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Bruno Le Maire et Elon Musk.
Bruno Le Maire et Elon Musk.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

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Non seulement les industriels peinent à faire face à la pression réglementaire et fiscale mais ils se heurtent aussi à un autre constat : que ce soit pour des raisons démographiques, géopolitiques, énergétiques ou économiques… les perspectives de croissance en Europe sont en berne.

Olivier Redoules

Olivier Redoules

Olivier Redoules est le directeur des Etudes de Rexecode. 

 

Diplômé de l’École polytechnique et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae), administrateur de l’Insee, Olivier Redoulès a débuté sa carrière à l’ Insee en 2008, au sein du département de la conjoncture comme économiste et statisticien, avant de rejoindre la Direction générale du Trésor en 2011.

Nommé conseiller financier à l’Ambassade de France en Suède puis en Turquie, il occupe ensuite les postes de Directeur des études économiques (2017-2019) et de Chef économiste (2019-2020) au Medef.

Avant de rejoindre Rexecode, il était Rapporteur général adjoint auprès du Haut Conseil des finances publiques et Conseiller référendaire en service extraordinaire à la première chambre de la Cour des comptes.

Il est par ailleurs membre du conseil d’administration de la Société d'économie politique.

Olivier Redoules a pris la direction du pôle Etudes de Rexecode en octobre 2022. Il est notamment chargé de l'évaluation de l'impact des politiques publiques sur le système productif, la compétitivité, l'emploi et la croissance.

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Atlantico : Dans quelle mesure est-ce que le fait que les perspectives de de croissance européenne soient en berne, ça pouvait être finalement un obstacle important à la réussite d’un plan de réindustrialisation ?

Olivier Redoules : Deux aspects méritent d'être abordés pour répondre directement à votre question concernant la croissance du marché en Europe. Comparativement aux États-Unis et à la Chine, le marché européen connaît une croissance plus lente tendanciellement. En termes de masse, en milliards de dollars, nous sommes également plus petits. Cela limite donc les perspectives de croissance pour les entreprises. Cependant, il est important de souligner que malgré tout, l'Europe reste une grande zone de consommation avec un marché intérieur qui fonctionne plutôt bien. Les frontières entre les pays sont ouvertes et les consommateurs sont relativement aisés par rapport au reste du monde. Certains pays membres disposent en outre d’un potentiel de croissance important. Il est donc difficile de tirer des conclusions définitives. En outre, le marché européen présente de nombreuses qualités pour les investisseurs, notamment en termes de richesse et de qualité. Comparé à la Chine, par exemple, le système juridique européen offre une meilleure protection. De plus, les consommateurs européens sont plutôt sophistiqués. Mais l’Europe fait face à de grands défis.

Est-ce que les entreprises, y compris européennes, pourraient être tentées d'aller s'installer ailleurs à des endroits où elles ont plus de potentialités de croissance et moins de problématiques géopolitiques ou énergétiques. Est-ce qu'il pourrait y avoir une tentation de miser sur d'autres chevaux que l'Europe ?

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Effectivement, nous sommes confrontés à une compétition mondiale entre trois principales zones : la Chine, les États-Unis et l'Europe. Cette compétition concerne à la fois l'industrie et la technologie. Dans les deux premières zones, il existe des politiques protectionnistes affirmées et des subventions importantes. Par ailleurs, les États-Unis bénéficient de coûts énergétiques plus bas que l'Europe. En ce qui concerne la main-d'œuvre, les coûts sont également moins élevés en Chine. Cela crée une tentation d'investir dans ces deux zones, pour accéder à leurs marchés domestiques et régionaux. C’est notamment le cas des Etats-Unis, avec les conditions de production locales nécessaires pour bénéficier  de subventions. Certaines entreprises se trouvent actuellement incitées à faire un choix entre développer leurs activités sur place plutôt qu’en Europe ou  en Chine.  

Les coûts énergétiques très élevés de ces derniers mois et certaines conséquences pratiques de la guerre en Ukraine, comme des perturbations dans les flux de marchandises, peuvent aussi jouer en défaveur de l’Europe, avec des écarts qui grossissent et s’accumulent sur le long terme. Bien sûr les appareils productifs s’adaptent, mais c’est un vrai sujet.

 Il faut noter que les plans de subventions américains sont massifs, et bien que les chiffres en pourcentage puissent sembler faibles (par exemple, 1,7% de PIB américain), en termes absolus, ils ont une importance considérable lorsqu'il s'agit de transformer l'industrie manufacturière ou de décarboner la consommation énergétique. Ces montants sont plus importants, en terme d’échelle, que ceux envisagés en France, par exemple, pour France 2030. Et il serait hasardeux de faire le pari que les subventions américaines seront mal dépensées.

 Un autre élément à prendre en compte est la transition écologique. L'Europe adopte une approche plutôt punitive avec la  disparition progressive des quotas et la taxation carbone aux frontières. Son avance dans la décarbonation est devenue, de manière paradoxale, un handicap, car les coûts de décarbonation sont plus élevés en Europe qu'en Chine ou aux États-Unis. Par exemple, le prix du carbone en Europe peut atteindre 100 euros par tonne, tandis qu'il est de 10 euros en Chine et 20 euros aux États-Unis. Cela montre que nous nous fixons des objectifs ambitieux, mais cela peut avoir un effet cumulatif néfaste sur les entreprises européennes. Et la croissance économique européenne va s’en retrouver grevée.

En résumé, le contexte géopolitique et la compétition mondiale font que certaines entreprises peuvent être tentées de se tourner vers les États-Unis. Cependant, il convient de noter que ce mouvement fonctionne dans les deux sens, avec des entreprises américaines qui s'intéressent également à l'Europe pour son marché.

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Au-delà des effets d’annonces qui peuvent sembler superficiels, l'enjeu réside principalement, pour les États-Unis, dans le fait de prendre une longueur d'avance. Ils cherchent à progresser plus rapidement sur la courbe de l'expérience en accumulant de l'expérience et en augmentant leur volume de production. Il s'agit donc de parvenir à réduire les coûts de manière structurelle en tirant parti des économies d'échelle et des effets d'expérience. C'est là que réside véritablement le jeu et c'est probablement l'aspect le plus important.

L'IRA (Inflation Reduction Act) joue un rôle de catalyseur, il permet de démarrer le processus. Mais la dynamique qu'ils tentent d'enclencher est véritablement une dynamique industrielle. Une fois que des zones industrielles intégrées seront mises en place, notamment dans le cadre de la transition écologique, elles deviendront des bastions de compétitivité difficiles à surpasser.

Cependant, ni la capacité d'innovation qui a émergé des États-Unis par le passé, ni la main-d'œuvre à bas coût en Asie n’ont eu raison de la compétitivité globale de l'Europe. Il ne faut pas tomber dans un fatalisme excessif ou céder à l'anxiété. Néanmoins, il est indéniable que ce défi est important et qu'il se pose devant nous.

On peut saluer les annonces de réindustrialisation faites par Emmanuel Macron la semaine dernière. Cependant, il est important de se demander si, en l'absence de résolution de certains problèmes, notamment en termes de croissance, la réindustrialisation pourra réellement se concrétiser. Est-ce que ces annonces ne sont finalement que de bonnes intentions sans résultats concrets ?

Je pense qu'il existe un potentiel de croissance lié à l'industrie. La réindustrialisation peut générer de la croissance et des gains de productivité, ce qui se traduira par des revenus supplémentaires, des emplois et de la demande. C'est une mécanique qui s'entretient mutuellement. Cependant, il y a plusieurs éléments importants à prendre en compte.

Tout d'abord, il est essentiel que le marché intérieur européen fonctionne bien. La principale force de l'Europe, depuis sa création, réside dans son marché intérieur libre et bien régulé. Il est crucial d'en faire bon usage en encourageant l’intégration des services, notamment les services numériques, ainsi que le développement des marchés de capitaux. Il est également inconcevable d'avoir 27 politiques industrielles divergentes, car cela nuirait à l'efficacité de ces mesures.

Ensuite, il faut simplifier la vie des entreprises. Il est important de ne pas les soumettre à une multitude de réglementations et de normes différentes dans chaque pays de l'Union européenne. Sinon, elles ne pourront pas bénéficier pleinement des économies d’échelles potentielles du vaste marché européen.

Un autre élément à considérer est que jusqu'à présent, la zone euro et l'Union européenne sont des puissances exportatrices avec un important excédent commercial. Malgré la crise énergétique de cette année qui a entaché cette situation, il est toujours possible de maintenir cette position et de continuer à chercher la croissance hors d’Europe. Il y a beaucoup de potentiel, notamment en matière de décarbonisation, car les coûts de la tonne de CO2 évitées sont souvent plus bas en dehors de l'Europe, qui elle dispose de technologies, et les besoins d’investissement importants. C'est un levier important à exploiter et qui peut contribuer à renforcer la compétitivité des industries européennes pour compenser les avantages et les économies d'échelle que les États-Unis ou la Chine trouvent sur leurs propres marchés domestiques.

Quelle est la réalité pour les entreprises européennes, à quel point est-ce qu'elles s'installent ailleurs qu'en Europe ?

Structurellement, l'Europe est une exportatrice de capitaux, et de nombreuses entreprises européennes sont mondialisées. Distinguer ce mouvement structurel qui existe depuis longtemps des récentes annonces dont on entend parler dans la presse, c’est complexe et on ne le voit pas encore dans les statistiques officielles.

Cependant, il ne faut pas succomber au fatalisme. Il est tout à fait possible d'avoir une industrie de la transition écologique performante aux États-Unis, en Chine et une autre en Europe. Mais dans ce cas, il y aura inévitablement une compétition avec des questions de coûts et des économies d'échelle. Ces industries sont très capitalistiques, avec des coûts importants liés à l’innovation technologique et aux équipements. C’est une course de vitesse et de taille.

Dans ce sens, les annonces et les efforts en matière d'industrialisation qui ont été faits, non seulement en France mais aussi dans d'autres pays européens, sont importants. Un dernier point concerne la politique commerciale. L'Europe est une assemblée d'États et bien que nous soyons indéniablement plus forts ensemble que seuls, nous sommes moins puissants et moins cohérents que nos deux grands concurrents, la Chine et les États-Unis. Ce que l'on constate, c'est que cela pose des problèmes au niveau de la politique commerciale, car tous les pays n'ont pas les mêmes intérêts. Il est essentiel de veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment de l'intérêt général et du travail collectif. À un moment donné, l'Europe ne doit pas être trop naïve. La taille du marché européen est un levier réel pour maintenir des conditions de concurrence équitables avec les autres acteurs. C'est un levier qui a été peu utilisé dans le passé, car l'Europe estimait souvent ne pas en avoir besoin. Mais peut-être devra-t-elle le mobiliser davantage à l'avenir.

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