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Et pour tous ceux qui voient en Emmanuel Macron un Justin Trudeau à la française, voici de quoi il s’agit vraiment
©REUTERS/Chris Wattie

Borgne

Pour Jean-Paul Delevoye, un des principaux soutien au candidat d' "En Marche !", les Français attendent un Justin Trudeau de 40 ans. Jeune, beau, moderne, libéral, progressiste... Emmanuel Macron aurait tout pour devenir le parfait Justin Trudeau français. Mais derrière la comparaison se cache une réalité moins flatteuse, celle d'un pays qui malgré les apparences n'est pas le paradis occidental que l'on décrit souvent.

Mathieu Bock-Côté

Mathieu Bock-Côté

Sociologue, enseignant, essayiste et chroniqueur québécois. Mathieu Bock-Côté a publié en 2016 Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf.

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Atlantico : Jean-Paul Delevoye, président du Comité d'investiture d'En Marche ! a déclaré qu'il fallait un Justin Trudeau en France. Sous-entendant qu'Emmanuel Macron était la personne désignée pour l'incarner. La comparaison est tentante : jeunes, libéraux, "dynamiques", progressistes : Macron est-il vraiment le Trudeau français ?

Matthieu Bock-CôtéTout dépend de ce qu’on entend par-là. Justin Trudeau est d’abord le fils de son père, Pierre Elliot Trudeau, un premier ministre qui a marqué en profondeur l’histoire politique récente du Canada, à la manière d’un roi-philosophe ayant transformé de part en part l’identité canadienne – pour le pire, à mon avis ! Autrement dit, il est arrivé en politique en disposant déjà d’un nom de famille prestigieux, à tout le moins au Canada anglais où on vénère encore son père, justement.

Cela dit, son élection est le fruit d’une conjoncture politique très improbable. On ne le sait pas à l’étranger, mais trois semaines avant sa victoire électorale de l’automne 2015, personne ne l’imaginait devenir premier ministre. Il avait l’air d’un dandy égaré en politique, d’un comédien plus à sa place dans le monde du showbiz. Rares étaient ceux aussi qui reconnaissaient à Justin Trudeau la formation intellectuelle nécessaire pour devenir premier ministre. Il n’était pas le favori des élections.

Justin Trudeau, avant d’être porteur d’une politique, est l’incarnation de l’esprit de l’époque : il y adhère sans la moins la moindre nuance et il le fait avec le charme d’un acteur de cinéma qui sait séduire les foules. Il incarne aussi ce que certains appellent l’idéal canadien, ou même, le rêve canadien : un pays sans histoire, sans culture fondatrice, se présentant comme le laboratoire de la diversité heureuse, et censé représenter la prochaine étape dans l’histoire de l’émancipation humaine. Il est permis, naturellement, de croire que ce rêve correspond bien peu à la réalité.

Retour à Macron. Je comprends la comparaison avec Trudeau, mais elle a ses limites. Il incarne lui aussi la jeunesse, bien qu’il soit plus proche de la finance que du showbiz. Il incarne aussi ce qu’on pourrait appeler les élites mondialisées, qui ne prennent pas au sérieux l’insécurité culturelle des peuples – en fait, elles la méprisent- et qui s’imaginent toujours que la demande d’identité est en fait le symptôme d’une crispation identitaire et autoritaire. Cela dit, il me semble infiniment mieux formé que Justin Trudeau pour exercer des responsabilités politiques supérieures.

Il n’en demeure pas moins que les deux sont chouchoutés par le système médiatique qui fantasme à travers eux à une vie politique délivrée du conservatisme. Les deux sont présentés comme des modernes heureux de l’être, les deux comprennent parfaitement les codes de la communication contemporaine, les deux font rêver ceux qui veulent encore croire à la mondialisation heureuse.

Justin Trudeau bénéficie d'une image souvent très positive dans les médias de l'Hexagone. Mais qu'est-ce que donnerait la mise en application d'une politique à la Trudeau en France ?

Les médias français auraient intérêt à s’intéresser à Justin Trudeau au-delà de l’image qu’en propose le marketing publicitaire canadien! Car le trudeauisme représente plus qu’une modernité publicitaire décomplexée : il s’agit aussi d’une philosophie politique. Au cœur du trudeauisme, on trouve le multiculturalisme et une définition de la société complètement dénationalisée de la communauté politique, appelée à se soumettre intégralement au mythe diversitaire. C’est ce qu’on pourrait appeler l’idéologie canadienne. Dans le Canada de Trudeau, on normalise le niqab, on chante les «accommodements raisonnables», on refuse toute perspective critique sur les mouvements migratoires.

Si Macron devenait un clone français de Trudeau, vous assisteriez donc à la multiplication des débats sociétaux à l’image de ceux qui ont caractérisé la présidence de François Hollande et toujours, votre président ferait preuve du progressisme le plus ostentatoire. Emmanuel Macron a beau dire ce qu’il veut, il semble adhérer à l’idéologie diversitaire qui alimente le multiculturalisme, même si le mot ne semble pas lui plaire. Son discours de Marseille était assez affligeant, pour le dire d’un euphémisme. Et comment aurait-il pu dire, de la même manière, qu’il n’y a pas de culture française?

Mais il ne semble pas y avoir chez lui le même zèle en la matière que chez Justin Trudeau. Je suis à peu près convaincu, toutefois, qu’une telle politique contribuerait à exacerber la réaction conservatrice de cette part de la France, probablement majoritaire, qui se sent heurtée par la déstabilisation des repères anthropologiques et identitaires qui fondent et caractérisent la nation française.

Justin Trudeau est à Arras lundi 10 avril pour convaincre les Français de ratifier le CETA. Alors que de nombreux candidats à l'élection présidentielle se disent opposés à la ratification de ce traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, qu'en est-il de la perception de ce traité au Canada ? Est-il perçu comme un "accord progressiste", comme l'affirme Justin Trudeau ?

La question suscite assez peu de débats chez nous: la politique étrangère ne passionne pas le Canada, qui se perçoit comme une superpuissance morale. Les Canadiens aiment sermonner le monde mais ils jettent sur lui un regard qui a peu à voir avec une conception traditionnelle de la politique étrangère. Il y a un préjugé favorable au libre-échange dans la vie publique canadienne et rares sont ceux qui remettent en question ses vertus. On ne trouve pas vraiment d’opposants dans la classe politique au libre-échangisme généralisé : en fait, on redoute la tentation protectionniste qui semble s’emparer des États-Unis comme de l’Europe. Le libre-échange est vu comme progressiste parce qu’il pousse à l’unification du monde par le commerce et par le droit, alors que le protectionnisme a mauvaise presse parce qu’il réhabilite la pertinence des nations et plus encore, de la souveraineté nationale. 

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