Et si l’euro ne fonctionnait vraiment pas ? La réponse par les pays qui ont pourtant "tout fait bien"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Finance
Standard & Poors a retiré son triple A à la Finlande.
Standard & Poors  a retiré son triple A à la Finlande.
©Reuters

Désintégrations

Difficile de trouver un Etat membre de la zone euro qui aille bien, à part l'Allemagne. Même les pays qui respectent les règles imposées par la zone euro finissent parfois par connaître des déboires économiques. C'est le notamment le cas de la Finlande, qui fait les frais d'une politique monétaire trop rigide.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

Voir la bio »
Lars Christensen

Lars Christensen

Lars Christensen est un économiste danois spécialisé en économie internationale, marchés émergents et politique monétaire ayant plus de 20 ans d’expérience au sein de gouvernements et d'établissements bancaires. Il est l'auteur du site marketmonetarist.com. Son compte Twitter : @MaMoMVPY.

Voir la bio »

Atlantico : La Finlande a régulièrement été érigée en exemple par les tenants de l'austérité en Europe. Cependant, Standard & Poors lui a retiré son triple A, et sa dette public a atteint un niveau record malgré les coupes budgétaires importantes  (32,7% du PIB en 2008, et 59,3% en 2014). Quelle est la réalité de la situation économique en Finlande ? Est-ce réellement un exemple à suivre ?

Lars Christensen : Pour beaucoup, la Finlande a été l'enfant modèle de l'euro. Depuis la crise de 1990, les finances publiques ont été renforcées, et depuis 2008, il y a un consensus en Finlande sur le fait que l'austérité était nécessaire pour garder les finances du pays sous contrôle. Cela a conduit le gouvernement finlandais à durcir sa politique fiscale, en particulier en 2010. Malgré cela, la part de dette public dans le PIB a surtout doublée entre 2008 et aujourd'hui. La raison expliquant d'aussi faibles performances en termes de consolidation fiscale est claire : le faible taux de croissance depuis 2008. Le PIB finlandais est 5% en dessous de son pic de 2008. Ce faible taux de croissance doit être analysé en prenant en compte trois éléments : 

1 : La quasi disparition de Nokia, qui était très performant dans les années 1990.

2 : La perte de poids de l'industrie du papier finlandaise

3 : La très récente crise due à la chute importante des activités économiques en Russie. La Russie a été pendant très longtemps un secteur clef d'exportation pour les entreprises finlandaises.

L'économie dispose de deux manières de s'adapter à ce type de situation. Soit en dévaluant la monnaie du pays, soit en baissant les salaires et les prix (dévaluation interne). La première option n'a pas été possible à cause de l'appartenance de la Finlande à la zone euro. Ainsi, la Finlande n'a eu d'autre choix que de procéder à la dévaluation interne. En revanche, la hausse des salaires finlandais a été bien plus forte depuis 2008 que ce que montre la situation économique, reflet de problèmes structurels importants au sein du marché du travail finlandais.

Les problèmes  structurels  sont principalement liés à d'importantes négociations collectives dans  le processus de la fixation des salaires et à d'importants coûts non salariaux du travail.

Dans cette mesure, on peut affirmer que les options restantes à la Finlande sont les suivantes : réformer sérieusement le marché du travail ou quitter la zone euro.

Gilles Saint-Paul : La spécificité de la Finlande est que ses principaux voisins et partenaires économiques, la Suède, le Danemark et la Russie, ne sont pas dans la zone Euro. Sa compétitivité est donc vulnérable aux fluctuations du niveau de l’Euro et elle en a souffert au cours des dernières années, alors que les importations croissaient plus vite que les exportations. Cette situation devrait se rétablir à cause de la baisse de l’Euro et également du fait que l’on s’attend à des hausses de prix modérées dans les années à venir, mais elle n’en illustre pas moins les problèmes posés par l’Euro qui ne constitue pas une zone monétaire optimale.

Quant à la hausse de la dette publique, elle résulte pour sa majeure partie, comme dans les autres économies, du jeu naturel des stabilisateurs automatiques pendant la crise ; c’est-à-dire que la baisse des rentrées fiscale dues à la chute de l’activité se conjuguait avec la hausse des dépenses sociales (notamment l’indemnisation du chômage) pour créer des déficits que les gouvernements ont préféré laisser filer plutôt que de prendre le risque d’aggraver les choses en consolidant les comptes publics en pleine récession. Ces effets ont joué dans tous les pays indépendamment de leur appartenance ou non à la zone Euro ; la situation budgétaire de la Grande-Bretagne, par exemple, n’est guère plus enviable que celle de la France. Il est vrai que plus la crise se prolonge, plus la stratégie consistant à laisser jouer les stabilisateurs automatiques est dangereuse et risque de conduire à une explosion de la dette. C’est pourquoi il est préférable pour s’appuyer dessus d’accumuler des excédents budgétaires en période faste pour disposer d’un matelas suffisant permettant de relancer l’économie lorsque le besoin s’en fait sentir. C’est d’ailleurs la stratégie que la Finlande a suivie puisqu’avant la crise, sa dette publique ne cessait de baisser relativement au PIB – ce qui n’était absolument pas le cas en France, par exemple. C’est cela qui explique qu’elle se retrouve avec une dette relativement faible si on la compare aux autres pays, malgré des déficits élevés pendant la crise. Elle emprunte d’ailleurs à des taux très bas ce qui suggère que la décision de Standard et Poor est inconsidérée et que les marchés considèrent la Finlande comme un pays vertueux.

Alors que la Finlande et la Suède ont connu une rémission économique similaire à la sortie de la crise du début des années 1990, celle de 2008 montre des divergences importantes (voir graphique de Paul Krugman).  Quelle a pu être l'importance de l'action monétaire dans la meilleure rémission observée pour la Suède, qui ne fait pas partie de la zone euro ?

Lars Christensen : Il est clair qu'il y a eu des différences importantes entre les pays pratiquant des taux de change flottants  et ceux qui sont dans la zone euro. La Suède, avec des taux de change flottants, a connu une croissance bien plus rapide que son voisin finlandais. De la même manière, la Turquie, qui pratique également les taux de changes flottants a dépassé la Grèce. Et enfin, la Suisse qui connait un taux de croissance supérieur à la France. Cela s'explique par deux facteurs. Premièrement, la politique monétaire au sein de la zone euro a été bien trop stricte depuis 2008, en particulier les deux hausses de taux d'intérêt de Jean–Claude Trichet en 2011 ont eu des conséquences très négatives sur la croissance de la zone euro. Deuxièmement, il n'est pas possible d'appliquer la même politique monétaire à tous. Ces politiques ont sous doute bien convenu à l'Allemagne dans l'ensemble, mais pas à des pays comme la Finlande qui a été frappée par ce que les économistes appellent des chocs asymétriques ( ex : l'impact de la crise russe sur l'économie de la Finlande ).

L'assouplissement quantitatif que la BCE a commencé à mettre en place au début de l'année 2015 a été un changement bienvenu et aide très certainement la majorité de l'économie européenne. Ce n'est cependant toujours pas assez  et plus d'assouplissement monétaire est nécessaire, encore plus à la lumière d'un sursaut de la crise grecque et des inquiétudes grandissantes quant à la croissance chinoise.

Gilles Saint-Paul : La Suède a amorti la crise par une dépréciation brutale de sa monnaie d’environ 20 %, ce qui lui a permis de faire face à la chute de la demande mondiale en renforçant sa compétitivité à l’exportation ; ce levier est d’autant plus important qu’il s’agit d’un petit pays très dépendant du secteur extérieur. La Finlande en tant que membre de la zone Euro n’a pas pu utiliser ce levier et s’est trouvée d’autant plus pénalisée que c’est son voisin direct qui a vu ses coûts baisser de 20 %. 

Sur quels leviers les pays en dehors de la zone euro ont-ils pu compter ?

Lars Christensen : Comme souligné, la solution à la résolution de la crise de l'euro est un assouplissement monétaire. La BCE a fait le premier pas, mais la croissance de la zone euro est toujours très faibles et les prévisions d'inflation son toujours en deçà de l'objectif des 2%  d'inflation. C'est pour cela qu'il faut  aller plus loin en termes d'assouplissement monétaire.

Cependant, quand bien même nous obtiendrons un assouplissement de la BCE, c'est les différences existantes entre les pays de l'UE rendant la tâche impossible qui m'inquiète profondément. Ainsi, il est peu probable que l'Allemagne ait besoin de beaucoup plus d'assouplissement monétaire, tandis que la France, la Finlande et la Grèce en ont certainement plus besoin.  Nous sommes donc face à un dilemme, surchauffer l’économie allemande, ou laisser la France, la Grèce et la Finlande s'enfoncer toujours plus dans la crise. De mon point de vue, cela vient illustrer pourquoi le projet de la zone euro est une idée terrible depuis le début.

Des réformes structurelles sont évidemment indispensables dans la zone euro, mais je doute qu'on assiste à une quelconque prise d'initiative. L'action ridicule du gouvernement français est un exemple pertinent pour illustrer les difficultés qu'il faudra surmonter pour mettre en place des réformes structurelles. Le gouvernement a ait afin de protéger des intérêts particuliers de la concurrence. Pour que l'euro fonctionne, il faut plus de compétitions, des plus hauts salaires et des prix flexibles. Pas l'inverse. Malheureusement c'est surtout ça que l'on observe  à travers l'Europe. Malheureusement c'est le protectionnisme et la protection des intérêts privés que l'on  observe le plus.

Gilles Saint-Paul : Les pays extérieurs à la zone Euro ont utilisé leur politique monétaire pour laisser leur taux de change se déprécier, ce qui permettait de compenser la chute de la demande intérieure par une hausse de la demande d’exportation. Cela leur a permis d’amortir la crise, mais au prix d’une baisse du pouvoir d’achat puisqu’ils ont vu leurs importations se renchérir. Les membres de la zone Euro n’ont pas eu ce levier et dans bien des cas ont dû attendre que le chômage ait suffisamment augmenté pour commencer à restaurer leur compétitivité à travers les effets modérateurs de celui-ci sur les salaires. On constate qu’en l’absence d’une telle hausse du chômage les travailleurs ne sont pas prêts à accepter des baisses de leur pouvoir d’achat contre lesquelles ils ne s’élèvent pas lorsqu’elles sont dues à une dévaluation. C’est difficile à comprendre, mais c’est ainsi.

Le diagnostic des causes de la crise grecque s'est focalisé sur le fait que la zone euro n'était pas une zone économique rationnelle - manque d'harmonisation fiscale, budgétaire, réglementaire... Ce qui a amené les dirigeants européens à prôner davantage "d'intégration". Quelle part réelle peut-on accorder à l'intégration ou à une réorientation de la politique monétaire pour résoudre les problèmes de la zone euro ?

Lars Christensen : Bien évidemment, une "solution" à certains problèmes de la zone euro est la mise en place de transferts fiscaux permanents élevés de l'Europe du Nord à l'Europe du Sud et de l'Est. Afin de mettre ça en place, certains diront qu'il faut mettre en place une collecte des impôts et une structure fiscale centralisée.

Je suis personnellement terrifié par la perspective de cette idée, car cela mettrait l'Europe sur les rails d'un super-Etat, et il est bien peu probable qu'une telle entité soit gouvernée par des principes économiques libéraux tels qu'une régulation non contraignante, des  taxes faibles et l'Etat de droit. Il est plus probable que nous aurons des dépenses importantes, un super-Etat protectionniste et inefficace. C'est sans doute le fantasme d'un socialiste comme le président français Hollande, mais ce n'est surement pas ma vision de l'Europe.

Gilles Saint-Paul : Les partisans du « plus d’intégration » utilisaient déjà cet argument lorsqu’ils prônaient l’Union monétaire, arguant du fait que le régime précédent de régulation des parités entre membres de l’UE ne fonctionnait pas, en particulier parce qu’il était vulnérable à des attaques spéculatives. Maintenant que l’on constate les dégâts considérables créés par l’Euro dans les pays de la périphérie, ils nous expliquent à nouveau que l’on n’a pas fait assez d’Europe et qu’il convient désormais de créer une union fiscale. Mais à moins d’ôter définitivement la souveraineté des pays membres, contre la volonté de leurs citoyens, on voit mal comment une telle union fiscale pourrait avoir lieu. Des propositions comme celle qui consisterait à mutualiser la dette en émettant des « euro-bonds » plutôt que de la dette nationale, se heurteraient vite aux incitations perverses des pays membres qui tenteraient d’accroître leur déficit pour les faire financer par les contribuables des autres pays. Et il est probable que des mécanismes de coordination du type Pacte de Stabilité, marcheraient encore plus mal que par le passé dans un tel contexte. La simple menace d’une sortie de la zone euro et de conversion de sa dette publique en billets de banque par le biais des retraits au distributeur a permis à la Grèce d’exercer un chantage implicite et de faire financer ses dépenses prolifiques par les contribuables allemands et français. Imaginez ce qu’il en serait si elle pouvait simplement émettre des titres assis sur les recettes fiscales futures du contribuable moyen de l’Union.

En ce qui concerne la politique monétaire, elle était la meilleure possible jusqu’à la  crise compte tenu de la forte hétérogénéité entre pays membres. Depuis la crise la BCE a fait le pari risqué de politiques monétaires non conventionnelles fondées sur des rachats de titres et de l’assistance à la liquidité, qui se traduisent à la fois par des transferts implicites et par un risque de chute de l’Euro et de retour de l’inflation, à cause de l’excès de liquidité injecté dans l’économie. Il aurait été plus raisonnable pour le long terme de réduire le nombre de pays membres de l’Euro afin de se rapprocher d’une zone monétaire optimale.

L'Europe dispose-t-elle des leviers permettant de mettre un terme à la récession rapidement ? Quels sont-ils ?

Gilles Saint-Paul : Une bonne partie de la récession est en fait structurelle et constitue le contrecoup du boom précédent qui n’était pas soutenable. Les pays du Sud de l’Europe n’ont pas trop à attendre d’un rebond conjoncturel parce que même si celui-ci a lieu ils buteront rapidement sur des contraintes d’offre. Le « policy mix » de bien des pays est d’ailleurs plutôt expansionniste contrairement à ce que laissent entendre les jérémiades sur l’austérité, puisque les taux d’intérêt (y compris à long terme) sont particulièrement faibles et les déficits restent élevés malgré la hausse préoccupante de la dette publique. Dans ces conditions il est difficile pour la politique conjoncturelle (et surtout pour la politique monétaire) d’en faire plus et l’on devrait plutôt se concentrer sur les réformes structurelles. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !