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Et maintenant Donald Trump traité de faux homme de droite ? L'attaque de Ted Cruz moins fausse qu'il n'y paraît
©Carlo Allegri / Reuters

Populo-centriste

Alors que Ted Cruz a fermement attaqué Donald Trump au sujet d'un projet de loi controversé en Caroline du Nord forçant les transsexuels à choisir la cabine correspondant à leur sexe d'origine dans les toilettes publiques, ce vif débat met une fois de plus en lumière les ambiguïtés idéologiques du milliardaire.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : En Caroline du Nord, la très controversée loi HB2 restreint l'accès aux toilettes publiques pour les transsexuels (qui doivent choisir la cabine correspondant à leur sexe d'origine). En marge de cette loi, Ted Cruz a fermement critiqué Donald Trump, ce dernier adoptant un positionnement très "libéral", au sens américain du terme. Au vu de ses positions ambiguës sur certains sujets sociétaux, tel l'avortement, peut-on dire que Donald Trump est un homme de gauche (ou du moins plutôt centriste) ?

Vincent Tournier : Donald Trump est un OVNI dans la vie politique américaine. Il est inclassable et imprévisible, ce qu’il revendique d’ailleurs lui-même. Beaucoup d’observateurs ont voulu plaquer sur Trump des grilles de lecture simples et commodes en le traitant de réactionnaire, voire de fasciste. Aucune de ces grilles ne s’avère pertinente. Trump déroute parce qu’il emprunte autant à la droite qu’à la gauche, et surtout parce qu’il reste flou et évolutif sur beaucoup de sujets (son site Internet www.donaldjtrump.com est d’ailleurs peu fourni). En fait, Trump a très bien mené sa campagne. Au début, il a tenu quelques propos un peu tonitruants, notamment sur le mur avec le Mexique, les femmes, la torture ou encore l’islam. Ces déclarations ont affolé les milieux intellectuels et médiatiques, mais elles lui ont permis d’occuper le devant de la scène médiatique. Par la suite, il a tempéré son propos, ce qui lui permet de désarçonner ses adversaires et de gagner en crédibilité une fois sa notoriété acquise.

Sur les mœurs, Trump est loin d’être un réactionnaire. Il faut dire aussi que la société américaine a fortement évolué. En une dizaine d’années, les opinions favorables aux gays sont devenues majoritaires, ce qui n’est pas sans lien avec la décision de la Cour suprême d’autoriser le mariage homosexuel en juin 2015. Les opposants se concentrent sur la frange la plus conservatrice de l’électorat républicain, qui n’est pas le cœur de cible de Trump, mais plutôt celui de son rival, le très conservateur Ted Cruz. Trump est plutôt un libéral au sens américain de ce terme, c’est-à-dire libertaire. Lui-même s’est marié trois fois, et ses positions ne sont pas franchement conservatrices. Sans aller jusqu’à soutenir l’avortement, il considère que celui-ci doit devenir un choix strictement personnel ; de même, il laisse entendre  que le mariage gay est désormais inéluctable et il se déclare favorable à la légalisation médicale du cannabis.

Pour en revenir à la loi anti-transsexuels, son positionnement n’est donc pas vraiment une surprise. Rappelons que cette loi, récemment adoptée par la Caroline du Nord, oblige les transsexuels à choisir les toilettes hommes ou femmes en fonction de leur sexe de naissance, ce qui est assez vexatoire pour ces personnes, et risque surtout d’être difficile à mettre en œuvre. La Caroline du Nord est un Etat nettement conservateur (un référendum local a interdit l’an dernier le mariage gay), mais cette loi a été dénoncée par une coalition qui regroupe les milieux traditionnellement libertaires (les artistes, les universitaires, les associations) et des grandes entreprises, lesquelles ont appelé à boycotter la Caroline du Nord. Cette mobilisation des milieux économiques, assez originale, a été assez efficace puisque le gouverneur de l’Etat a dû revenir en arrière (il a annoncé que la loi ne s’appliquerait qu’aux institutions publiques). Trump a clairement pris ses distances avec cette loi en disant que, dans son propre building (la fameuse Trump Tower), un transsexuel pouvait utiliser les toilettes de son choix. Avec cette posture, il fait coup double : d’un côté, il rappelle qu’il n’est pas un affreux réac, de l’autre il montre qu’il se situe du côté des acteurs économiques. De cette façon, il met en difficulté non seulement son rival Ted Cruz, lequel se trouve en porte-à-faux par rapport aux milieux économiques, mais aussi le parti démocrate, qui ne peut plus guère l’attaquer sur ce point.

Par ailleurs, Donald Trump s'est montré très protectionniste pendant sa campagne électorale, loin du libéralisme économique qu'on aurait pu lui prêter. En cas de victoire finale du milliardaire, à quoi peut s'attendre le peuple américain sur le terrain économique ?

Ce positionnement peut paraître surprenant, mais il s’explique par la nature du phénomène Trump, ce que certains commencent à appeler le "trumpisme". D’un côté, Trump met en avant ses qualités d’entrepreneur, son savoir-faire dans le domaine économique, et il se dit favorable au libre-échange, ce qui correspond d’ailleurs à la sensibilité d’une large partie de l’électorat américain. Mais en même temps, il doit son succès au fait qu’il a su capter les inquiétudes de l’électorat, notamment dans les milieux modestes, inquiétudes qui sont de nature économique et culturelle. On ne peut donc pas comprendre son incroyable percée, laquelle se fait contre une partie du camp républicain qui le déteste, sans avoir à l’esprit qu’il vise à protéger ceux qui se sentent menacés par la mondialisation et par l’immigration.

Trump cherche ainsi à rassurer ceux qui craignent de voir l’Amérique se dissoudre dans un vaste marché mondial où circulent librement les biens et les personnes. C’est pourquoi, sur le plan économique, son projet combine des mesures favorables au libéralisme (comme la baisse des impôts) et des mesures favorables au protectionnisme, destinées notamment à protéger la production nationale face aux pays asiatiques, la Chine au premier plan. Trump critique aussi le traité de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis (le fameux TAFTA, soutenu par Obama) et il propose un plan d’investissement dans les infrastructures du pays. Cette dimension protectionniste ne concerne pas que l’économie : elle s’étend également au domaine social puisque Trump reste relativement flou sur l’avenir de l’Obama Care, la grande réforme sur l’assurance-maladie.

Il est donc difficile de savoir ce que fera Trump en tant que président, s’il est élu. N’oublions pas aussi que nous ne sommes qu’aux primaires. La véritable campagne présidentielle n’a pas encore commencé et les lignes vont encore certainement bouger. 

Alors que Donald Trump séduit de nombreux Républicains, les attaques de Ted Cruz, champion des ultraconservateurs, peuvent-elles changer la donne ? Que nous dit cette opposition de la difficulté de la droite américaine à établir un socle commun sur lequel bâtir son projet ?

Le camp républicain est manifestement divisé. L’est-il plus qu’autrefois ? Ce n’est pas sûr. L’est-il plus que le camp démocrate, qui se déchire entre Hillary Clinton et Bernie Sanders ? C’est encore moins sûr. En fait, ce qui apparaît surtout frappant, c’est que les Républicains sont confrontés à la même difficulté qui traverse la droite française. Dans les deux cas, tout se passe comme si on avait un électorat moins conservateur sur le plan des mœurs et favorable au libéralisme économique, mais un électorat qui a aussi le sentiment que le monde échappe à tout contrôle, et qui est gagné par une crainte de nature identitaire. Ces préoccupations sont susceptibles de déboucher sur des demandes assez contradictoires concernant le rôle régulateur de l’Etat, ce qui explique le positionnement complexe des candidats aux primaires, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Ce parallèle permet aussi de faire un rapprochement entre le phénomène Trump et le phénomène Le Pen, à condition toutefois de ne pas analyser ces phénomènes uniquement sous l’angle du conservatisme et du racisme, ce qui serait excessivement réducteur.     

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