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Et si la crise italienne renforçait l’euro ?
©Pixabay

Changement

"Ce qui ne me tue pas me rend plus fort" : la zone euro va pouvoir vérifier le mot de Nietzsche. En effet, l’Italie puis l’Espagne viennent de changer d’équipe politique, et peut-être de stratégie économique, s’éloignant des clous de la réduction des déséquilibres budgétaires au sein de la zone euro. Quelle est donc cette double fronde ? D’où vient-elle ? Est-elle explosive ou bienvenue ? Qu’en faire ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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D’abord nous vivons une double fronde électorale, en Italie puis en Espagne. Un étrange attelage va diriger l’Italie, troisième économie de la zone euro : un chef méconnu entouré de leaders aussi puissants qu’opposés. L’un critique l’euro qui ne conviendrait pas au puissant Nord. L’autre veut un revenu minimum pour tous, mais souhaite rester dans l’euro, qui protégerait le faible Sud. Un nouvel attelage, presqu’aussi étrange, va diriger la quatrième économie de la zone, l’Espagne. Le Premier ministre sera sans expérience non plus, « soutenu » par 84 députés socialistes sur un total de 350. Là aussi, on attend le programme 

D’où vient cette double fronde ? De l’incompréhension et de l’impatience des peuples, pourraient dire les marchés financiers : encore dix ans, et l’Italie et l’Espagne étaient sauvés ! Les marchés financiers sont en effet, pour la zone euro, braqués sur le déficit budgétaire et le niveau de dette publique par rapport au PIB. Pour l’Italie, le premier est à 2,3% du PIB, le second à 134%. La piste prévue pour l’Italie, avant ces « événements politiques », était une croissance nominale du PIB vers 2,5% dans les années à venir, la poursuite de l’effort fiscal avec un excédent primaire aux environs de 3% du PIB et un taux d’intérêt sur la dette publique autour de 2%. Dans ces conditions, le ratio dette sur PIB passait à 80% en 2030, l’Italie était sauvée ! La même histoire se passerait avec l’Espagne, mais moins contraignante, le niveau de dette y étant plus faible et la croissance plus forte. Ce pays a en effet plus de croissance nominale (autour de 4%) et aura seulement besoin d’un faible excédent primaire (autour de 0,2% du PIB) pour atteindre, lui-aussi, un ratio dette/PIB de 80% à l’horizon 2030. L’Espagne était sauvée, comme l’Italie !

Quel dommage que ces chocs politiques ! Si les taux d’intérêt de la BCE restaient bas, et surtout en retard par rapport aux taux américains, si les banques continuaient leur cure d’amélioration, si l’union bancaire se mettait en place, avec une croissance mondiale, et notamment américaine, qui se poursuivait, les pays fragiles de la zone étaient sauvés. Le Portugal était revenu en bon état, la Grèce sortie de l’hôpital et la France commençait ses réformes ! La stratégie Draghi-Bruxelles marchait ! Si, si, si…

Ou bien sont-ils une réaction bienvenue, une semonce salutaire ? Qu’en faire pour renforcer la zone euro ? En fait, dix ans pour « s’ajuster », c’est trop avec une croissance trop faible et surtout un chômage trop fort : 16,7% en Espagne, 11,2% en Italie, 9,2% en France. Cette croissance trop faible, au sud, pâtit d’une croissance trop forte au nord, avec un excédent de la zone qui vient de la seule Allemagne. Son excédent courant représente 8% de son PIB, ce qui explique les 3,5% d’excédent courant de la zone, et donc un euro fort. L’euro-allemand, grâce aux déficits des autres membres de la zone, est ainsi plus faible de 15% au moins, ce qui aide les exportations allemandes, sachant que l’euro-italien, l’euro-espagnol et l’euro-français sont plus forts de 10% au moins, ce qui handicape leurs exportations, et leur croissance avec.

Il ne s’agit ni d’ « austérité », ni de « hausses de salaires » ici ou là : le pilotage de la zone euro doit mettre la croissance équilibrée de la zone dans son ensemble au premier plan. Ceci doit se passer dans le contexte de la révolution technologique que nous vivons, avec une politique industrielle, fiscale et monétaire bien plus forte et bien plus intégrée. Pour gagner dans cette révolution industrielle, il faut former plus et mieux, apprendre à coder, faire entrer internet dans les PME et dans les TPE. C’est cette modernisation publique, dans tous les services, notamment dans celui de la santé, qui doit être mise en avant, pas « la réduction des effectifs » - qui suivra, à prestations publiques meilleures. Autrement, c’est le chômage qui gagne, et la tension sociale avec.

La Commission européenne doit devenir plus courageuse dans son analyse de la zone euro et les marchés financiers doivent changer de registre. Les deux doivent mettre en avant une croissance équilibrée, qui prohibe les excédents excessifs de compte courant. Avoir mis l’accent sur les déficits budgétaires du sud y a fait baisser l’inflation et modéré les salaires, c’était l’objectif, en large part réussi, mais la modération salariale du sud se transmet en fait au nord ! La réduction des déficits budgétaires, excessifs au sud, entraine alors la montée des excédents courants, excessifs au nord ! L’excès qui diminue au sud, et c’est bien, mute en allant au nord. Il y prospère car il n’est pas critiqué, et la crise revient alors au sud, en boomerang !

Les marchés financiers, qui sont le juge de paix des changements, doivent complètement changer de logiciel et passer à du plus compliqué. Dans le cas italien, ils ont appuyé le Président de la République qui refusait l’eurosceptique (et violemment antiallemand) Paolo Savona au poste de ministre de l’économie. Finalement, le poste ira à un universitaire europhile (Giovanni Tria) : facile ! Dans le cas espagnol, le nouveau premier ministre veut une hausse des salaires, alors que le pays doit renforcer sa croissance et ses entreprises par l’export : facile de s’inquiéter aussi. Pire aujourd’hui, ils sont à la fête : 223 000 emplois nouveaux américains, avec un salaire horaire qui monte seulement de 2,7% sur un an et un taux de chômage à 3,8% ! Les taux italiens repassent à 2,7%, au-dessous des taux américains à 2,9%, la bourse de Milan remonte un peu : tant mieux, si on en profite pour comprendre ce qu’il faut faire ! Il faut donc cesser de céder à la facilité !

Et si les marchés financiers s’inquiétaient de ce qui importe aujourd’hui, derrière les messages électoraux italiens et espagnols : les excédents excessifs allemands, au-delà de limite à 6% du PIB, comme le Danemark à 7,5% (!) et les Pays-Bas à 10,2% (!) ? Comme Trump ! Et si les marchés financiers, devant la soudaine montée de l’inflation à 1,9% en mai, du fait du pétrole, disaient qu’il ne faut pas se presser pour monter les taux d’intérêt en zone euro, ce que veut l’Allemagne ? Et s’ils s’inquiétaient de la santé de cette économie allemande, liée à son exportation excessive, avec ce que ceci implique ? C’est dans ce pays qu’ils doivent soutenir les hausses de salaire, dans l’automobile et les services. C’est là qu’ils doivent demander à l’Allemagne d’investir plus dans ses infrastructures, bref de diminuer ses excédents budgétaire et extérieur, dans un jeu gagnant-gagnant ! 

Les règles de fonctionnement de la zone euro impliquent d’être comprises et appliquées, toutes les règles, si la zone veut durer. Punir les excès de dépense est « facile » à expliquer, même avec un prix politique. Mais punir les excès d’épargne est autrement plus difficile, et aujourd’hui indispensable. 

Les meilleurs ne sont pas ceux qu’on croit : le sud n’a pas tous les torts. Quand on l’aura compris, nous ne serons pas tués, mais plus forts !

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