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Eric Zemmour salue ses partisans après son premier discours de campagne lors de son meeting à Villepinte, le 5 décembre 2021.
Eric Zemmour salue ses partisans après son premier discours de campagne lors de son meeting à Villepinte, le 5 décembre 2021.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Meeting de Villepinte

Eric Zemmour a décliné ses thèmes de prédilection pour son premier meeting à Villepinte. Il a officialisé, ce dimanche, le nom de sa formation politique, « Reconquête ». Eric Zemmour s'inscrit-il comme le véritable héritier du RPR et de l’UDF ? Parviendra-t-il à réunir les électorats des droites ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Arnaud Stephan

Arnaud Stephan

Arnaud Stephan est fondateur de lanotedecom.com et chroniqueur sur LCI.

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Atlantico : Les LR ont les troupes, Éric Zemmour a la fougue et a entrepris de démontrer à Villepinte qu’il était le véritable héritier de la droite républicaine française. À écouter son discours de ce dimanche, est-il fondé à se revendiquer comme un héritier du RPR et de l’UDF d’il y a 30 ans puisqu’il a élargi sa prétention habituelle à occuper le créneau du RPR en faisant référence à tous ceux que Jacques Chirac avait réunis à Villepinte avant son élection ?  

Arnaud Stephan : Le RPR est mort deux fois, la première fois en renonçant aux valeurs du gaullisme dès 1986 pour adopter un libéralisme qui n’a cessé de le rapprocher de l’européisme et du prêchi-prêcha moraliste sur la France terre d’immigration. La seconde c’est l’appel à voter « oui » au référendum de Maastricht, le discours sur l’Europe est passé de la défense d’une union entre Etats nations à la défense d’un projet fédéral. Là où Éric Zemmour démontre, une fois de plus, la faiblesse de son analyse historique et politique c’est quand il croit, en citant le RPR, faire référence à l’épopée gaulliste. Le RPR c’est le parti des pompidoliens et Pompidou c’est le gaullisme sans la Résistance, c’est-à-dire rien. Cette référence au RPR est la volonté d’en appeler au souvenir d’une formation de droite, populaire et de masse. Dans les faits, les militants n’ont cessé d’être roulés par les dirigeants du parti qui parlaient comme Pasqua mais agissaient comme Méhaignerie. 

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Vincent Tournier : En lançant son premier rassemblement de campagne à Villepinte, qui n’était pas le lieu initialement choisi (il devait se tenir au Zénith), Éric Zemmour n’a pas manqué de rappeler que c’est à Villepinte que la droite a organisé les « Etats généraux de l’immigration » en mars 1990.

Accessoirement, il aurait pu aussi rappeler que c’est à Villepinte que, en octobre 1997, le PS a organisé son fameux colloque sur la sécurité, colloque dont on dit qu’il a marqué la grande inflexion de la gauche sur la délinquance (Lionel Jospin a parlé d’un « droit à la sécurité »). Éric Zemmour n’a pas évoqué ce précédent, sans doute parce qu’il n’a pas voulu brouiller son message qui s’adresse d’abord à la droite, mais il a peut-être eu tort parce qu’il aurait pu essayer de parler à cette frange laïque et sécuritaire de la gauche qui est actuellement en déshérence.

En tout cas, si Éric Zemmour a fait référence à ce passé de la droite, c’est évidemment dans un but tactique. Il a deux objectifs : d’abord démontrer qu’il n’est pas un « fasciste » ou un « raciste » puisqu’il avance des propositions qui ne font que reprendre celles défendues trente ans plus tôt par le RPR et l’UDF, même si ce n’est pas tout à fait exact ; ensuite souligner que la droite a trahi toutes ses promesses depuis 30 ans, notamment parce qu’elle a cédé aux pressions morales de la gauche, ce qui lui permet au passage de s’en prendre à Valérie Pécresse en annonçant qu’elle va faire comme tous ses prédécesseurs : adopter une attitude martiale pendant la campagne et effectuer un recentrage une fois qu’elle sera élue.

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En comparaison, Éric Zemmour n’a aucun mal à se présenter comme un candidat totalement différent puisqu’il n’a pas une carrière de politicien, ce qui lui permet d’affirmer qu’il ne trahira pas ses engagements (il a même parlé du « serment de Villepinte »). En mettant en avant le fait qu’il est un nouveau venu dans la politique, il transforme son manque d’expérience en qualité : « je n’ai pas quarante ans de roublardise derrière moi ».

Mais au-delà de cet aspect, ce qui est frappant dans son discours, c’est la volonté d’Éric Zemmour de casser les codes de la politique en parlant franchement et explicitement de la France. Or, on voit que ce thème répond à une attente très forte. Une partie des Français est manifestement en demande d’un plaidoyer en faveur de leur pays. Les gens attendent qu’on leur parle de la France, de sa beauté et de sa grandeur ; ils veulent que cesse le dénigrement et la flagellation, ils veulent retrouver la fierté d’être français, et aussi que soit mis un terme à une forme de fatalisme et d’impuissance face aux périls et aux maux qui assaillent le pays. « La France est de retour » a été l’une des expressions d’Éric Zemmour parmi les plus applaudies. On ne peut pas comprendre le phénomène Zemmour sans tenir compte de ces frustrations et ces rancœurs qui se sont accumulés à cause d’un discours dévalorisant sur la France et les Français.

Sa « solidarité nationale » s’inscrit-elle bien dans cette histoire-là ?  

Arnaud Stephan : Elle s’inscrit plutôt dans l’ADN de la droite traditionnelle. Cette idée de solidarité a souvent été mise en avant. Dans les années 30, le célèbre parfumeur François Coty avait monté un mouvement qui s’appelait la « Solidarité Française ».  

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C’est avant tout l’idée que les Français doivent créer une société plus juste basée sur un équilibre entre capital et travail, l’autorité et une morale patriotique sans faille. La participation gaullienne avant De Gaulle. 

La politique c’est souvent l’art d’accommoder des idées anciennes en les proposant comme nouvelles.

Son projet d’union des électorats des droites peut-il trouver un nouveau souffle après que sa pré campagne et sa radicalité revendiquée aient fini par faire douter ceux qu’il appelle la bourgeoisie patriote sans pour autant attirer un électorat plus populaire ?

Arnaud Stephan : La réunion de dimanche était bien organisée, Éric Zemmour y est apparu comme un bien meilleur orateur qu’attendu et surtout il y avait du monde. La querelle sur 12 ou 13 000 participants est grotesque. C’est un très gros rassemblement, une démonstration de force voulue et assumée. Son discours avait avant tout pour objectif de montrer qu’il était entré dans une nouvelle phase, celle du candidat. Son discours a cherché à relativiser ce qui avait pu choquer ces dernières semaines. Le candidat Zemmour est plus souple que le polémiste, le candidat ne fait pas siennes les prise de position de l’écrivain. En revanche, un corps électoral ne se décrète pas. Zemmour reste sociologiquement le candidat des bourgeois, plutôt des urbains et avec un substrat Manif pour tous / Campagne Fillon. 

La présence décorative d’anciens Gilets jaunes est purement cosmétique. Elle permet au candidat de « Reconquête » de cocher la case « peuple ».

Vincent Tournier : On a bien senti, ces derniers jours, que la précampagne d’Eric Zemmour avait tendance à s’essouffler. Les intentions de vote étaient en berne et, comparativement, la droite a pu donner le sentiment d’être en meilleure posture que lui, elle qui a su organiser dans de bonnes conditions sa primaire interne. Bref, le souffle initial semblait s’estomper.

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 Or, le meeting de Villepinte constitue peut-être un tournant car il permet de relancer la machine. Il s’agit d’abord d’une belle réussite sur le plan de l’organisation, avec une mise en scène très soignée et près de 15.000 participants. Certes, Éric Zemmour est loin d’atteindre les foules rassemblées par Nicolas Sarkozy en 2007 ou 2012, mais il faut rappeler qu’il ne dispose pas des mêmes moyens que l’UMP d’autrefois.

Si ce rassemblement n’efface pas les faiblesses de sa candidature, notamment son manque de soutien de la part de personnalités connues et crédibles, il a su mettre en avant d’autres qualités, en particulier une forme de simplicité et d’authenticité. On relèvera par exemple que, parmi les orateurs qui sont venus à la tribune, figurait Jacline Mouraud, cette dame qui est un peu à l’origine des Gilets jaunes. Or, celle-ci a prononcé un discours qui était loin d’être insipide. Elle a su dégager une certaine émotion lorsqu’elle a parlé de « représenter les gens ordinaires dont je suis (…), ceux qui connaissent de fins de mois difficiles (…), nous les sacrifiés de la mondialisation assassine des peuples (…) ». Elle s’est exprimée au nom de « la majorité silencieuse » qui veut se faire entendre et qui souhaite « provoquer une insurrection civique dans les urnes ».

Par ailleurs, Éric Zemmour ne manque pas de ressources. Sur le plan tactique, il a su habilement court-circuiter la candidature de Valérie Pécresse (qui a été annoncée ce samedi 4 décembre) en la prenant en tenaille entre sa propre annonce de candidature (la vidéo diffusée le 1er décembre) et son premier meeting de campagne (le 5 décembre).

Sur le plan rhétorique, il a su trouver les mots qui incarnent son projet, que ce soit avec son slogan de campagne (« Impossible n’est pas français ») ou avec le nom de son mouvement (« Reconquête », allusion manifeste à la Reconquista espagnole de la fin du Moyen-Age). Durant le meeting, il a lancé quelques formules chocs, par exemple sur la défense de l’assimilation lorsqu’il a tendu la main aux musulmans (« si vous faites de la France votre mère et de chaque français votre frère, vous êtes notre compatriote ») ou sur sa volonté de défendre la France (« nous partons à la reconquête de notre pays pour le retrouver »).

On peut ajouter que ce meeting lui a également permis de démontrer qu’il pouvait être un orateur très convenable, ce qui n’était pas évident jusqu’à présent où ses prestations avaient un côté emprunté et académique. Cette fois-ci, il n’a pas lu mécaniquement son texte, bien qu’il portait ses lunettes pour la première fois. Il a su instiller un certain souffle et une certaine force à plusieurs reprises, et il s’est avéré assez à l’aise avec le public, lequel a plaisanté avec lui en brandissant une pancarte « Ben voyons ! » qui reprend l’une de ses formules. Bref, il est parvenu à quitter son statut d’escrimeur des plateaux télé pour se hisser au rang de tribun.

Il a aussi commencé à présenter un programme qui s’annonce plus riche que ne le disent ses opposants, évoquant notamment des mesures qui marquent des ruptures considérables : préférence nationale, sortie de l’Otan, réindustrialisation, suppression du droit du sol, réhabilitation du mérite à l’école, droit de succession et de mutation pour les entreprises, etc. A certains égards, on pourrait même dire qu’il s’agit d’un véritable contre-projet de société qui va à l’encontre de bien des orientations suivies ces dernières décennies, notamment sur l’immigration et la sécurité, mais aussi sur l’industrie, le nucléaire, l’éducation ou encore la discrimination positive, ce qui n’ira pas sans provoquer des réactions. En tout cas, la critique selon laquelle il ne propose rien devrait rapidement disparaître : on ne peut pas d’un côté lui reprocher d’avoir un programme vide et de l’autre dénoncer un projet dangereux.

Evidemment, tout cela ne suffira pas à convaincre les classes populaires, lesquelles restent pour l’heure très réticentes à l’égard de cette candidature. Mais il ne faut peut-être pas sous-estimer l’impact que son discours est susceptible d’avoir sur les abstentionnistes ou sur les électeurs RN, voire sur une partie de l’électorat LR.   

Sa critique cinglante de Valérie Pécresse, héritière revendiquée de Jacques Chirac et donc selon Éric Zemmour héritière d’une même démagogie et d’une même propension à trahir les promesses électorales, peut-elle faire mouche ?

Arnaud Stephan : La formule est en effet cinglante mais elle est totalement en contradiction avec cette sorte de RPR-mania qu’il a alimenté depuis des mois.Le RPR c’est Chirac.C’est un parti à sa main dont il sera le gourou laïc jusqu’à la transformation de celui-ci en UMP.Si Valérie Pécresse est l’héritière d’un Chirac démagogue et menteur, factuellement c’est tout ce qui est lié au RPR qui l’est aussi. Il n’y a aucune différence entre les deux. Je ne comprends pas la raison pour laquelle Éric Zemmour feint d’entretenir une distinction.

Vincent Tournier : Valérie Pécresse est une femme brillante et talentueuse, mais elle fait partie de ces responsables politiques qui ont connu des inflexions durant leur parcours. En 2016, elle a soutenu alternativement François Fillon puis Alain Juppé, avant de revenir à François Fillon. Plus récemment, elle a voulu incarner une ligne centriste et modérée en rompant avec Laurent Wauquiez, avant de se droitiser pour emporter la primaire qui vient de s’achever. Donc, pour Éric Zemmour, il est facile de l’attaquer en disant qu’elle correspond typiquement à la classe politique traditionnelle, celle qui manque de sincérité et de fidélité, qui se livre à des calculs politiciens, qui n’a pas de véritables convictions et qui effectue des revirements au gré des circonstances. C’est pourquoi il ne s’est pas privé de l’attaquer directement. Rappelant que c’est Jacques Chirac qui a lancé sa carrière politique, il en a tiré une conclusion cynique : « Elle agira comme son mentor : elle promettra tout et ne fera rien ». Cet argument risque de faire mouche parmi certains électeurs de droite.

Du reste, Valérie Pécresse commence à donner elle-même raison à Éric Zemmour. Celle-ci s’est en effet positionnée sur une ligne ferme et sécuritaire, et elle a fait beaucoup d’efforts oratoires durant la primaire pour paraître sincère. Pourtant, un doute sérieux a surgi dès le jour de son investiture puisque, lors de la présentation des résultats samedi dernier, elle s’est abstenue de mentionner Éric Ciotti dans son discours, alors que ce dernier lui a clairement apporté son soutien. Puis, le soir venu sur TF1, elle a refusé explicitement de reprendre ses propositions.

On comprend que Valérie Pécresse se livre à un calcul politique : elle se projette déjà sur le second tour et se dit que, pour l’emporter contre Emmanuel Macron, elle ne doit pas paraître trop droitisée, ce qui implique de prendre ses distances avec Éric Ciotti. Le problème est que sa propre qualification pour le second tour n’est pas assurée car la dynamique de la campagne va plutôt se jouer à droite. Donc, si elle tente d’apparaître trop modérée, elle risque de perdre des voix, surtout face à un Éric Zemmour qui ne va pas manquer de l’attaquer durement en disant que sa radicalité n’est qu’une façade.

De plus, au sein de son parti, elle n’est pas à l’abri d’un départ d’Éric Ciotti, à qui Éric Zemmour a déjà lancé un appel en vue d’un ralliement. N’oublions pas qu’Éric Ciotti est en position de force : il a obtenu un score très élevé à la primaire, lui qui était à 25% des suffrages à l’issue du premier tour et qui est passé à 40% au second tour. C’est une progression d’autant plus remarquable que tous les autres candidats avaient appelé à voter pour Valérie Pécresse, donc contre lui. Il dispose donc d’un important soutien au sein de la droite, ce qui souligne que la candidature de Valérie Pécresse n’est pas consensuelle.

Un éclatement de LR n’est donc pas exclu. Dans les semaines qui viennent, beaucoup de cadres et de militants de la droite vont se dire que, après deux défaites consécutives (en 2012 et 2017), une troisième défaite serait mortelle pour Les Républicains, ce qui peut les inciter à rejoindre le camp de Zemmour, surtout si celui-ci confirme sa percée.

Autre critique cinglante, celle d’Emmanuel Macron, qualifié de « personne » et de président « du néant », peut-elle déstabiliser le président de la République et être entendue par des électeurs qui auraient été tentés -ou qui le seraient encore- par un vote Macron ?

Arnaud Stephan : Éric Zemmour a beaucoup tapé ces dernières semaines sur Marine Le Pen, voulant incarner une alternative à un vote qu’il juge stérile. Cela a fonctionné dans un premier temps. Pourtant très vite les manques de l’ex-journaliste du Figaro sur l’aspect populaire sont devenus criants. Cela s’est même transformé en agacement. Le Marine Le Pen « prisonnière d’un ghetto d’ouvriers et de chômeurs » en est la parfaite illustration. Le RN et Marine Le Pen ont contre-attaqué sur le fait que Zemmour ne s’en prenait jamais à Emmanuel Macron mais, curieusement, quasi exclusivement à eux. Cet argument a porté et la stratégie du l’ex-journaliste du Figaro est aujourd’hui de taper sur le Président de la République afin de ne pas trop entamer un possible report de voix RN. 

Je ne pense pas que ceux qui composent l’électorat Zemmour, aujourd’hui, soient sur une ligne compatible avec celle du Président Macron, surtout sur les aspects sociétaux et identitaires. 

Vincent Tournier : C’est effectivement Emmanuel Macron qui a subi les coups les plus sévères d’Éric Zemmour. Ce dernier n’a pas manqué de manier l’ironie en se demandant s’il était possible de « trouver un Français qui a compris la pensée de Macron ». Il a ensuite enchaîné plusieurs attaques particulièrement dures :  « personne ne sait qui il est parce qu’il n’est personne », ou encore : « en 2017, la France a élu le néant et elle est tombée dedans », ou bien : « nous laisserons cet adolescent se chercher éternellement », et finalement : « nous allons faire du macronisme un mauvais souvenir ».

Cette virulence peut évidemment être utilisée par Emmanuel Macron, lequel va probablement se présenter comme le président de la modération et de la raison. Mais si cette stratégie peut être payante pour mobiliser son électorat, elle risque de ne pas être suffisante pour aller au-delà, compte-tenu des contentieux qui se sont accumulés entre le président et une partie de l’électorat.

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que rarement deux candidats n’auront été aussi opposés, au moins dans les discours. Tout les oppose. Eric Zemmour est celui qui défend une ligne claire et ferme, fondée sur des valeurs telles que le nationalisme, l’autorité, les racines, la défense de l’intérêt national, le mérite, alors qu’Emmanuel Macron se singularise par une volonté de concilier les contraires (le désormais célèbre « en même temps ») tout en rejetant le nationalisme et en plaidant pour l’Europe, l’ouverture, la mobilité, la diversité. Certes, Emmanuel Macron pourra bénéficier de nombreux soutiens, que ce soit dans la classe politique ou dans les médias, et il pourra aussi exploiter la présidence française de l’Union européenne, mais de son côté, Éric Zemmour peut espérer être porté par une lame de fond s’il réussit à convaincre qu’un changement radical de politique est la meilleure option pour le pays.

Les incidents qui ont émaillé le meeting de Villepinte, ses attaques contre les médias, peuvent-ils lui attirer un capital sympathie ou le ranger dans un corner populiste de candidat qui diviserait les Français ? 

Arnaud Stephan : Je crois sincèrement que le positionnement d’Éric Zemmour a été pesé, que ses prises de position sur les médias, le président de la République et l’absence de références à Marine Le Pen, dans son discours de Villepinte, ne doivent rien au hasard. La finalité n’est plus, avec une candidate soutenue par le RN qui ne dévisse pas et qui reprend l’ascendant, de chercher le capital sympathie mais plutôt de rassembler un camp, une droite libérale conservatrice. C’est une course de fond dont l’unique but est de casser sur la ligne afin de se qualifier au second tour à la photo finish. L’écrivain-candidat et ses équipes ont fait une croix sur une qualification nette. L’objectif est de cristalliser un électorat conservateur, agrémenté de nationaux critiques envers Marine Le Pen. Il faut installer l’idée du meilleur opposant et que le vrai duel c’est celui du débat de deuxième tour… qu’il est persuadé de remporter haut-la-main. Cela tient de naïveté et de la croyance en une arme secrète, qui seule, fera la différence. En résumé : je suis le seul à pouvoir pulvériser Emmanuel Macron sur un plateau et donc de gagner l’élection.  

Les semaines qui viennent nous dirons comment ses équipes habilleront programmatiquement cette certitude en une martingale.  

Vincent Tournier : Éric Zemmour s’est positionné comme le seul candidat authentiquement antisystème. Il parle donc quasiment sans filtre, n’hésitant pas à mettre les pieds dans le plat et refusant de faire marche arrière face aux critiques et aux procès. C’est pourquoi il suscite une telle hostilité, laquelle n’a guère d’équivalent dans le passé. Même Jean-Marie Le Pen, qui revendiquait lui aussi une posture anti-establishment (« l’établissement », comme il disait), n’a pas provoqué autant de passion et de virulence dans le monde politico-médiatique. Cela s’explique par le fait Éric Zemmour s’applique à dynamiter tous les dogmes contemporains, allant à rebours de tout ce qui a été considéré comme moralement sacré durant ces dernières décennies, et qu’il le fait en plus avec des arguments. Cette attitude ne peut que produire des réactions très vives en retour. Comme il est un briseur de tabous, il provoque des réponses à la hauteur de ses attaques, et ses attaques étant elles-mêmes à la hauteur des tabous qui se sont érigés dans la société, elles donnent le sentiment d’être dans une sorte de libération de la parole que certains jugent blasphématoire. On assiste alors à une sorte de réaction en chaîne qui peut mener très loin, y compris jusqu’à la violence.

Une posture aussi iconoclaste peut évidemment effrayer nombre d’électeurs, qui souhaitent éviter d’entrer dans une spirale conflictuelle et inquiétante. Mais nous ne sommes pas dans une période ordinaire. Plusieurs facteurs ont changé la donne : la montée de l’insécurité et de l’islamisme bien sûr, dont on sous-estime la peur et les attentes qu’ils produisent dans la société, mais aussi la radicalisation politique d’une partie de la gauche, laquelle tente d’imposer de nouvelles idéologies telles que la théorie du genre ou le décolonialisme, et qui n’hésite pas aussi à cautionner la violence de rue, comme on vient encore de le voir à l’occasion du meeting de Villepinte.

Dans ces conditions, les électeurs peuvent se dire que, finalement, Éric Zemmour représente une menace moins sérieuse que d’autres périls. Il peut même apparaître comme un sauveur, ce qu’il tente d’ailleurs de faire. La gauche radicale est très remontée contre Éric Zemmour mais elle a aussi contribué à son succès en raison de son propre activisme idéologique. En mettant en avant la notion de race dans le débat public, la gauche donne même le sentiment d’être passée du côté de l’extrême-droite. A force d’outrances dans le racialisme, elle rend paradoxalement Éric Zemmour acceptable en raison du plaidoyer de ce dernier pour l’assimilation, ce qui le place du côté de la tradition républicaine.

Dans ce contexte, Emmanuel Macron n’est pas dans une position aisée. Il va devoir s’opposer à Éric Zemmour sans donner le sentiment de se retrouver du côté des forces politiques qui le combattent, sous peine d’être associées à ces dernières. C’est là que son art de la synthèse pourrait lui servir, en sachant que l’équilibre sera difficile à trouver. Si Éric Zemmour parvient à faire de la nation le point de clivage majeur de la présidentielle, les attaques contre lui deviendront très délicates car ses adversaires auront beaucoup de mal à éviter de tomber dans un discours anti-national qui pourrait choquer nombre d’électeurs.

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