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Eric Woerth : "La France souffre de suradministration chronique"
©Reuters

Bonnes feuilles

Les fragilités de notre économie préexistaient largement au choc de 2008, tant notre pays a accumulé un retard de réformes, rendant notre système économique et social obsolète. Tout n’est pourtant pas perdu, et la France peut échapper à la fatalité de la croissance faible, du chômage de masse et du déclassement. Extrait de "Une crise devenue française", de Eric Woerth, publié aux Editions l'Archipel (1/2).

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Eric Woerth

Né en 1956 dans l’Oise, département dont il est député depuis 2002, Éric Woerth a été secrétaire d’État à la Réforme de l’État sous le gouvernement Raffarin, puis ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État de 2007 à mars 2010 et ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique en 2010 au sein des deux premiers gouvernements Fillon. Actuellement, Eric Woerth est Secrétaire général des Républicains. Les éditions de l’Archipel ont publié sa biographie du duc d’Aumale (2006). Depuis 1995, il est maire de Chantilly.

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Les Français connaissent depuis longtemps le millefeuille territorial, superposition de strates de collectivités allant de la commune à la région en passant par l’intercommunalité et le département – sans oublier la galaxie des syndicats divers, structures de coopération entre collectivités pour la production de divers services publics 1. On a vu précédemment que cette organisation, malheureusement pour partie sanctuarisée par la Constitution 2, était génératrice de surcoûts pour les finances publiques. Elle est aussi source de confusion pour les citoyens. Année après année, les Français sont appelés aux urnes pour se prononcer sur la composition des assemblées délibérantes de chaque échelon, sans très bien en comprendre les enjeux ni pouvoir dire clairement qui fait quoi.

Autre phénomène moins connu, la complexité de l’organisation territoriale de l’État. Les Français sont en effet moins familiers de la carte de l’administration dite « déconcentrée », constituée des ramifications des ministères parisiens dans les territoires, mais celle-ci présente les mêmes pathologies que notre structure de collectivités. Si nos concitoyens ont tous entendu parler du préfet, qu’ils associent à juste titre aux questions de sécurité, ils sont en revanche moins nombreux à pouvoir expliquer la différence entre un préfet et un sous-préfet, et ignorent sans doute pour l’essentiel la subtile distinction entre préfet de département et préfet de région.

Or, la France compte aujourd’hui une centaine de préfectures, dont bientôt treize joueront le rôle de préfecture de régions. Ces préfectures sont subdivisées en 342 arrondissements qui comptent, pour 238 d’entre eux, une sous-préfecture regroupant des services administratifs placés sous l’autorité d’un sous-préfet. Près d’une cinquantaine d’entre elles comptent moins de dix fonctionnaires, la carte des arrondissements n’a quasiment pas été modifiée depuis 1926, et l’essentiel des services rendus ont disparu 1. Mais, au nom du maillage du territoire et de la proximité, les coûts demeurent 2.

En dehors des questions régaliennes, les Français n’ont sans doute pas conscience du fait que le préfet, représentant de l’État dans les territoires, intervient en matière de gestion des risques et d’environnement, d’agriculture, de contrôle sanitaire et d’hygiène, de concurrence et de répression des fraudes, de respect du droit du travail, d’aides aux entreprises, qu’il dispose de services culturels et subventionne des associations sportives ou d’action sociale. Ils n’ont vraisemblablement que rarement rencontré les sigles peu évocateurs de ses services régionaux – SGAR, DREAL, DIRECCTE, DRAAF, DRAC et DRJSCS – et de leurs alter ego départementaux – DDPP, DDCS, DDT –, dont on comprend d’ailleurs mal comment leurs compétences s’articulent avec l’échelon régional et pourquoi leur organisation diffère.

Ne citer que les services du préfet, ce serait oublier les agences régionales de santé, qui pilotent les établissements et la politique de santé à l’échelle régionale, mais aussi les rectorats, dont les nombreux fonctionnaires administrent les carrières individuelles des enseignants et assurent la gestion des établissements scolaires des académies, circonscription administrative propre au ministère de l’Éducation nationale, dont la carte ne recoupe pas celle des préfectures. Il faut aussi ajouter le réseau propre du ministère de la Justice, avec ses tribunaux de grande instance et ses cours d’appel, dont la carte ne s’articule pas davantage avec celle des préfectures qu’avec celle des rectorats..

En matière sociale, comment oublier les réseaux de la Sécurité sociale, ses 101 caisses départementales d’allocations familiales, ses 101 caisses primaires d’assurance maladie, ses 15 caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), ses 22 Urssaf, ses structures liées à des régimes ne relevant pas du régime général (mutualité sociale agricole, régime social des indépendants), qui côtoient les services sociaux du département, et les centres communaux d’action sociale (CCAS) des municipalités ?

La sophistication administrative est le lot de toute civilisation avancée, et n’est pas nécessairement synonyme de gabegie. Pour autant, notre pays fait figure d’exception lorsqu’on le compare à nos voisins européens.

Ainsi, en trente ans, l’Allemagne est passée de plus de 30 000 communes à moins de 12 000. L’Italie et l’Espagne comptent pour leur part environ 8 000 communes chacune, et le Royaume-Uni est quant à lui géré par 409 autorités locales, échelon administratif intermédiaire entre l’intercommunalité et le département.

En France, on le sait, la situation est restée bien différente. C’est ainsi que notre pays se retrouve champion du nombre d’élus. Avec 618 384 mandats électifs, la France compte en effet un mandat électif pour 104 habitants, ce qui constitue un record, loin devant l’Autriche (un mandat pour 209 habitants), la Suède (un pour 256 habitants), ou le Royaume-Uni (un pour 2 603 habitants). L’écrasante majorité des élus sont des bénévoles. Ils ne coûtent donc rien aux Français, et ont simplement décidé de consacrer une partie de leur temps au service de l’intérêt général et de leurs concitoyens. Mais leur multiplication, dans un environnement dans lequel les compétences sont mal réparties, est l’une des causes de l’inflation des normes et de la dépense publique. Moins d’élus (moins d’élus locaux mais aussi moins de parlementaires), mais disposant de moyens plus importants pour travailler, voilà nous semble‑t‑il une proposition efficace et responsable !

Notre situation de suradministration se traduit aussi par un nombre de fonctionnaires rapporté à la population plus élevé que chez nos voisins. Fin 2012, environ 5,5 millions de salariés travaillaient en France dans la fonction publique, qu’ils soient fonctionnaires ou agents contractuels 1. La France est le cinquième pays de l’OCDE dans lequel la part de l’emploi public dans la population active est la plus élevée (22 %, contre 15,5 % en moyenne), et le premier pour la part de fonctionnaires sous statut. La France en 2011 comptait 90 emplois publics pour 1 000 habitants, contre 88 au Royaume-Uni, 70 aux États-Unis, 50 en Allemagne et 40 au Japon.

Extrait de "Une crise devenue française", de Eric Woerth, publié aux Editions l'Archipel, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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