Et si le secret de la résistance ukrainienne était la doctrine de combat occidentale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un militaire russe inspecte l'aciérie d'Azovstal à Marioupol, en Ukraine, le 13 juin 2022.
Un militaire russe inspecte l'aciérie d'Azovstal à Marioupol, en Ukraine, le 13 juin 2022.
©Yuri KADOBNOV / AFP

Commandement de mission

Les livraisons d’armements et les sanctions aident l’Ukraine mais peut-être pas autant que l’adoption de la méthode du "commandement de mission" qui constitue un élément clé de la doctrine de l'OTAN. Il consiste à donner liberté et initiative aux forces combattant sur le terrain et s'accorde donc facilement avec des notions plus larges de culture occidentale et d'individualisme.

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Atlantico : Plusieurs analystes, comme l’ancien ministre de la Défense ukrainien, Andriy Zagorodnyuk, ou Mykhailo Samus, directeur du New Geopolitics Research network, soulignent que les Ukrainiens ont bénéficié dans cette guerre d’un atout qu’est l’adoption du « commandement de mission » (mission command). De quoi s’agit-il exactement ? En quoi est-ce un réel atout stratégique et militaire pour les forces ukrainiennes face à la Russie ?

Jérôme Pellistrandi : En 2014, la prise rapide de la Crimée et d’une partie du Donbass a révélé aux Ukrainiens que leur armée, qui était sur un modèle de régime soviétique, n’était pas du tout adaptée et en mesure de réagir face à un ennemi supérieur en nombre. Dès cette époque-là, les Ukrainiens se sont mis à réfléchir sur la réorganisation de leurs forces avec d’un côté une problématique qui est un équipement d’origine soviétique souvent obsolète et de l’autre côté la volonté de regarder vers l’Ouest, vers l’Europe et l’OTAN avec une appétence clairement affirmée vers les modèles occidentaux. De ce fait, l’armée ukrainienne depuis 2014 s’est battue sur le front du Donbass. Ce conflit, même s’il était plus ou moins gelé, était une réalité au quotidien pour le commandement ukrainien. Les Ukrainiens ont aussi bénéficié de l’appui des Etats-Unis et des Anglais qui leur ont permis de former une partie de leurs officiers et acquérir des méthodes de planification et de conduite des opérations qui sont celles mises en œuvre par l’OTAN. Ces méthodes sont rapides, permettent aux subordonnés de réagir, garantissent une flexibilité et sont beaucoup plus efficaces que le système soviétique qui reste très hiérarchique et dans lequel il faut une validation des échelons supérieurs. Cela entraîne donc un manque de réactivité, surtout lorsque le plan ne se déroule pas comme prévu.   

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Dans quelle mesure l’armée ukrainienne a-t-elle adopté ce commandement de mission et laisse-t-elle une marge de manœuvre plus importante aux commandants de compagnies et même de pelotons pour façonner leurs tactiques en fonction des conditions sur le terrain ?

Les Ukrainiens avaient entamé la modernisation de leurs armements en dotant leurs chars de type T-72 d’équipements occidentaux, par exemple de vision nocturne, de systèmes de commandement numériques. Ils ont aussi privilégié la flexibilité et la prise d’initiatives de la part des officiers subalternes : les lieutenants, les chefs de section et de peloton, les capitaines. Dans les premières semaines de la guerre, depuis le 24 février, cette flexibilité et cette réactivité a permis aux unités ukrainiennes de faire une défense mobile dans la profondeur et donc de ne pas subir l’assaut massif des forces russes. Appuyé par le renseignement américain, on voit que ce fil de commandement permet aux Ukrainiens d’une part d’être efficaces et de limiter la progression des unités russes qui n’ont pas la même réactivité et qui sont obligées d’appliquer la seule doctrine qu’elles connaissent, l’usage massif de l’artillerie pour détruire tout ce qui est devant la première ligne.

Depuis les années 1980, le « commandement de mission » est un élément clé de la doctrine de l'OTAN. Il est considéré comme un moyen d'exploiter la liberté et l'initiative des forces combattantes. D'où vient cette idée de « commandement de mission » ?

Cela fait partie de la révolution des affaires militaires (revolution in military affairs) qui est une des leçons tirée de la guerre du Vietnam par les Américains. Cette guerre s’est achevée en 1975 sur une humiliation pour les Etats-Unis. Malgré les 58.000 soldats tués, les Américains n’ont pas réussi à aider le Vietnam du Sud contre le système mis en place par le Vietnam du Nord. Il y a eu cette révolution intellectuelle qui s’est appuyée également sur la révolution du numérique qui a apporté de la flexibilité, de l’agilité et permet un échange d’informations jusqu’au plus bas niveau.

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Le système russe employé aujourd’hui et issu du système soviétique pratique à l’inverse une rétention de l’information. Il ne faut pas que l’échelon subordonné ait des informations. Il doit juste savoir ce qu’il doit faire.

Il ne faut pas oublier aussi que dans le système occidental, le soldat est aussi un citoyen. Même s’il s’agit d’un soldat professionnel, cette dimension est extrêmement importante, notamment pour des unités professionnelles. Il est indispensable de savoir quel est le sens de la mission. Il faut impliquer le soldat dans la préparation et la conduite de la mission alors que dans le système russe, il n’est que dans l’exécution de la mission.     

Les réformes militaires introduites depuis 2014 sous l'influence de l'OTAN et l’expérience acquise des années de combats dans le Donbass ont-elles contribué au succès et à la résistance de l’armée ukrainienne ? Est-ce à ce moment qu’a été acquise cette stratégie ?

L’expérience acquise depuis 2014, renforcée par l’appui occidental, a permis aux Ukrainiens d’encaisser la première phase de la guerre, de réagir et de tenir. Il y a une aptitude à inverser les efforts, à modifier le centre de gravité de leur force afin de pouvoir réagir face à un ennemi qui lui reste supérieur sur le plan quantitatif.

Alors que la Russie a l'un des budgets militaires les plus importants au monde, le "dysfonctionnement" de son système "a clairement conduit à la détérioration des capacités militaires", selon l'ancien ministre ukrainien de la Défense, Andriy Zagorodnyuk. La discipline rigide et hiérarchique a-t-elle nuit à l’armée russe dans ce conflit ?

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Totalement. Et cette incapacité à pouvoir, en quelque sorte, réorienter leurs efforts et à donner de l’initiative aux subordonnés est la conséquence du système russe, à la soviétique.

Malgré les investissements faits par Vladimir Poutine depuis une vingtaine d’années avec la modernisation des équipements, on voit bien que des équipements modernes sont nécessaires. Mais on remarque que ce qui est essentiel est la doctrine d’emploi.

La doctrine d’emploi est très lourde. Elle fait fi de la protection des soldats. L’attrition est extrêmement importante. Même si d’ici quelques jours ou quelques semaines la ville de Severodonetsk pourrait tomber aux mains des Russes, le système militaire russe n’est absolument pas efficace. Sa seule supériorité est dans la masse, dans la quantité et non dans l’habileté tactique.

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