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Et ailleurs, ça se passe comment : le système d’indemnisation des chômeurs français est-il vraiment trop généreux ?
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Voilà pour toi

Souvent jugé trop généreux, le régime d'indemnisation chômage français devrait faire, en 2016, l'objet d'un important chantier. La dette de l'UNÉDIC s'élevant d'ores et déjà à près de 30 milliards d'euros, il devient urgent de réformer tout cela. L'occasion, peut-être, de s'inspirer de nos voisins.

Bruno  Coquet

Bruno Coquet

Bruno Coquet est docteur en Economie, Président de UNO - Etudes & Conseil.

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Atlantico : Parmi les gros chantiers de 2016, la renégociation de la convention d'assurance chômage. Jugé trop généreux, le régime français est souvent comparé aux modèles anglais, allemands, américains… Cette approche est-elle pertinente ? Quelle comparaison peut-on faire de tous ces modèles ?

Bruno Coquet : Les régimes d’assurance chômage sont très délicats à comparer les uns aux autres. Ils sont partout le produit singulier d’une Histoire nationale unique, reflets d’institutions et de relations sociales endémiques, de valeurs et d’un Contrat social propres à chaque pays. Leurs principes, la couverture assurantielle effective qu’ils procurent, leur financement, et surtout la manière dont ils complètent l’ensemble du dispositif de protection sociale (logement, famille, pauvreté, redistribution, etc.) font que chaque système est difficile à comparer à ceux des pays voisins.

De plus, la situation conjoncturelle comme les institutions du marché du travail doivent être prises en compte pour apprécier la « générosité » : nul besoin d’assurance chômage au plein emploi (en Allemagne actuellement par exemple), en revanche une assurance chômage qui protège efficacement les chômeurs se justifie pleinement quand le chômage est élevé, comme aujourd’hui en France ; c’est le moment ou jamais.

Au vu et au su de ces éléments, peut-on vraiment dire du modèle français qu'il est trop généreux ? Pourquoi ?

Les droits des chômeurs français sont communément dépeints par les paramètres extrêmes du régime : accès dès 4 mois de travail, 24 mois d’indemnisation, allocation maximale dépassant 6000€. Cette description est impressionnante, mais elle donne une vue très biaisée de la réalité, ce qui conduit à préconiser des réformes inappropriées : en vérité seulement 43% des chômeurs sont indemnisés par l’assurance, seuls 50% d’entre eux  obtiennent des droits potentiels inférieurs à 18 mois, et 7 chômeurs sur 10 sont finalement indemnisés moins de 12 mois. 90% des chômeurs indemnisés touchent une allocation inférieure à 2000€ bruts.

La réalité des taux de remplacement effectifs dont bénéficient les chômeurs est bien différente de la caricature très théorique que forment les paramètres extrêmes mis bout à bout : le taux de remplacement des chômeurs français est dans la moyenne européenne et comparable à celui de l’Allemagne (cf. Graphique). La vraie différence c’est qu’en France l’assurance chômage fournit environ 80% de leurs revenus aux chômeurs, car l’Etat les aide très peu. En Allemagne les pouvoirs publics assurent 50% des ressources des chômeurs, et 70% au Royaume-Uni : du coup il est aisé pour l’assurance chômage de ne pas apparaître « généreuse ».

Taux de remplacement effectif : part de l’assurance chômage et des autres transferts pblics

Données OCDE. Calculs de l’auteur. (cf. Institut de l’Entreprise)

Enfin on ne peut parler de la générosité d’une prestation sans considérer le prix auquel elle est facturée. En France ce prix est d’un mois de salaire net par an et par salarié. Un salarié a la chance de ne pas connaître le chômage paiera ainsi au total près de 50 000 euros de cotisations s’il est rémunéré au SMIC durant toute sa carrière (soit 54 mois d’allocations), et 400 000 euros s’il est rémunéré au niveau du plafond de salaire assurable (soit 65 mois d’allocations chômage). Ce sont des montants considérables, qu’il faut toujours appeler lorsque l’on parle de générosité.

L'Angleterre offre une durée maximale d'indemnisation de six mois. Le plafond mensuel d'indemnisation s'élève à 380 euros et le chômage grimpe jusqu'à 5.1%. En France, il tutoie presque les 10.1%, tandis que la durée maximale d'indemnisation s'élève à 24 mois, avec un plafonnement maximum à 6200 euros par mois, parmi les plus élevés d'Europe. Notre système n'incite-t-il pas au chômage ? Comment y remédier, éviter la fraude ?

En France le mode de calcul de l’allocation maximale n’a pas changé depuis plusieurs décennies : il est identique aujourd’hui avec un taux chômage à plus de 10% à ce qu’il était en 2007 quand le taux de chômage était inférieur à 7%. Ceci n’explique pas cela. 

Il est depuis toujours clair que l’assurance chômage a pour effet d’allonger (marginalement) la durée du chômage, ce qui peut élever (marginalement) le taux de chômage. Elle est même faite pour cela : en stabilisant la consommation des chômeurs (et donc l’activité économique et la croissance) elle leur donne le temps nécessaire pour retrouver un emploi conforme à leurs compétences. La croissance potentielle de l’économie s’en trouve alors plus élevée et le taux de chômage structurel plus faible. C’est pourquoi 100% de la littérature économique, quelle que soit son obédience, considère qu’une économie est toujours plus performante avec une assurance chômage que sans. La contrainte pour obtenir ce résultat est d’avoir des règles d’indemnisations « optimales » : ni trop généreuses ni pas assez. C’est donc aussi cet objectif que doivent poursuivre les réformes.

Une assurance chômage optimale ne crée donc pas de chômage, et la différence entre le chômage outre-Manche et en France s’explique avant tout par des facteurs macroéconomiques, un contrat social et une réglementation du marché du travail très différents. L’assurance chômage est en réalité si marginale au Royaume-Uni qu’elle peut presque être considérée comme inexistante : cela n’empêche pas le chômage d’y fluctuer fortement (par exemple de 5,3% en 2007 à 8,3% en 2011.

L'Unédic, dont la dette devrait atteindre les 35 milliards d'euros en 2018, a récemment été épinglé par la cour des comptes. Quel impact cette dette a sur le contribuable ? Quelles réformes mettre en œuvre pour faire évoluer ces aspects ? 

La dette de l’Unedic représente 1,5% de la dette publique française, dans laquelle elle est incluse « au sens de Maastricht ». Partant du postulat que la générosité des règles est excessive, la Cour des Comptes attribue le déficit à cette générosité, qu’elle préconise de réduire par des réformes paramétriques afin de rembourser la dette. Outre que le diagnostic de départ est erroné, les réformes que propose la Cour ne peuvent pas atteindre l’objectif visé : réaliser les économies pour y parvenir nécessiterait de diviser les droits potentiels par deux ce qui serait socialement très délicat, surtout si les cotisations étaient maintenues au niveau actuel.

Cela n’exclut évidemment pas d’améliorer les règles actuelles pour les rendre plus efficaces et plus équitables. Le droit commun devrait s’appliquer à tous, tant pour les cotisations (suppression des dérogations aux sur-cotisations accordées au secteur de l’intérim et aux contrats d’usage ; affiliation obligatoire de tous les employeurs et salariés du secteur public), que pour les prestations (droit commun pour les intermittents du spectacle et les intérimaires, complété par des financement publics si l’Etat juge qu’ils doivent bénéficier de droits plus généreux). En outre l’Unedic devrait servir un taux de remplacement net et unique pour tous, basé sur un salaire de référence correctement calculé afin d’éviter de servir des allocations supérieures aux revenus mensuels moyens qu’elles sont supposées remplacer, et de cesser de faire de la redistribution monétaire, ce qui n’est pas la fonction de l’assurance chômage ; un lien automatique devrait aussi être établi entre la durée des droits et le taux de chômage afin que la garantie de droits généreux aujourd’hui soit gagée par des économies certaines demain, quand le chômage refluera grâce à le croissance économique retrouvée.

Enfin, on peut observer que les cotisations sont aujourd’hui de 34 milliards d’euros, égales aux 34 milliards de prestations servies aux allocataires : stricto sensu l’assurance est donc en équilibre. Ce qui la déséquilibre ce sont les autres dépenses, qui ne vont pas directement (ou pas du tout) aux allocataires : financement du service public de l’emploi (3,2 milliards d’euros en 2015), et les charges d’intérêt qui dépassent 300 millions ; ces dépenses mériteraient d’être examinées afin d’améliorer leur adéquation avec les services rendus.

L’assurance chômage est en faillite. Ni la conjoncture, ni des réformes paramétriques ne peuvent éviter cette issue. Seule une refondation de l’assurance, sur des bases saines, des principes plus solidaires, des règles adaptées au marché du travail et aux problèmes contemporains permettra de la remettre sur les rails. C’est le défi qui doit être relevé cette année.

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