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Et Paris devient allemand : chronique d'une humiliation quotidienne
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Bonnes feuilles

Dimanche 9 juin 1940, l'étau allemand se resserre sur Paris. Vendredi 14 juin, les Allemands pénètrent dans la capitale. Voici le récit de ces six jours – au fi l des événements dramatiques – centré sur la réaction des Parisiens. Entre rumeurs et désinformation, que savent-ils ? Que font-ils ? Comment s'organisent-ils ? En l'absence d'un gouvernement replié sur Bordeaux et de toute façon impuissant, qui décide de leur sort ? Extrait de "Et Paris devint allemand", d'Alain Couprie, publié aux Editions du Cherche-midi (2/2).

Alain Couprie

Alain Couprie

Alain Couprie est professeur émérite des Universités.

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Durant ces premières heures, les Parisiens se cloîtrent chez eux. Ils n’ont pas besoin de voir pour savoir : ils entendent, ils enragent, ils s’endeuillent.

Ce n’est plus 1914 que répète 1940, c’est 1814, quand le 31 mars les troupes russes et prussiennes entraient dans la capitale : « Je les vis défiler sur les boulevards, écrit Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe. Stupéfait et anéanti au-dedans de moi, comme si l’on m’arrachait le nom de Français pour y substituer le numéro par lequel je devais désormais être connu. Cette première invasion des Alliés est demeurée sans exemple dans les annales du monde. » Sans « exemple », mais pas sans suite.

Les réactions des Parisiens sont diverses, contrastées, selon les quartiers et les heures de la journée. À mesure que déferle et défile l’occupant, l’abattement se mêle à la peur. Le chef d’un détachement de chasseurs de chars, qui vient de traverser « à bonne allure » Noisy-le-Sec et Montreuil, constate sur son passage un long et même mouvement de recul : « Les mères arrachent leurs enfants de la rue et se réfugient dans les maisons. Les portes et les fenêtres se ferment. » Quand il arrive dans Paris et que, place de l’Hôtel-de-Ville, il fait mettre ses canons en batterie, amener le drapeau français et hisser le drapeau nazi, il entend monter des passants, badauds ou spectateurs, « comme un sourd gémissement ».

L’état de choc.

Comme en 1814, comme en 1871 quand les Prussiens du général von Kamecke avaient descendu les Champs-Élysées au son de la première Marche militaire (en ré majeur) de Schubert.

Et l’humiliation.

Avenue de Malakoff, Marcel Jouhandeau entend « deux vieilles femmes » s’entretenir avec « deux agents » de police français : l’un d’eux parle de « son grand-père, un héros de 1914-1918 » et l’autre pleure en montrant l’étui de son revolver vide. Beaucoup d’autres pleurent, comme cette Parisienne anonyme qui s’effondre sur un banc de l’avenue du Maine et à qui une passante, « l’air fermé, impassible », dit : « Ne pleurez pas tant, ma petite dame. Ça leur ferait trop plaisir. »

Puis la résignation, la honte et bientôt la rage.

Déjà à peu près vide, Paris, ville sans lumière, devient en ces premières heures ohne Blick, une ville sans regard.

D’autres – combien ? – affichent une indifférence qui ne doit rien au stoïcisme et tout à une absolue sécheresse. Chaussé de « gros souliers » pour le cas où il serait obligé de revenir chez lui à pied, à Fontenay-aux-Roses, Paul Léautaud prend le métro comme à son habitude, descend à la station Saint-Michel, longe le Luxembourg. Là, en face de la porte d’entrée des jardins, il aperçoit un policier français expliquant à un soldat allemand le fonctionnement d’une borne téléphonique. « Cela ne me fait rien du tout, note‑t‑il dans son Journal. Je ne me suis même pas arrêté pour le regarder. J’ai continué mon chemin. » Le manque de pain chez son boulanger habituel, carrefour de l’Odéon, le chagrine davantage.

Il en trouvera chez le boulanger « au coin de l’impasse Royer-Collard », près de la gare du Luxembourg. « Du pain, des biscottes. J’ai acheté des deux. » Et d’ajouter :

« Les avions qu’on entend et qu’on voit, ils volent très bas, sont des avions allemands. »

La prise de contrôle de Paris se double d’une action psychologique en direction de ses habitants. Des voitures munies de haut-parleurs appellent, en français, au calme et à la retenue :

« Les troupes allemandes occupent Paris. Vous avez reçu des autorités françaises l’ordre de rester calmes.

Vous obéirez à cet ordre. Le haut commandement allemand ne tolérera aucun acte d’hostilité envers les troupes d’occupation. Toute agression, tout sabotage seront punis de mort. »

Vers 10 h 20, place du Châtelet, un officier harangue des badauds. Son initiative est spontanée, son discours improvisé mais fidèle à la propagande de Goebbels. Pourquoi la France a‑t‑elle attaqué son pays ? L’Allemagne n’en veut qu’à l’Angleterre. Aucun mal ne sera fait à personne.

En tout début d’après-midi, le préfet Langeron assiste à la même scène place de l’Hôtel-de-Ville.

« Vous êtes libres, dit un officier aux Parisiens qui l’écoutent, vous pouvez circuler comme vous le voulez. Nous ne vous voulons aucun mal. Les Anglais vous ont engagés dans une guerre que vous aviez perdue d’avance. »

L’orateur, qui cherche le dialogue, interpelle une femme :

– Madame, vous réclamez sans doute le retour de votre mari ?

– Oui.

– Eh bien, ma femme réclame le sien. La paix signée avec vous, nous réglerons l’affaire des Anglais en quinze jours.

Trois avions se posent place de la Concorde. Un soldat sort de l’un d’eux, jette des tracts et plusieurs dizaines d’exemplaires du Deutsche Allgemeine Zeitung.

Extrait de "Et Paris devint allemand", d'Alain Couprie, publié aux Editions du Cherche-midi, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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