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Erdogan peut-il réussir à avoir un impact significatif sur les élections allemandes ?
©REUTERS/Umit Bektas

"Votez contre les ennemis de la Turquie"

Le président turc a appelé les "Turcs d'Allemagne" - plus grande minorité du pays - à donner une "gifle" aux partis au pouvoir lors des élections générales allemandes du 24 septembre prochain.

Fabien Laurençon

Fabien Laurençon

Fabien Laurencon est agrégé d'allemand, diplômé de Sciences Po Paris. Il a enseigné l'histoire et la civilisation allemandes à l'université Sorbonne nouvelle Paris III et à Paris X. 

 

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Alors que les élections générales allemandes se dérouleront le 24 septembre prochain, Recep Tayyip Erdogan a appeler les Turcs d'Allemagne à donner une "gifle" aux partis au pouvoir, ciblant directement la CDU, le SPD, ou les verts. Quel pourrait être l'impact d'un tel appel sur le résultat des élections ? Les "Turcs d'Allemagne", plus grande minorité du pays, sont-ils susceptibles de suivre les directives de Recep Tayyip Erdogan ?

L'ingérence directe, ouverte, d'un membre de l'exécutif turc et non des moindres, puisqu'il s'agit du président R.T. Erdogan constitue un précédent historique et une étape supplémentaire dans la crise entre Berlin et Ankara.

Le 18 août, Erdogan a en effet appelé les électeurs allemands d'origine turque à ne pas voter pour la CDU-CSU le 24 septembre prochain, et à boycotter également la SPD et les Verts - ces trois partis étant considérés comme "des ennemis de la Turquie" par le président turc. Le ministre turc en charge des questions européennes, Ömer Celik, quatre jours après, prenant le relais de la surenchère verbale, a accusé dans 28 tweets le ministre allemand des affaires étrangères, Sigmar Gabriel, de tenir des propos dignes d'un "raciste" et d'un membre de l'extrême droite - à l'instar du ministre autrichien des affaires étrangères, Sébastian Kurz,  stigmatisé pour sa part comme "un ennemi des réfugiés et un symbole d'une politique raciste". Jusqu'où ira le pouvoir turc dans son escalade verbale vis-à-vis de l'Allemagne qui avait débuté avec des attaques ad hominem d'une violence inouïe dans la culture politique allemande contre Angela Merkel au printemps 2017? Quelle est la stratégie d'Erdogan (il y a-t'il au fond vraiment un objectif politique ?) dans cette spirale antiallemande et anti-occidentale qui est largement instrumentalisée sur le plan intérieur pour se poser en victime ? C'est la principale inconnue. 

Si l'on pousse le raisonnement d'Erdogan, cela revient indirectement à voter pour l'un des trois partis restant: la FDP, l'extrême gauche (die Linke) ou l'AfD à l'autre extrême, tous trois très critiques, avec des prismes politiques différents, à l'égard de l'AKP et du gouvernement turc.

Un million de Turcs sur les 3 millions résidant sur le territoire allemand possèdent la nationalité allemande, et 700000 d'entre eux sont en âge de voter, ce qui représente moins de 1% du corps électoral allemand. De facto, l'appel à boycotter le scrutin devrait n'avoir qu'un impact marginal sur les résultats. Par ailleurs, la communauté turque allemande n'est pas un bloc homogène, même si elle a voté massivement en faveur du référendum et de la réforme constitutionnelle proposée par Erdogan au printemps dernier. Elle est parcourue comme en Turquie par des lignes de fractures profondes. Les minorités alévies et surtout kurde sont fondamentalement hostiles à l'AKP. Enfin, l'électorat turc allemand vote d'abord en fonction d'enjeux allemands ; historiquement, cet électorat est dans sa grande majorité, favorable au parti social-démocrate, la CDU-CSU pâtissant de l'hostilité de Merkel et du parti à l'intégration de la Turquie dans l'UE.

Les tensions existantes entre les deux pays, notamment depuis le coup d'Etat ayant visé la Turquie lors de l'été 2016, se répercutent-ils au sein de la population allemande ? Cette tension inter-étatique a-t-elle pour conséquence une tension communautaire en Allemagne ?

Les réactions de la communauté turque, si tant est qu'on puisse encore une fois la considérer comme un ensemble politique homogène, ce qu'elle n'est pas, restent très mesurées. Les tensions au niveau bilatéral n'entraînent pas d'internalisation du conflit entre communautés, que ce soit au sein de la communauté turque ou entre Turcs et Allemands. En revanche, l'appel au boycott lancé par Erdogan fait le jeu de l'AfD, de plus en plus ouvertement positionné à l'extrême droite du spectre politique. Les attaques du chef de file de l'AfD, Alexander Gauland, hier, contre la déléguée interministérielle à l'intégration Aydan Özoguz (SPD) ont soulevé un tollé outre-Rhin, dans tous les autres partis, poussant le président fédéral, Franck-Walter Steinmeier, à sortir de sa réserve traditionnelle en période électorale pour condamner ces propos. Le vrai risque réside davantage dans l'instrumentalisation par l'extrême droite allemande de cette ingérence du pouvoir turc pour tenter d'hystériser le débat,  et d'accentuer ainsi une brutalisation des pratiques et des comportements politiques constatés depuis plusieurs mois. La campagne électorale est en effet marquée, quel que soit le parti ciblé, par une recrudescence des actes de vandalisme contre les permanences électorales, d'agression ou d'intimidations contre les candidats (dernière en date, la candidate SPD Michelle Müntefering) ou des membres de leurs équipes, ou de meetings perturbés.

Dans quelle mesure peut on estimer que Berlin est "coincé" par la présence de 3 millions de migrants sur le territoire turc, susceptible d'alimenter une nouvelle crise migratoire, comme celle que le pays a connu en 2015 ?

Les marges de manœuvre politiques du gouvernement allemand, au-delà de son discours de fermeté, sont en effet limitées. Avec près de 3 millions de réfugiés / migrants sur le territoire turc, le pouvoir turc détient un levier puissant de négociation voire de déstabilisation à l'adresse du gouvernement allemand (présent et futur) au regard de la sensibilité du sujet migratoire dans la campagne électorale et l'opinion publique, et du facteur durable de fragilisation qu'il constitue pour Angela Merkel. Dans la relation que l'Allemagne doit tenter de reconstruire avec la Turquie, qui sera un des grands enjeux du prochain gouvernement allemand, l'un des défis sera précisément de sortir de cette logique de chantage aux réfugiés dont use et abuse le pouvoir turc. Angela Merkel se retrouve en quelque sorte ici prise au piège de sa politique unilatérale décidée en 2015 et de cette relation exclusive qu'elle avait initiée avec Erdogan, et dont il s'agit désormais de sortir pour l'amener dans le cadre européen.

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