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Et maintenant une bactérie résistante à TOUS les antibiotiques : à quoi ressemblerait un monde sans les traitements qui nous ont protégé depuis 85 ans?
©Reuters

Spectre

La résistance aux antibiotiques est un phénomène inquiétant, susceptible de faire des millions de morts d'ici 2050. A la suite d'une trop forte consommation générale d'antibiotiques (largement distribués par les médecins et plus largement utilisés encore dans l'industrie agro-alimentaire), les bactéries ont su mettre en place des mécanismes de protection de plus en plus efficaces.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Selon la revue Antimicrobial Agents and Chemotherapy, une super-bactérie résistante à tous les antibiotiques a été découverte aux États-Unis. Quel est le nom de cette bactérie et quelles sont les maladies qu’elle provoque ? Est-ce la première fois qu’une telle bactérie est découverte ?

Stéphane Gayet : Quelle est donc cette super bactérie ? En réalité, la bactérie en question appartient à une espèce on ne peut plus courante, il s’agit du colibacille ou — pour la désigner par son nom scientifique – Escherichia coli. Cette espèce bactérienne est en effet très fréquente, car elle est systématiquement présente et en forte concentration dans le tube digestif de l’homme et de nombreux animaux, essentiellement des mammifères. Elle appartient à une grande famille de bactéries, les Entérobactéries, ainsi appelées parce qu’elles vivent dans l’intestin. Mais le phénomène très préoccupant qui a été mis en évidence par cette équipe de chercheurs états-uniens est le suivant : ce colibacille très particulier — découvert dans l’urine d’une femme de 49 ans hospitalisée en Pennsylvanie — est porteur d’un gène rare et redoutable, car il code pour la résistance à un antibiotique très puissant, la colistine. La colistine est un antibiotique d’une grande efficacité, mais d’une forte toxicité rénale qui contraint à ne le réserver qu’à des cas gravissimes. Ce gène porte le nom de code MCR-1. C’est là quelque chose de nouveau chez l’homme et c’est particulièrement inquiétant.

Quelles sont les maladies qu’elle détermine ? Le colibacille ou Escherichia coli est l’une des bactéries les plus fréquemment impliquées en pathologie infectieuse humaine. Elle est en cause dans des infections urinaires — c’est le cas de la patiente de 49 ans chez laquelle cette super bactérie a été mise en évidence —, des infections digestives, des infections liées à un cathéter veineux, des infections postopératoires, des septicémies, ou encore des infections pulmonaires et même des méningites chez les sujets très fragiles (personnes âgées et nouveau-nés).

Que sont exactement les bactéries et que sont les gènes ? Il est utile de rappeler que les bactéries sont des cellules vivantes, comment les quelques 10 000 milliards de cellules qui constituent notre corps humain. Une cellule vivante est une entité physiologique, une véritable usine biochimique et métabolique à elle seule. Une cellule bactérienne doit assurer sa survie. En particulier, elle doit se défendre des attaques. L’homme a extrait des champignons et de bactéries des molécules antibactériennes qu’il a appelées antibiotiques. Ils sont utilisés en thérapeutique depuis le début du XXe siècle. Il a bien fallu que les bactéries trouvent des solutions pour se protéger des antibiotiques. À ce jour, les mécanismes de résistance des bactéries aux antibiotiques sont nombreux et surtout subtils (exemple de mécanisme de résistance : élaboration par la bactérie d’une enzyme qui inactive un antibiotique, sorte d’antidote à cet antibiotique). Une cellule bactérienne fonctionne comme les autres cellules, mais elle est très rudimentaire. Toujours est-il que le chef d’orchestre de la cellule est le génome. Le génome est constitué de gènes répartis en chromosomes. Alors que les cellules humaines ont 46 chromosomes, la cellule bactérienne n’en possède qu’un seul. Le gène est l’unité fonctionnelle d’information génétique qui est constituée d’acide désoxyribonucléique (ADN). Le site physique où se situe un gène sur un chromosome est dénommé un locus. Les gènes, unités fonctionnelles des chromosomes, ne sont bien sûr pas figés ; ils évoluent. Toute modification qui se produit sur un gène est appelée mutation. Quand on sait que le code génétique est lié à l’ordre des bases ou séquence dans la molécule d’ADN, on comprend qu’une mutation est une modification de cette séquence.

Quel est le lien entre les gènes et la résistance des bactéries aux antibiotiques ? La résistance des bactéries aux antibiotiques est codée par des gènes. Un seul gène peut coder pour la résistance à un ou plusieurs antibiotiques. La liste des gènes bactériens identifiés comme codant pour la résistance à un ou plusieurs antibiotiques est aujourd’hui impressionnante. Schématiquement, les gènes bactériens se situent, soit dans le chromosome — ce sont des gènes chromosomiques —, soit dans un fragment d’ADN cytoplasmique et donc extrachromosomique, appelé plasmide — ce sont des gènes plasmidiques. Les gènes chromosomiques sont transmis verticalement, c’est-à-dire de mère en fille lors de la reproduction. Les gènes plasmidiques sont transmis horizontalement, c’est-à-dire de voisine à voisine, lors de la cohabitation. Les gènes plasmidiques sont particulièrement redoutables, car ils se transmettent entre espèces différentes. Or, ce gène MCR-1 est un gène plasmidique.

Ce gène MCR-1 est-il découvert pour la première fois ?Ce gène est connu depuis plusieurs années chez des bactéries hébergées par des animaux. Mais c’est la première fois qu’on le met en évidence chez un colibacille ou Escherichia coli en cause dans une infection urinaire de l’être humain. C’est ce phénomène qui est inquiétant, car le risque de propagation de ce gène est non négligeable.

Comment les chercheurs ont-ils identifié la résistance extraordinaire de cette bactérie aux antibiotiques ?

Comment sont utilisés les antibiotiques actuellement dans le Monde ? La colistine est un antibiotique utilisé en médecine vétérinaire, notamment pour le traitement d’infections à colibacille ou Escherichia coli dans les filières animales d’élevage pour la production alimentaire.

En médecine humaine, la colistine a longtemps été laissée de côté en raison de sa toxicité, particulièrement rénale. Depuis la diffusion mondiale des résistances bactériennes aux céphalosporines — antibiotiques haut de gamme apparentés aux pénicillines — dites de dernière génération et aux carbapénèmes — antibiotiques très haut de gamme également apparentés aux pénicillines —, la colistine est redevenue un antibiotique — de secours — utilisable pour le traitement d’infections sévères liées à des bactéries résistantes à tous les autres antibiotiques.

Compte tenu du recours récent à la colistine en médecine de l’homme, la communauté scientifique et médicale s’est interrogée sur le risque de sélection de résistances à la colistine suite à son usage chez l’animal. Des avis récents ont été formulés, notamment par l’Agence européenne du médicament (EMA) et par L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), ne recommandant pas d’inclure la colistine dans la liste des antibiotiques critiques utilisés en médecine vétérinaire. En particulier, l’absence de mécanisme de résistance à la colistine transférable entre bactéries constituait un argument scientifique fort.

Mais le 18 novembre 2015, le premier mécanisme de résistance à la colistine transférable (le gène MCR-1) a été décrit en Chine chez des porcs et des poulets, à partir de viande vendue au détail, ainsi que chez des souches bactériennes isolées chez l’Homme. La prévalence de ce gène plasmidique a été estimée à environ 20% chez l’animal et autour de 1% chez l’Homme. On voit donc que l’alerte lancée par cette publication états-unienne à propos de ce cas d’infection urinaire chez une femme hospitalisée dans une clinique de Pennsylvanie n’est en réalité pas complètement nouvelle.

La publication de la séquence génétique du gène MCR-1 a conduit plusieurs instituts à rechercher sa présence dans d’autres collections bactériennes à l’échelle mondiale. À ce jour, en Europe, le gène MCR-1 a été détecté dans des souches bactériennes d’Escherichia coli et/ou de Salmonella enterica (salmonelles, bactéries des infections digestives), par le Laboratoire de référence européen sur la résistance des bactéries aux antibiotiques chez les animaux (Danemark), par le Laboratoire de référence en santé publique au Royaume-Uni et par les quatre laboratoires de l’ANSES impliqués dans la surveillance de la résistance des bactéries aux antibiotiques chez les animaux. Dans toutes ces collections, la prévalence du gène MCR-1 est particulièrement faible.

Par ailleurs, aucune augmentation alarmante de la résistance à la colistine des bactéries isolées des filières avicole et porcine n’a été enregistrée par les différents réseaux de surveillance de l’ANSES au cours des dernières années.

Le 17 décembre 2015, des données complémentaires sur la distribution du gène MCR-1 dans d’autres collections mondiales ont été publiées. Elles confirment une faible prévalence de ce gène chez l’homme.

Ainsi, ce cas d’infection urinaire chez une femme de 49 ans, rapporté jeudi 26 mai 2016 dans la revue Antimicrobial agents and chemotherapy (médicaments et chimiothérapie contre les bactéries) n’est pas véritablement un coup de tonnerre dans un ciel serein, c’est le premier cas d’infection avéré à une bactérie porteuse de ce gène déjà assez bien connu.

En quoi cette découverte fait-elle planer le spectre du retour à un monde désarmé contre les bactéries ? À quoi pourrait ressembler un tel monde ? Est-ce un scénario envisageable selon vous ?

Cette super bactérie est-elle véritablement résistante à tous les antibiotiques ? Il est nécessaire de rectifier les informations à propos de cette publication états-unienne. La couche de colibacille ou Escherichia coli porteuse de ce redoutable gène MCR-1 — qui a été à l’origine d’une infection urinaire chez une femme de 49 ans — n’est pas résistante à tous les antibiotiques. Elle est phénoménale en ce sens qu’elle résiste à la colistine et qu’elle résiste également à de nombreux antibiotiques haut de gamme. Mais elle reste néanmoins un peu sensible à certains antibiotiques très haut de gamme et il est donc encore possible de traiter cette infection à l’aide d’antibiotiques.

Quel signal cette découverte phénoménale lance-t-elle ? Cet article dont nous parlons dit que ce nouveau cas de résistance phénoménale chez une bactérie impliquée dans une infection laisse entrevoir la possibilité d’infections par des souches bactériennes totalement résistantes. On connaît déjà des souches bactériennes totalement résistantes aux antibiotiques (BTR), mais dans d’autres espèces que colibacille ou Escherichia coli. Ce phénomène dramatique de résistance totale aux antibiotiques de certaines souches bactériennes est heureusement très rare. Mais des cas sont déjà survenus en France et on peut imaginer l’évolution des malades ainsi atteints. Cet article nous apprend que la résistance totale pourrait concerner l’espèce très fréquente en pathologie humaine, appelée colibacille ou Escherichia coli. Donc, le risque de voir se développer et s’étendre une résistance totale des bactéries aux antibiotiques augmente, mais on est en toute rigueur parfaitement incapable de l’estimer.

Un Monde dans lequel les antibiotiques seraient devenus totalement inefficaces est-il à craindre et le cas échéant que serait-il ? Nous sommes encore vraiment très loin de cette situation dramatique. L’homme mène une sorte de combat contre les bactéries pathogènes et les deux belligérants sont puissants. Mais attention à ne pas se laisser aller à considérer le pire comme possible dans un avenir proche, c’est tout à fait excessif. Cela dit, on peut tout à fait envisager un Monde dans lequel il n’y aurait plus d’antibiotique efficace. Le XXe siècle a connu de grands succès médicaux sur les bactéries pathogènes grâce aux antibiotiques. Des millions de vies humaines ont été sauvées grâce à ces médicaments : c’est le cas des malades atteints de la diphtérie, de la scarlatine, de la tuberculose, de la fièvre typhoïde, du typhus exanthématique, de la méningite bactérienne, de la septicémie, de la pneumonie bactérienne, de la gangrène gazeuse, de la peste, de la leptospirose, de la légionellose, de l’endocardite, etc. Ces vies humaines ont été sauvées par les antibiotiques. Mais le retour à un Monde sans antibiotiques ne signifierait pas le retour au XIXe siècle. La science et la médecine ont fait d’énormes progrès pendant le XXe siècle et nous avons beaucoup appris sur les bactéries. Nous trouverons d’autres moyens de les combattre que les antibiotiques. Les voies de recherche ne manquent pas, comme la stimulation spécifique ou non des défenses immunitaires, les virus tueurs de bactéries ou bactériophages. Par ailleurs, il est plus que probable que les recherches aboutissent à trouver des molécules antibactériennes radicalement nouvelles, qu’on les appelle antibiotiques ou molécules antibactériennes d’un nouveau type.

Dans l’hypothèse peu plausible où l’on ne disposerait plus d’aucun médicament pour tuer les bactéries pathogènes, que se passerait-il ? Dans ce cas, il faudrait réapprendre les méthodes de prévention des infections bactériennes que sont l’asepsie et l’antisepsie. L’asepsie est un ensemble de méthodes et de techniques visant à faire obstacle à la contamination bactérienne (port d’un masque, lavage des mains, port de gants, utilisation de matériel stérile…). L’antisepsie est l’utilisation d’antiseptiques, c’est-à-dire de médicaments antibactériens, mais non antibiotiques, utilisables uniquement par voie externe (sur la peau et sur les muqueuses). Car les pays à haut niveau de vie comme la France sont négligents — quoiqu’on dise le contraire dans un discours politiquement correct — vis-à-vis de l’asepsie et de l’antisepsie, au motif non avoué que, dans l’hypothèse où surviendrait une infection, on aurait des antibiotiques pour la soigner. En d’autres termes, plus on dispose d’antibiotiques efficaces, et plus on a tendance à négliger l’asepsie et l’antisepsie, deux volets essentiels de l’hygiène dans les activités de soins, qu’elles s’effectuent à l’hôpital, en clinique, en cabinet ou encore à domicile.

Les antibiotiques peuvent être rapprochés des insecticides et des désherbants. Ils sont toxiques et perdent de leur efficacité au fil des ans. Ce ne sont pas de produits qui s’inscriront dans l’éternité de la vie humaine.

Que faudrait-il faire pour éviter que ce scénario catastrophe ne se réalise ?

La résistance des bactéries aux antibiotiques se manifeste d’autant plus que l’on consomme beaucoup d’antibiotiques. C’est lié à ce qu’il est convenu d’appeler la pression de sélection. Il est indéniable que ce phénomène augmente d’année en année et qu’il croît avec leur usage. Il existe deux processus concomitants. D’une part, le niveau de résistance antibiotique des bactéries augmente dans une population avec la consommation d’antibiotiques par cette population. D’autre part, la probabilité pour qu’un individu donné devienne porteur de bactéries résistantes aux antibiotiques augmente avec sa propre consommation d’antibiotiques. Étant donné que les enfants en bas âge figurent parmi les personnes qui reçoivent le plus d’antibiotiques en raison de leurs infections respiratoires à répétition, il est attendu qu’ils appartiennent à la tranche d’âge la plus touchée par la résistance bactérienne aux antibiotiques. Mais il n’est pas juste de focaliser le combat contre la résistance bactérienne aux antibiotiques sur les médecins généralistes et les pédiatres.

Heureusement, la résistance des bactéries aux antibiotiques est le plus souvent réversible. On constate que, lorsque diminue la pression de sélection des bactéries aux antibiotiques par la baisse de la consommation de ces médicaments, le niveau moyen de résistance tend à baisser. C’est comme si les souches résistantes à un antibiotique donné étaient chassées par les souches sensibles à cet antibiotique au fur et à mesure que baissent les consommations de cet antibiotique.

Il s’agit donc de former les prescripteurs et les utilisateurs au bon usage des antibiotiques. C’est ce que l’on fait en France depuis plus de 20 années. Mais de nombreux autres pays européens et extra européens ont pris un retard considérable dans ce domaine et sont très impliqués dans le niveau mondial de résistance aux antibiotiques. C’est une question de politique de santé.

Par ailleurs, on a trop tendance à stigmatiser en les culpabilisant les médecins en matière de prescriptions antibiotiques, sans jamais parler ou presque des consommations massives et anarchiques d’antibiotiques dans l’industrie agroalimentaire. Ces antibiotiques, administrés notamment à des porcs, des poulets et des poissons d’élevage, ont deux impacts. Le premier impact est qu’ils se retrouvent bien souvent sous forme encore active dans nos assiettes et se comportent alors comme des médicaments antibiotiques dans notre corps. Le second impact est qu’ils contribuent à sélectionner des bactéries résistantes aux antibiotiques chez les animaux d’élevage ; ces bactéries résistantes peuvent ensuite passer chez l’homme. Il faut vraiment combattre le pseudo consensus scientifique selon lequel toutes les résistances aux antibiotiques proviendraient essentiellement des consommations d’antibiotiques en médecine, ce qui est erroné.

Toujours est-il qu’il y a beaucoup d’actions à mener pour éviter d’en arriver à un Monde dépourvu d’antibiotiques efficaces, et que la France n’a pas à rougir de sa politique de santé dans ce domaine, en comparaison à de nombreux autres pays où la régulation de la consommation d’antibiotiques n’est que débutante.

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