Espionnage de l'UE par la NSA : que cherchent à savoir les Américains en mettant sur écoute leurs alliés ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La mise sur écoute des institutions de l'UE par la NSA risquent d'affecter durablement les relations entre les pays européens et les Etats-Unis.
La mise sur écoute des institutions de l'UE par la NSA risquent d'affecter durablement les relations entre les pays européens et les Etats-Unis.
©Reuters

De grandes oreilles

Les récentes révélations de mise sur écoute des institutions européennes par le gouvernement des Etats-Unis ont provoqué un véritable tollé parmi les dirigeants des pays européens. Pourtant, espionner ses alliés ne date pas d'hier et constitue une arme économique et stratégique imparable.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Atlantico : Suite aux révélations d'espionnage des institutions de l'UE par le gouvernement américain, Alexeï Pouchkov, le chef de la Commission des Affaires internationales de la Douma, a déclaré qu' "un espionnage total (...) de tout le monde, y compris de ses alliés les plus proches (...) est l'essence même de la démocratie américaine". Qu'est-ce qui justifie cette attitude de la part des Etats-Unis ?

François Géré : Cette déclaration des autorités russes est assez amusante quand on sait que la Russie se livre elle-même à de telles pratiques. Par ailleurs, il est assez malvenu de mettre sur le même plan espionnage et démocratie. En ce qui concerne la pratique de l’espionnage, d’une manière générale, il n’y a rien d’étonnant à la mettre en œuvre vis-à-vis de tout ce qui n’est pas soi, c’est-à-dire son pays. En revanche, ce qui est préoccupant aujourd’hui, c’est que même les citoyens finissent par être espionnés.

Lorsqu'il s'agit d'alliés-partenaires, que cherche-t-on à découvrir les concernant, d'une manière générale, dans le cadre de ce type de programmes de renseignement, et qu'on ne cherche pas auprès d'ennemis déclarés ?

Pendant la Guerre froide, les choses étaient, semble-t-il, simples : les services occidentaux, et notamment américains, espionnaient au nom de la lutte contre l’URSS et ses alliés, et d’une manière plus générale contre le communisme. Des "précautions" étaient également prises à l’égard de ses propres alliés, puisque l'on pensait, et parfois à juste titre, qu'ils étaient infiltrés par des services étrangers. L’exemple de la RFA illustre bien ce phénomène : l’action des services de l’Allemagne de l’Est y était très importante et profonde. L’argument était donc de dire qu’il était nécessaire d’espionner les ministères des Affaires étrangères et de la Défense de l’Allemagne de l’Ouest pour se prémunir contre les agissements des services soviétiques. Nous ne sommes plus aujourd’hui dans cette optique car il n’y a plus d’ennemis consacrés. Les Etats-Unis ne désignent aucun ennemi même s’ils ont des rivaux plus ou moins directs ou indirects. Il n’en demeure pas moins que dans un espace globalisé en pleine évolution, soumis à d’importantes négociations de nature économique et commerciale à l’instar des zones de libre-échange transatlantique et pacifique, la règle demeure celle du chacun pour soi. L’espionnage de ses alliés permet ainsi d’arriver à la table des négociations dans les meilleures conditions. Ceci explique donc que les Etats-Unis aient recours à cette pratique depuis des décennies en fonction de leurs intérêts et des échéances qui leur importent. Dans le cas des accords visant à instaurer une zone de libre-échange dans la région Pacifique, l’espionnage pratiqué à l’encontre de ses alliés permet aux Etats-Unis de marginaliser la Chine dans le cadre des négociations. On voit donc bien à quel point cette pratique constitue une arme stratégique et économique de long terme. En ce qui concerne les pays européens, les divergences entre pays membres de l’UE au sujet des normes relatives à différents domaines (agroalimentaire, culture…) sont de notoriété publique. Les Etats-Unis cherchent donc à connaître, autant que possible, la position de leurs alliés, et surtout les divergences entre les uns et les autres afin de pouvoir exploiter les faiblesses des uns par rapport aux intérêts des autres. Penser que, dans ce domaine, il y a des partenaires que l’on respecterait d’un côté, et de l'autre des ennemis, est une illusion totale. En revanche, il convient d’insister sur le fait que dans la présente affaire, il y a incontestablement des catégories de pays. Rappelons, à ce titre, que les Etats-Unis et la NSA ont mis au point, il y maintenant des années, un réseau anglo-saxon du nom d’Echelon regroupant les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Royaume-Uni et l’Australie. Le rôle de ce réseau dans l’espionnage des pays européens a été révélé en 1994, au moment même où les accords du GATT donnaient naissance à l’OMC. Une nouvelle fois, au regard des révélations de la presse allemande, les Britanniques font figure de cheval de Troie dans cette nouvelle affaire. Il convient de faire remarquer également que parmi les domaines qui intéressent le moins les programmes de renseignement mis en œuvre auprès de pays alliés, la défense est celui qui intéresse le moins. L’échange entre partenaires dans ce domaine est important, que se soit dans le cadre de l’OTAN ou des traités bilatéraux. Bien entendu, il arrive que des portes se ferment : les Etats-Unis ne disent pas tout sur leur force stratégique nucléaire, ni sur leurs satellites d’observation géostationnaire. Hormis ce qui est considéré comme le cœur du secret ultime, quasiment tout est partagé entre partenaires dans le domaine de la défense. On communique finalement plus sur ces questions que sur celles de nature commerciale et économique.

Dans le cas où un pays mettant en œuvre un programme de renseignement à l'égard d'un pays allié découvrait que ce dernier se livre effectivement à des activités susceptibles de lui nuire, comment celui-ci pourrait réagir ? 

Il va de soi que tous les services de renseignement des pays européens savent qu’ils sont sur écoute depuis des décennies. Le b.a-ba de toute chancellerie est d’ailleurs de disposer d’une pièce spéciale, isolée électroniquement, de manière à pouvoir justement éviter d’être captée par les moyens électroniques. Malgré tout, les échanges diplomatiques traditionnels sont censés avoir lieu dans un esprit de coordination. Même si tout le monde est au courant de ces pratiques d'espionnage entre partenaires, celles-ci viennent polluer le minimum de confiance traditionnellement accordée. Le problème est d'autant plus important lorsque certains services de renseignements, comme la NSA, vont trop loin et enfreignent les règles traditionnelles de bonne conduite entre partenaires, ce qui s'est effectivement produit dernièrement.

De telles pratiques ne nuisent-elles pas au réseau d'alliance déjà constitué ? Les négociations relatives au traité de libre-échange entre l'UE et les USA ne risquent-elles pas d'être fortement compromises ?

Dans une situation classique, on devrait normalement échanger diplomatiquement, c’est-à-dire confidentiellement, des informations sur la teneur et le degré de ces mises sur écoute, voir même présenter des excuses publiques. Précisons tout de même que personne n’est tout à fait innocent dans ce genre d’affaires : les Américains font, à grande échelle, ce que font d’autres pays, y compris les pays européens, à plus petite échelle. Par conséquent, ce genre d’affaires se règle, en général, entre services de renseignement. Dans le cas présent, l’affaire a pris une dimension nouvelle car le fonctionnement traditionnel des échanges est en train de changer : les capacités de pénétration des communications et des échanges dans les différents pays sont complètement bouleversées par l’utilisation du cyberespace.On entre donc dans un domaine nouveau où il n’y a aucune règle et où il est difficile d’attribuer la responsabilité des attaques et de l’espionnage informatique. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’un certain nombre de gens considèrent qu’il est normal de révéler les excès commis et ceux qui le seront encore à l’avenir afin de pousser les États à changer les règles du jeu et d’établir entre eux de nouvelles règles de conduite. Une affaire comme celle qui vient d’être révélée aura des conséquences sur le long terme, et notamment sur les négociations actuelles entre l’UE et les USA en faveur d’une zone transatlantique d’investissements et de commerce. Parce que la confiance a été ébranlée, le climat des négociations sera à la grande méfiance, chaque partie risquant de privilégier une négociation plus méchante qu'intelligente.

Propos recueillis par Thomas Sila.

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