Et si le seul sujet VRAIMENT intéressant du budget 2024 était celui que personne n’aborde<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La hausse des taux longs que nous observons depuis un an et demi est, de fait, une réaction mécanique (mais réticente) à la politique de la BCE.
La hausse des taux longs que nous observons depuis un an et demi est, de fait, une réaction mécanique (mais réticente) à la politique de la BCE.
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Politique monétaire néfaste

Le budget 2024 a été présenté en commission à l’Assemblée nationale le mardi 10 octobre 2023 et occupe déjà une place médiatique importante. Mais personne ne se penche sur l'action de la BCE...

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

Voir la bio »

Atlantico : Le budget 2024 a été présenté en commission à l’Assemblée nationale le mardi 10 octobre 2023 et occupe déjà une place médiatique importante. D’une part, l’Etat cherche activement à réaliser des économies importantes et les débats porteront d’ailleurs sur les éventuelles coupes budgétaires qu’il va proposer. N’est-ce pas, à certain égard, se tromper de combat quand on sait que c’est la BCE qui augmente le plus la charge de la dette ?

Don Diego de la Vega : Tout est question d’ordre de grandeur et de priorité. Pour bien comprendre, il faut prêter attention à la dépense publique dans son ensemble. Se concentrer sur le seul budget de l’Etat, c’est oublier les collectivités locales et les budgets sociaux… qui représentent environ 60% de la dépense publique à eux deux. Dans les faits, si l’on prend en compte l'intégralité de celle-ci, on parle d’environ 1 100 milliards d’euros par an. Pour ne pas générer de l’endettement, il faut donc que les impôts et les charges représentent 1 100 milliards d’euros de gains annuels environ. 

Quand on applique une politique d’intérêt à 4%, sur un stock de dette de 3000 milliards d’euros, on obtient une perte nette de 120 milliards par an. Si, en revanche, on applique à la même dette un taux d’intérêt à 1%, le coût se limite à 30 milliards d’euros à l’année. 

En théorie, c’est le marché qui fixe ces taux d’intérêts. Dans la pratique, ce n’est pas le cas. Il faut bien comprendre qu’il existe deux types de taux d’intérêts : les courts et les longs. Les premiers sont fixés par la BCE et correspondent concrètement au taux de refinancement des banques commerciales. La main dont la BCE dispose sur la partie courte des taux lui permet de contrôler les taux longs – qui ne sont ni plus ni moins que des agrégations de taux courts. Le marché s’interroge, au quotidien, sur l’action que la BCE et c’est à elle qu’il réagit. La hausse des taux longs que nous observons depuis un an et demi est, de fait, une réaction mécanique (mais réticente) à la politique de terreur de la BCE. C’est pourquoi les taux longs, en France, maraudent autour de 3,5%.

Dans le premier cas, il devient impératif de rogner sur de nombreuses dépenses, ce qui s’avère particulièrement complexe en France, ou monter les impôts ce qui déprime l’activité économique et n’est donc pas sans impact sur les recettes fiscales, in fine. Dans le deuxième cas de figure, qui s’appliquait jusqu’à récemment en France, il n’y a pas vraiment péril en la demeure. Les ajustements peuvent se faire de façon subtile, sans besoin d’augmenter les impôts… tout en permettant, en parallèle, une politique sociale plutôt généreuse.

C’est pourquoi il y a de quoi être agacé quand on voit certains élus grenouiller face à des propositions budgétaires (hausse d’impôt, baisse des dépenses ou inversement) qui ne rapportent pas énormément d’argents à l’Etat et qui, surtout, passent à côté de l’enjeu principal. L’important, nous l’avons dit, c’est de ne pas nous retrouver avec un taux moyen de 4% appliqué sur une dette de 3000 milliards d’euros. C’est le point cardinal et, dès lors, il est donc très étonnant de constater que si peu de nos élus critiquent la BCE… particulièrement quand les hausses de taux que celle-ci décident sont motivées par une politique de sacrifice aztèque, sans réelle utilité. Cela devrait être la priorité de notre débat parlementaire. A mon sens, nos élus devraient s’y intéresser, avant de réfléchir à la qualité de la dépense publique puis, ensuite, évaluer nos politiques publiques. Or, en France, on ne s’intéresse ni à l'impact de la BCE, ni à l’évaluation des politiques publiques, ce qui nous amène mécaniquement à des débats lilliputiens portant sur des mesures à 500 millions d’euros d’économie par-ci ou par-là.

Nous faisons face à un vrai problème d’expertise de nos parlementaires. Il faudrait, me semble-t-il, accoler la Cour des comptes au Parlement, dont elle devrait-être l’un des organes d’expertise. D’autres centres d’expertise devraient aussi être mis à la disposition de parlementaires, peut-être moins nombreux mais surtout mieux dotés, afin qu’ils puissent challenger le gouvernement.

Le problème de fond, me semble-t-il, c’est que nous avons à faire à une logique de petit comptable, parfaitement méprisante et méprisable. Notre politique budgétaire n’est pas cyclique, alors qu’elle devrait l’être pour ne pas souffrir de mismatchs temporel, logique et thématique. Très clairement, et c’est la Cour des comptes qui l’a dit le plus récemment, nous ne mettons pas l’argent là où nous devrions le mettre. Surtout, c’est une politique budgétaire qui ne tient pas compte de la politique monétaire. Parce que nos élus ne s’expriment pas sur la question des intérêts de la dette, il faut s’attendre à une réduction considérable de nos marges de manœuvres dans les années à venir. Nous allons au devant d’une hausse des impôts pour faire face à des engagements budgétaires critiquables et une politique monétaire en sacrifice aztèque.

La BCE est composée de gens non élus, qui n’ont à rendre aucun compte aux citoyens de l’Union et tout particulièrement de la France. Quelles dérives avons nous pu observer en raison de cet état de fait ? 

La première dérive remonte à l’entre-deux-guerres. A l’époque, les banquiers centraux étaient tout puissants et ils ont fait d’importantes erreurs… lesquelles ont débouché sur la crise des années 30. Il ne faut pas croire ce qu’ont dit les marxistes depuis : ce n’était pas une crise de la surproduction ou une crise du capitalisme. Le problème fondamental, à l’époque, c’était le management de la FED (Réserve fédérale des Etats-Unis). Ses cadres étaient incompétents et persuadés qu’ils ne faisaient pas face à de la déflation, mais à une forte inflation. Ils ont donc appliqué une politique monétaire inadaptée, qui a créé énormément de problèmes, jusqu’en France et en Angleterre. C’est pour cela, d’ailleurs, que nous avions collectivement refusé d’accorder l’indépendance aux banques centrales à l’époque, qui étaient alors rattachées aux gouvernements. Ce n’est qu’à la fin des années 70 que nous avons réalisé que les gouvernements, à force d’appeler le banquier central au secours avant chaque élection, cette méthode de fonctionnement engendrait un nouveau biais, inflationniste cette fois. 

Dans les années 90, les banquiers centraux ont donc retrouvé leur indépendance, afin de combattre l’inflation. Seulement voilà : l’inflation s’est effondrée avant qu’ils ne récupèrent leur indépendance, entre 1982 et 1983. Il s’est donc passé ce qu’il se passe systématiquement quand l’on accorde beaucoup de pouvoir à des gens qui ne sont pas tenus de rendre le moindre compte : des dérives énormes, à commencer par un biais restrictif dans les politiques monétaires. Ensuite, il y a eu plusieurs OPA institutionnelles… À l'aide de chantage, les banquiers centraux ont su obtenir différents avantages comme la gestion des taux de change, la supervision bancaire et ont pu fixer eux-mêmes leurs objectifs, leurs cibles et leurs façons de les atteindre ou non. Ils sont devenus, à tout point de vue, juge et partie.

Parce qu’ils tiennent la dette, d’un côté, et les banques de l’autre, on ne peut pas vraiment se rebeller contre eux. Ceux qui ont tenté, comme cela a pu être le cas en Angleterre en octobre 2022, sont tombés. Le gouvernement n’aura pas tenu plus de quelques jours avant de démissionner. Ce ne sont d’ailleurs pas les premiers ! On pourrait citer le cas de Giórgos Papandréou, ou de Silvio Berlusconi, par exemple. C’est un problème démocratique mais aussi un vrai souci d’efficience : une technocratie pure et dure, bien que non démocratique, permet en théorie d’en arriver à des décisions éclairées sur le plan de la politique monétaire. En l’état actuel, nous ne bénéficions même pas de ce “gouvernement des meilleurs”. Tout juste se présentent-ils avec une légitimité technocratique mais qui ne sont pas spécialistes de la politique monétaire. La majorité d’entre eux sont des juristes ou des politiciens. Ce comité ne compte pratiquement aucun économiste, praticien ou théoricien de la politique monétaire.

C’est d’autant plus curieux que nous sommes actionnaires de la BCE, en tant que nation. Nous devrions donc pouvoir réclamer des comptes à celle-ci, pouvoir organiser des auditions comme le font les Etats-Unis par exemple. En théorie, celles-ci existent, bien sûr, mais elles sont organisées au Parlement européen, qui est le plus souvent vide. Dans les faits, il n’y a donc pas réellement de contrôle de l’action de la banque centrale.

Faudrait-il pousser la BCE à justifier davantage sa politique économique ?

Bien entendu, un gouvernement courageux pourrait théoriquement aller jusqu’à une politique de la chaise vide, dans l’espoir de forcer un vrai changement institutionnel en dépit des capacités de chantage de la BCE. Sans aller jusque là, néanmoins, il existe un continuum d’action que nous pourrions entreprendre. Rien n’empêche la France de réclamer les transcripts des réunions de la BCE sous deux ans plutôt que sous cinquante ans. Ce serait un progrès démocratique, d’autant plus si nous obtenons aussi les votes afférents. Cette transparence peut être exigée.

En outre, nous pourrions aussi rappeler que c’est la BCE qui fixe elle-même sa cible. Nous pourrions avoir une cible plus intelligente pour mesurer l’inflation, qui ne s’appuie pas sur le seul panier CBI (Customer Behavior Index) de la ménagère comme c’est le cas aujourd’hui. Il serait aussi possible de choisir une fourchette d'inflation acceptée plutôt que de fixer un seuil absolu, évitant ainsi des augmentations de taux automatiques en réaction immédiate à la volonté de certains pays pétroliers d’augmenter les prix du baril. 

Enfin, le stade ultime de ce continuum consiste à expliquer que l’on est pas d’accord avec le système monétaire en place ainsi qu’avec l’existence même de l’euro… Mais cela nous amènerait à une sortie de l’euro. Sans aller jusque là, il y a beaucoup à faire en matière de transparence, de casting, d’expertise…

Qui sont, au global, les plus gros perdants de ce type de politique monétaire ?

Ce type de politique monétaire multiplie les perdants. Nous pourrions commencer par citer les chercheurs en économie, qui sont insultés au quotidien… Plus sérieusement, cependant, il est difficile de ne pas penser aux Italiens, qui ne peuvent plus dévaluer leur monnaie pour remettre leur industrie au niveau face à l’Allemagne. Ils devaient, en revanche, bénéficier des mêmes taux d’intérêts que nos voisins d’outre-Rhin, ce qui n’a jamais été le cas. Parce qu’ils se font avoir, ils sont contraints depuis 1974 et l’arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi de mener une politique budgétaire très mesurée. Cela fait 29 ans, ou presque, qu’ils respectent les règles avec une rigueur remarquable, en dépit de taux d’intérêts bien trop élevés pour leurs besoins et une dette publique initiale qu’ils traînent comme un boulet. 

En parallèle, l’Allemagne jouit d’une capacité de financement bien moins onéreuse, ce qui signifie qu’elle peut s’endetter pour moins cher. Elle n’a pas non plus à composer avec un gros boulet de dette initial, puisque nous avons payé la dette liée à la réunification du pays. Pour couronner le tout, l’Allemagne n’hésite pas à sortir le gros de ses dépenses de sa comptabilité officielle, ce qui lui permet d’afficher un déficit de 3%, sans tenir compte des dispositifs de transition énergétique, par exemple. C’est le pays de la rigueur budgétaire, dit-on, dont la dépense publique augmente sans discontinuer depuis des années.

Autre perdante évidente : la France. Notre classe politique, depuis l’euro, est complètement émasculée. Quand elle comprend que nous avons transféré les leviers de notre politique économique à d’autres, elle n’a pas le courage de se rebeller – c’est le fameux couple franco-allemand, dont on nous fait souvent l’éloge. La France est tétanisée, espère ne pas passer en seconde division aux côtés des Italiens, des Espagnols ou des Grecs, et s'appuie donc de plus en plus sur l’Allemagne. C’est la France Bruno Le Maire, qui s’intéresse aux punaises de lit, mais ne s’occupe plus des sujets qui comptent. Elle a accepté la domination de l’Allemagne, mais appelle cela un “couple” pour se voiler la face. Cela ne l’empêche pas de se faire avoir sur l’essentiel des dossiers, notamment en matière de politique budgétaire mais pas que.

Existe-t-il des alternatives au système européen, notamment en matière de politique monétaire et de redistribution ? De qui pourrions nous nous inspirer pour plus d’efficacité, par exemple ?

Nous pourrions, me semble-t-il, nous inspirer des Etats-Unis. Au moins sur la question des auditions de la banque centrale devant le Congrès. Si nos parlementaires s’intéressaient véritablement à ces sujets, nous aurions plus d’outils pour challenger la BCE. Bien sûr, il serait aussi possible de s’inspirer de la Chine, qui a su développer les compétences de ses experts (en les envoyant à Chicago, notamment) et cela fait maintenant quinze ou vingt ans qu’elle a opté pour une politique monétaire plus que pertinente. Ce n’est pas parfait, certes, mais il y a des progrès à faire. C’est la dernière à être monétariste alors que nous assistons, de notre côté, à la chute de nos agrégats monétaires depuis des mois, les bras ballants. Nous ne faisons rien.

Enfin, nous pourrions aussi nous inspirer de la Suisse, de la Suède, de la Pologne… La plupart des pays qui ne sont pas dans la zone euro font évidemment des erreurs, mais ils affichent plus de transparence que nous et s’en sortent plutôt bien. Il est possible de s’appuyer sur des petites banques centrales plutôt que de compter sur une source de pesanteur comme peut l’être notre BCE. Il faut alléger son comité, revoir la politique de vote et mettre un terme à l’idée qu’un pays = une voix.

N’oublions pas non plus les auteurs et les praticiens qui ont travaillé sur la question de la politique monétaire. C’est le cas de Scott Sumner qui proposait de passer à une cible de PIB nominal, ou Milton Friedman pour qui le prix des actifs est un indicateur important. En intégrant celui-ci, on bénéficie d’une meilleure analyse de la situation économique du pays. Hélas, rien de tout cela ne serait fait. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !