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Et pourtant il n’y a pas de fatalité… Cette stratégie économique adoptée par presque tous les pays de la planète et qui a mené la mondialisation dans le mur
©Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Perspectives économiques

Dans une récente interview relayée par Bloomberg, l'économiste Michael Pettis répond à la question "Pourquoi pensez que la mondialisation est terminée" en déclarant "La façon par laquelle nous avons généré de la croissance a été de baisser les salaires. C'est ce que tout le monde fait".

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Dans une récente interview relayée par Bloomberg, l'économiste Michael Pettis répond à la question "Pourquoi pensez que la mondialisation est terminée" en déclarant "La façon par laquelle nous avons généré de la croissance a été de baisser les salaires. C'est ce que tout le monde fait. Mais le problème est que cela réduit la demande parce que les salaires génèrent la consommation, et que des salaires plus bas signifient une demande plus faible. Chaque pays a la même stratégie : réduire sa contribution à la demande globale et essayer de récupérer une plus grande proportion de ce qu'il reste". Comment évaluer une telle déclaration, quelle est la réalité décrite ici par Michael Pettis ?

Nicolas Goetzmann : Michael Pettis a déjà pu, à de nombreuses reprises, analyser les déséquilibres macroéconomiques mondiaux qui se sont formés depuis le début des années 2000, ce qui correspond à la période de l'entrée de la Chine dans l'OMC (décembre 2001) et à la naissance de l'euro en 1999. Au cours de ces 20 dernières années, la mondialisation s'est effectivement construite sur la compétition salariale, notamment entre pays occidentaux et pays émergents. Ici, il n'y pas réellement de surprise. Mais ce phénomène a été exacerbé par les stratégies économiques qui ont pu être menées par la Chine, et plus curieusement, par les pays occidentaux eux-mêmes, zone euro en tête.

Concernant la Chine, si l'émergence économique du pays a été spectaculaire depuis 20 ans, il faut se rendre compte que les dépenses de consommation des ménages ne représentent à ce jour que 39% du PIB du pays, contre 68% aux Etats-Unis. Une situation qui a été rendue possible par le déclin de la part des salaires dans le PIB chinois au cours de ces années, une tendance qui s'est cependant inversée récemment. Dans un tel cas, il existe un déséquilibre qui se créer du fait de la répression exercée sur les salaires. C'est ce qui permet de créer des excédents parce que logiquement, avec de faibles salaires, la population consomme peu, importe peu, en comparaison de ce qui est exporté vers le reste du monde. C'est ainsi que l'on créé un déséquilibre commercial basé sur la faiblesse des salaires. C'est une compétition ou le gagnant est celui qui paye le moins. Mais il faut regarder la situation des déséquilibres chinois comme le cas du passé. Parce que d'autres pays jouent à ce petit jeu.
La zone euro est le parfait exemple de cette stratégie destructrice. Selon les dernières prévisions macroéconomiques de la BCE, l'excédent de compte courant (la différence exportations-importations) pour la zone euro sera de 4.5% en 2020. Ce qui représente un excédent de 540 milliards d'euros sur le reste du monde en considérant que le PIB de la zone avoisinera les 12 000 milliards en 2020. Cet excédent n'est pas le fruit d'une super performance économique de la zone euro, mais tout simplement le résultat d'un processus de "cavalier solitaire", qui est une forme de parasitage de l'économie mondiale. Il s'agit, comme la Chine, de réprimer la progression des salaires à l'intérieur de la zone, ce qui peut se faire en menant une stratégie de chômage élevé (le pouvoir de négociation des salariés est alors faible et les revenus stagnent pendant que la production continue d'augmenter). Dans un tel cas, puisque les salaires ne progressent pas, la population se trouve dans l'incapacité d'acheter plus de biens et services, et les importations ne progressent que faiblement. A l'inverse, un pays comme les États Unis soutien sa demande intérieure, avec, comme nous l'avons vu, une consommation qui représente près de 70% du PIB (contre un chiffre proche de 50% pour la France et l'Allemagne). Logiquement, les américains consomment plus et importent plus en provenance de la zone euro que l'inverse. Le résultat, c'est que l'Europe surfe sur la croissance générée par d'autres pour s'enrichir au travers des exportations.
Ce qui est un peu nouveau, c'est que la zone euro s'attaque désormais au monde avec une telle stratégie. Avant, ce processus se réalisait au sein de la zone euro avec une Allemagne qui refusait de faire progresser ses salaires, et ce, alors même que la productivité augmentait (ce qui signifie que des hausses de salaires se justifiaient mais n'ont pas eu lieu) ce qui a conduit à une compétition féroce au sein de la zone euro et qui a abouti à la destruction des économies les plus fragiles. On voit le résultat en Italie, en Espagne, en Grèce, et bien sur en France. Encore une fois, après la "réussite" de la stratégie au niveau continental, c'est maintenant le monde qui est visé. Mais apparemment, les Etats-Unis sont plus réactifs que les pays qui ont subi cela au sein de la zone euro depuis près de 20 ans. Ce qui est sans doute le plus étonnant dans tout ce processus, c'est de feindre la surprise du résultat politique de tout cela, avec la guerre commerciale qui commence à prendre forme.
C'est ce constat qui est fait par Michael Pettis, tout en considérant que cette stratégie est également celle qui est poursuivie par la Corée, Taiwan, le Japon, Singapour, la Suisse etc… Et il faut éviter de croire qu'un excédent commercial serait forcément signe de bonne santé économique, à moins de considérer que l'Italie et l'Espagne, qui présentent un excédent important, ont une économie plus performante et compétitive que celle des États- Unis. La mondialisation va dans le mur parce qu'elle se construit sur une compétition qui met la pression sur les salaires, et non pas sur une compétition de l'investissement, de l'innovation, de la technologie, de la productivité.

Quelles en sont les conséquences sur la mondialisation, et comment appréhender la guerre commerciale qui semble s'annoncer au regard d'une telle analyse ? 

Ce qu'il faut bien voir, c'est que la guerre commerciale, c'est l'Europe qui la mène. Quand la BCE publie au début de ce mois de juin qu'elle prévoit un excédent commercial de 4.5% de son PIB sur le reste du monde, et donc principalement sur les États-Unis, il ne faut pas s'étonner que les Etats-Unis réagissent de façon violente alors que les avertissements durent depuis des années. Ce que fait Donald Trump n'est que la suite logique, en plus folklorique, que ce qui a avait déjà été dit sous le mandat de Barack Obama. C’est-à-dire que la mondialisation ne peut fonctionner que si tout le monde joue le jeu, d'autant plus que la zone euro et son PIB de 12 000 milliards d'euros ne passe pas exactement inaperçue dans l'économie mondiale.
L'important c'est de changer de stratégie, et non pas forcément de s'ajuster aux tarifs douaniers imposés par les Etats-Unis. Imaginons que la Chine décide d'importer plus en provenance des Etats-Unis. Si la Chine veut continuer à faire des excédents, il lui suffit d'acheter moins ailleurs dans le monde. Et les pays qui subirons cette baisse de la demande chinoise répercuteront cette baisse sur d'autres, ce qui aboutira normalement, en bout de course, toujours vers les États Unis, qui continuerons de consommer sur une rythme élevé. Donc les tarifs douaniers ne sont pas la solution, mais ils peuvent être une incitation.

Quels sont les moyens de rectifier la situation et de modifier la stratégie économique de la mondialisation ? N'est ce pas une fatalité ?

Il n'y a pas de fatalité économique, mais il y a peut-être une fatalité dans les esprits. Lorsque l'on parle de compétitivité, en Europe surtout, on pense "coûts". Je suis compétitif parce que je ne suis pas cher. C'est avec ce genre d'idées que la mondialisation va dans le mur. Si les pays en excédent se mettaient à jouer le jeu, en soutenant la croissance, en cherchant le plein emploi et permettant une progression des salaires, et donc une meilleure répartition des revenus et une réduction des inégalités, la compétition ne se ferait plus sur les coûts mais sur la performance, le savoir, les compétences, et l'innovation. C'est cette définition là de la compétitivité qui pourrait permettre un retour à la raison. Mais il est vrai que le déni européen, avec des dirigeants qui semblent ne pas vouloir regarder le problème en face, ne permet pas d'être très optimiste. Même les Chinois semblent plus réactifs alors qu'ils représentent une menace moindre sur les États Unis que la zone euro. Cela fait plus de 20 ans que la mondialisation se construit sur ce processus, que les victoires des populistes se succèdent un peu partout dans un environnement global de répression des salaires et de progression des inégalités, et pour le moment, rien ne se passe. La réflexion stratégique n'est pas encore présente, malgré les alertes de certains. Même le FMI semble se préoccuper  de ces déséquilibres, mais beaucoup préfèrent penser que les excédents sont un signe de supériorité économique, alors qu'il s'agit de parasitage.

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