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Et si la France était beaucoup moins bloquée qu’on le croit même avec une Assemblée qui, elle, le serait…?
©JOEL SAGET / AFP

Tout dépend de la loi, vraiment ?

A l’exception des lois de finances que le gouvernement peut faire voter par 49.3 de toute façon, une pause dans l’obsession française de la réglementation permettrait peut-être de réfléchir à tout ce qu’il est déjà possible avec le droit existant…

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : L’Assemblée nationale est dans une configuration inédite, Ensemble est loin d’avoir une majorité et doit réfléchir à des alliances. Les membres de la majorité soulignent le risque de blocage du pays, mais à quel point est-il possible d’agir sans passer par la loi, et donc par le parlement, sur un certain nombre de sujets ?  

Christophe Boutin : Blocage, c'est effectivement le terme que l'on a entendu, et qui est a priori certainement excessif. S'il s'agit de dire qu’il y aura effectivement blocage de certains choix macroniens minoritaires parmi les Français, on ne peut somme toute que s'en féliciter. Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, avec son effet de loupe et cette majorité absolue qu'il confère si facilement au parti arrivé en tête, nous avait fait oublier la réalité de la vie parlementaire, et c'est peut-être simplement à cela que nous revenons maintenant. Effectivement, il faudra donc pour le pouvoir exécutif passer par des alliances avec d'autres partis pour bâtir des projets communs et avoir ainsi derrière lui une majorité de ces nouveaux parlementaires, représentant de manière un peu plus exacte une majorité du corps électoral qu'auparavant. Faut-il s'en plaindre ?

Est-il possible ensuite d'agir sans passer par la loi sur certains sujets ? La réponse est oui, puisque notre constitution distingue, dans ses articles 34 et 37, le domaine de la loi d’un domaine du règlement appartenant au seul pouvoir exécutif. Pour autant, il faut bien reconnaître, ce qui est d’ailleurs dans la logique de notre système parlementaire, que la plupart des sujets importants relèvent bel et bien de la loi et de l'article 34. 

La question serait plutôt de savoir si le pouvoir exécutif peut arriver à forcer la main du pouvoir législatif. La question ici est rendue plus délicate encore puisque les armes dont ce pouvoir disposait historiquement sous la Ve République ont été amoindries par un Nicolas Sarkozy plus soucieux de plaire à l'opposition qu’à ses électeurs lors de son quinquennat. C'est ainsi, par exemple, que l'on a limité l'utilisation du fameux article 49-3 - qui permet de faire passer un texte sans qu'il y ait eu vote favorable de l'Assemblée nationale, la seule condition étant qu’il n'y ait pas eu vote d'une motion de censure à l'encontre du gouvernement – a été limitée à une loi par session – en dehors des lois de finances ou de financement de la Sécurité sociale.

Puisque nous évoquons cette motion de censure, dont on rappellera qu'elle n'a été votée qu'une fois sous la Ve République, en 1962, encore faut-il expliquer pourquoi elle n'est pas réapparue depuis. En 1962, après le vote de la motion de censure, le général De Gaulle, d'une part, maintint en place le gouvernement Pompidou pour la gestion des affaires courantes, mais aussi, et surtout, prononça la dissolution de l'Assemblée nationale. À l'issue, l'élection d'une chambre favorable, le confirmant dans ses choix politiques, lui permit donc de surmonter la crise. Mais depuis cette date, nos amis les parlementaires semblent avoir quelques réticences à voter une motion de censure : on en dépose parfois mais on n’en vote point, comme si l’on craignait de devoir aller retrouver les chers z-électeurs sur les places de marché.

D'autres éléments par contre, d’autres « armes de l’exécutif », comme la procédure du vote bloqué, ne seront que très difficilement utilisables : s'il faut obtenir un soutien ponctuel d'élus appartenant à des groupes d'opposition, leur tordre le bras ne paraît pas être de circonstance.

Dans quelle mesure cette situation inédite pourrait-elle être l’occasion d’une réflexion sur les lois telles qu’elles existent actuellement et de se concentrer sur leur application réelle plutôt que de contribuer à l’inflation normative ?    

Effectivement, il n'est peut-être pas inutile de signaler que la production normative est parfois redondante, en ce sens que l'on modifie un texte ou qu’on le remplace par un autre, avant de lui avoir fait produire tous ses effets. On évitera peut-être ainsi un tel engrenage, mais rappelons aussi que nombre de textes nationaux, ici de textes de loi, ne sont finalement que la transcription de textes européens, les directives, et que nous ne pouvons refuser de le faire sous peine de sanctions.

La situation actuelle, bien que peu tenable sur le long terme, pourrait-elle permettre de revenir aux fondamentaux du rôle parlementaire, avec une Assemblée qui légifère moins, mais mieux, et qui assume plus son rôle de contrôle de l'exécutif ?   

Une assemblée qui légifère mieux, ce ne peut être que le cas lorsque le texte qui est présenté à au Parlement est disséqué pour que, une fois pesé à la virgule près, on puisse obtenir un accord. Par ailleurs, il est certain que l'étude d'impact, document qui doit maintenant accompagner la loi, et dont l'analyse fait à la fois partie de la procédure législative, mais constitue presque aussi une sorte de contrôle du Parlement, car elle porte sur l'utilité même de prendre le nouveau texte, comme sur son intégration dans l’ordre juridique et sa future efficacité, sera très certainement scrutée à la loupe par ces parlementaires dont on aimerait obtenir l'appui sur tel ou tel texte.

Ainsi, dans le meilleur des cas, au lieu d’un systématique blocage, on limiterait les textes redondants, on écarterait les textes inutiles, on serait plus attentif aux effets attendus des nouvelles normes. En cherchant à en ciseler les termes on en préciserait le sens, ce qui éviterait peut-être le flou peu artistique de certaines normes rédigées à la va-vite, un flou que le juge doit ensuite éclaircir par ses interprétations prétoriennes. Tout cela ne pourrait que renforcer le Parlement dans ses pouvoirs.

Encore faut-il, bien sûr, que tout le monde ici joue le jeu, que l'on se pose avant tout la question de l'utilité publique des textes et que le bon sens prime sur l'idéologie - et ce n'est pas nécessairement ce qui sera le plus facile à obtenir de la part de certains élus.

Quels sont les sujets qui nécessitent néanmoins quoi qu’il arrive de passer par le Parlement et qui devront nécessiter de trouver des accords, a minima de circonstance ?   

Encore une fois, les domaines dans lesquels on doit nécessairement passer par le Parlement sont d’abord ceux évoqués dans cet article 34 de la constitution qui définit le domaine de la loi, et ils sont nombreux.

Par ailleurs, on rappellera que le Parlement ratifie les traités, et il y aura peut-être là encore dans certains domaines des discussions plus serrées qu'elle ne l'étaient, tant une partie de l'opinion, et, en conséquence, une partie de ces nouveaux élus de 2022 à l’Assemblée nationale, semblent plus sensibles, par exemple, à la notion de souveraineté, que ne pouvait l'être la majorité du précédent quinquennat - et même, il faut le dire, une part de l'opposition d'alors.

S’il faut aller plus vite, et utiliser pour cela la procédure des ordonnances, il y aura très certainement - si tant est qu'elles soient d’ailleurs votées, car c’est une dépossession temporaire du Parlement d’une partie justement de son domaine de compétences de l’article 34 - une analyse très stricte, et donc très restrictive, des lois d'habilitation qui les permettent. 

Enfin, comment ne pas évoquer ces deux textes très particuliers que sont le budget et les lois de financement de la sécurité sociale ? Un budget, document dont la lisibilité n'est certes pas évidente, mais dont dépend la concrétisation des choix politiques ? On comprend ici l'importance que revêt la présidence de la Commission des finances, même si son président n'est pas tout-puissant.

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