 la téléconsultation continue à balbutier car la désorganisation entre la sécu incapable de grader de s tarifs, les médecins qui contineunt faire déplacer les diabétqiues ou les hypertendus à leur cabinet et les pourvoyeurs de plateforme qui sont sans véritable concurrent est sans solution. Résultat : les téléconsultations stagnent.

-       Au cœur de cette résistance il y a l’assurance maladie qui est une assurance aux frais de fonctionnement élevés qui est pourtant débordée dans la gestion du risque. Qu’il s’agisse du dossier médical électronique, de la fraude et des abus des avantages en nature (indemnités journalières) le monopole n’a pas construit un modèle adapté à la médecine de consommation.

Figure N°2: La téléconsultation dans les pays de l’OCDE (OCDE). À noter que le Danemark et Israël ont des systèmes de soins où la capitation a une place importante.

La grève des vocations

Un individu qui s’engage dans une formation de plusieurs années avec des sacrifices acceptés est motivé par le désir de réussir ce qu’il ressent comme sa vocation. C’est vrai pour les infirmiers, les sages-femmes, les pharmaciens ou les médecins. Or il est manifeste que l'attractivité de ces métiers est en chute libre. C’est un phénomène mondial dans les pays développés car la vocation est annihilée par les conditions d’exercice; des rémunérations à la violence ou bien la pression fiscale font que l’arbitrage se fait en faveur des loisirs ou du choix d’une autre profession. Or il n’y a pas de système de soins sans soignants. En médecine ambulatoire, le médecin généraliste et l'infirmière libérale sont les deux gardiens de l’entrée du système. À l'hôpital, ce sont les infirmières et les aide-soignantes qui tiennent l’établissement. Derrière ces soignants de première ligne interviennent les spécialistes qui connaissent eux un tarissement sélectif des activités à risque. En chirurgie les activités à risque et nécessitant des opérations en urgence sont choisies en dernier. Cette tendance est à l'œuvre depuis longtemps. Nous sommes maintenant devant les conséquences. Or qu’a fait l’État? Il a aggravé la situation en maintenant le numerus clausus pendant plus de 40 ans dans un délire thaumaturgique. Je me souviens du chef de cabinet de Mme M. Aubry ministre des affaires sociales nous expliquant le miracle qui allait se produire grâce au numerus clausus: une baisse de la dépense de soins… Ensuite il a profité d’un système laxiste pour recruter des médecins extra-européens et permettre ainsi aux édiles de bomber le torse en affirmant qu’ils sauvent l’hôpital tout en allant eux-mêmes se faire soigner 100 km plus loin. Il a échoué par manque de volonté et de rigueur gestionnaire à marier les établissements redondants ou concurrents sur un petit bassin de population. Finalement cette raréfaction de la ressource soignante a rendu l’hôpital public encore moins administrable à cause de ses rigidités, de ses normes, de ses tours d’ivoire, de ses statuts extravagants. La seule adaptation qui fasse consensus au sein des différents potentats hospitaliers est la fermeture. Fermeture des salles d’opération, fermeture des urgences, fermeture de certains services, fermeture de l’imagerie… Or il faut le répéter, les 32 milliards ne pourront rien à court terme pour rendre attractifs les métiers du soins. En effet, il ne s’agit pas d’un travail qui se trouve “en traversant la rue”. Pire, les infirmières et même certains médecins se réorientent vers une autre profession après la fin des études. D’autres émigrent en Europe. Bref, il faudra plusieurs années pour relancer les vocations, notamment en médecine générale. Pour autant il faut souligner que le moyen le plus rapide de retrouver du temps clinique c’est que les médecins généralistes augmentent leur activité. Pour cela il faut que plusieurs points soient résolus:

-       Simplification drastique de la bureaucratie autour des actes de soins,  c’est peu coûteux mais difficile à obtenir de la sécu.

-       Décider qu’à partir d’une date la sécu envoie dans le Dossier Médical Électronique de ceux et celles qui l’ont ouvert TOUS les évènements associés à un remboursement par les Caisses de France métropolitaine, de Corse et des DOM TOM et leur contenu de texte. Ensuite mais rapidement les images.

-       Valoriser une assistante médicale par médecin à raison de 35 heures par semaine dans le tarif des consultations ou bien par une dotation annuelle

-       Rendre payants TOUS les certificats et autres documents à remplir et authentifier par le médecin traitant

-       Accepter les patients en ALD sans médecin traitant dans les clientèles actuelles des médecins généralistes ou spécialistes.

-       Remplacer les tarifs de consultation actuels par des tarifs reflétant la réalité de la consultation avec mention de la pathologie faisant l’objet de la consultation selon la CIM-11 (Figure N°3).

-       Favoriser par les tarifs la téléconsultation pour les maladies chroniques

Figure N°3: Tarifs ou prix moyens des consultations à l’étranger entre 2012 et 2014. Les Conventions médicales sont des accords insuffisants et biaisés. Dans aucun pays développés les tarifs Français ne seraient acceptés.

La répartition de la masse salariale et l’impasse du recrutement des soignants à l’hôpital public

L’administration hospitalière ne gère plus la masse salariale. En effet elle ne maitrise que très partiellement ce poste budgétaire qui dans les hôpitaux est au delà des 58% du chiffre d’affaires.

Tout d’abord le contexte de la fonction publique pour les salariés.

Figure N°4: Les fonctionnaires qui ont le plus de contraintes (gardes, travail de nuit et fins de semaine, risques divers) sont les moins bien payés (FIPECO)

D’une manière plus précise, les ressources humaines sont très mal réparties à l’hôpital public. Il y a d’abord un trop grand nombre d’employés non soignants. Certains fustigent les emplois administratifs. En réalité le sujet le plus important sont les emplois techniques. L’hôpital externalise de plus en plus de productions qui n’ont rien à voir avec les soins mais conserve les emplois qui ont été créés il y a des décennies pour ce faire. C’est considérable en termes de masse salariale et c’est insoutenable à terme car on ne peut pas mieux payer les infirmières si on ne fait des choix. Encore une fois le statut d'administration territoriale empêche de faire ces choix. Le nombre d’employés non soignants dans les hôpitaux privés à but non lucratif ou commercial est de moins de la moitié. Il faut donc prendre cette question à bras le corps et sur la durée. L’autre secteur hypertrophié est l’administration. C’est le résultat de l'auto prescription des emplois administratifs par le directeur de l’hôpital. Par rapport aux autres hôpitaux, le secteur public hospitalier a trois fois plus d'administratifs. C’est aussi insoutenable et incompréhensible. Enfin il y a aussi trois fois plus de cadres infirmiers. Ces cadres sont principalement occupés par les 35 heures et les arrêts de travail mais ces tâches ne sont pas spécifiques au public. Il faut donc là aussi gérer la ressource humaine si on veut embaucher des soignants à un niveau de salaire attractif.

La Convention médicale et la position du président de la république en faveur de la capitation

Le président de la République, avant le changement de gouvernement, a clairement signifié sa préférence pour la capitation au lieu du paiement à l'acte. On peut s'étonner d'une telle sortie alors même que rien n'a été initié dans le premier quinquennat. Pour autant la raison principale est l'incapacité du système actuel à favoriser la médecine de recours par rapport à la médecine de consommation, de convenance voire à la médecine parfaitement inutile. Sur ce point, l'assurance maladie, les syndicats de médecins n'ont pas de réponse. De quoi s’agit-il ? De nombreux patients ayant des pathologies graves sont soignés avec des délais importants car souvent leur entrée dans le système de soins est retardée. La médecine de recours doit être privilégiée sans que le patient ait à se rendre aux urgences bien évidemment. La capitation est une des solutions à cette croissance incontrôlée de la médecine de consommation à l'échelon du médecin généraliste. C’est alors le médecin généraliste qui optimise l’entrée dans le système et le recours aux ressources de diagnostic et de traitement. Pour autant, dans les détails la capitation est un système complexe. Tout d'abord dans les pays où elle existe; le paiement à l'acte n'a pas disparu. Il est simplement réservé à certaines situations ou à des consultations hors remboursement. Au-delà des arguments qu’a développés le président, la question de la faisabilité technique de la capitation est posée. En effet, en raison du nombre d'intermédiaires dans le mille-feuille de l'assurance maladie, des ARS, du ministère on peut douter de la possibilité d'organiser la capitation dans un délai bref. Or la Convention est actuellement sur la table en discussion entre les syndicats de médecins et l’assurance maladie.

Conclusion

Libérer l’hôpital pour le rendre efficace

En se basant sur les faits il est possible de rendre à l’hôpital public son efficacité à condition de libérer son énergie qui est celle des soignants. C’est un sujet de management c’est à dire d’organisation. Ce qui ne veut pas dire que ce soit les soignants qui gèrent, chacun son métier. Je ne souscris pas du tout à l’idée que les médecins soient de meilleurs gestionnaires de l’administration hospitalière au contraire. Ceci signifie par contre que le Conseil d’administration de l’hôpital décide dans son nouveau statut d’entreprise publique de qui le dirige et puisse se séparer de son PDG. Une suggestion intéressante associer un directeur des services professionnels ayant une formation de soignanst (Infirmier, sage-femme, médecin, pharmacien) au directoire de l’entreprise. Ce serait un remplaçant efficace du “président de la CME” qui est devenu une potiche aimable qui joue le rôle de GO du Club Médical car il n’a aucun pouvoir et surtout aucune information brute sur le fonctionnement et le budget hospitalier. Le coût de cette restructuration est faible car des marges importantes existent au niveau des emplois hospitaliers non soignants.

L’hôpital public abonné aux plans de sauvetage

De manière surprenante le jeune Premier ministre vient d’user de la plus vieille ficelle, arroser d’argent public !

Figure N°5 : Il s’agit bien d’un dysfonctionnement structurel pour lequel le changement de statut des hôpitaux est la solution adoptée en Europe. En France les établissements privés à but non lucratif sont un exemple du possible à condition d’avoir le courage de réformer.

Sans les changements structurels que nous avons exposés cet arrosage des budgets des hôpitaux publics (dont environ ⅓ sont déficitaires) et des autres acteurs de soins ne sera qu’un pansement antalgique politico-syndical, un “old business as usual but from a young leader” qui venait pourtant de lancer sa formule “action x 3 et résultats”. Il sera difficile de maintenir un tel rythme d’abondement de la dette des hôpitaux publics. Il faut rapidement que le déficit budgétaire soit traité comme pour les autres entreprises car le budget de l'État n’a pas vocation à pallier les mauvais résultats de la gestion des administrations. N. Sarkozy l’avait exigé dans son discours de Bordeaux mais les paroles sont restées lettre morte. En sera-t-il de même des engagements attachés à ces 32 milliards ?

La médecine ambulatoire et l’accès aux soins

Aujourd’hui, certains patients sont en perdition car leur accès au système de soins pour la médecine de recours est difficile. Toujours à partir du diagnostic du système il est possible d’obtenir un meilleur fonctionnement de la médecine ambulatoire comme nous l’avons détaillé mais avec un coût supplémentaire. Introduire sur une base volontaire la capitation correspond à la flexibilité que l’on est en droit d’attendre d’un assureur. C’est en particulier une solution aux difficultés des patients qui ont une pathologie grave car le médecin modère la demande de médecine de convenance et les traitements inutiles. Mais au final la sécu est-elle capable de faire une offre différenciée ? Rien n’est moins sûr.

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