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"Je fabrique une corde de fortune avec des draps. Je projette de m’accrocher dans les toilettes de ma cellule..." : quand le moral flanche après 20 ans de prison
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Bonnes feuilles

Trente ans dans une cellule de 10 m2 : telle fut la vie d’Eric Sniady, braqueur multirécidiviste qui a passé la moitié de son existence en prison pour n’en sortir qu’à 57 ans. Violence, promiscuité, hygiène déplorable, abus de pouvoir des matons, drogues et médicaments à profusion… Sous sa plume, le système carcéral apparaît sous son aspect le plus sombre. Une société parallèle n’engendrant le plus souvent que souffrance et isolement. Extrait de "Entre quatre murs", d'Eric Sniady et Manuel Sanson, aux éditions de la City 2/2

Manuel Sanson

Manuel Sanson

Manuel Sanson, journaliste qui travaille notamment pour L'Express, a recueilli le témoignage d'Eric Sniday, ancien braqueur, pour écrire Entre quatre murs (éditions du Moment).

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Eric Sniady

Eric Sniady

Eric Sniady est un ancien braqueur happé par la machine carcérale. Sur le chemin de la rédemption, il milite pour la défense des droits des détenus. 

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Fin 2006, je suis placé en cellule classique avec, tout de même, un « traitement de faveur ». Interdiction formelle de fouler les terrains de sport. Ma dernière évasion a laissé des traces… Je suis dégoûté. 

À la même période, je rencontre une équipe de journalistes. Ils viennent tourner un reportage télé. Ils enregistrent dans les cours de promenade et à l’intérieur de certaines coursives. Le deuxième jour, un aréopage de gradés accompagné d’un reporter et de sa caméra frappe à ma porte. Je suis sur la défensive. Pas question de lui parler, encore moins être filmé. Je ne porte pas les gratte-papiers dans mon cœur. Toujours à déformer tes propos, pire, à diffuser des images sans rapport avec la voix off. J’en ai déjà croisé certains lorsque je me trouvais à Saint-Maur. Sans ménagement, je congédie tout ce petit monde. Une demi-heure plus tard, on frappe à nouveau. Cette fois, la réalisatrice du documentaire se pointe en personne. Plus accommodant, j’accepte de répondre à ses questions. Elle s’intéresse de près aux conditions de détention. Je lui décris tout cela par le menu. Pendant plusieurs heures, on échange face caméra. Au final, je ne figure même pas au montage… Avant la diffusion survient l’affaire du cannibale de Rouen. Le sujet initial est réorienté ; mon témoignage passe à la trappe. Un mal pour un bien : je ne tenais pas plus que ça à voir mon visage à l’écran. 

Malgré le rapprochement familial, ce séjour me laisse un goût amer. De nouveau, le moral chute au plus bas. C’est dans cette maison d’arrêt que j’ai tenté de mettre fin à mes jours. À ce moment, l’avenir s’annonce plus sombre que jamais. Je m’apprête à récolter trois nouvelles condamnations. Au bas mot, 20 ans de prison supplémentaires. Je suis au fond du gouffre. Un jour de déprime aiguë, je décide de me foutre en l’air. En 30 ans de privation de liberté, j’ai basculé une seule fois. Jusque-là, j’avais toujours réussi à faire face grâce à une certaine rage de vivre. Ce soir d’hiver, je suis vidé. Les pensées macabres assaillent mon esprit, et mon cerveau part en vrille.

Décision est prise. Je fabrique une corde de fortune avec des draps. Je projette de m’accrocher dans les toilettes de ma cellule. En pleine nuit, je m’exécute. Mon histoire aurait dû s’arrêter là. De manière tragique. Déjà, j’avais rédigé un courrier d’excuses et d’explications à l’attention de ma fille. Cette nuit-là, j’ai énormément de chance : je ne sais pourquoi, le maton chargé de la ronde tourne avec son supérieur hiérarchique. Le soir, lui seul conserve les clefs des cellules. Le surveillant lambda n’en dispose pas. Pour se justifier, l’administration pénitentiaire invoque des raisons de sécurité. Cette politique provoque néanmoins de très nombreux accidents. Par l’intermédiaire de l’OIP, j’ai rencontré le père d’un jeune détenu décédé en 1996 à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy. En pleine nuit, sur un coup de folie, son compagnon d’infortune a mis le feu à la cellule. Ce soir-là, le gardien n’a pu qu’assister au drame depuis l’œilleton. Dans une majorité des cas, le temps pour le gradé d’arriver, il est déjà trop tard. 

Ce n’est pas mon heure. On se porte tout de suite à mon secours. Les deux agents parviennent à me décrocher pour me prodiguer les premiers soins. Dans la foulée, les pompiers arrivent dans mon cagibi. Je suis admis au centre hospitalier et placé sous assistance respiratoire. Au bout de deux jours, je réintègre ma cellule. Je suis passé à deux doigts de la mort. On ne m’y reprendra plus…

De retour entre quatre murs, je suis reçu par le psychiatre. Il insiste pour me prescrire des médicaments. Fidèle à ma ligne de conduite, je décline. Je remonterai la pente en solitaire. Bien sûr, je ne dis rien de tout ça à ma fille. Je n’ai jamais voulu m’épancher auprès d’elle sur mes états d’âme. Je trouve cela irrespectueux. De son côté, elle a déjà beaucoup souffert de mon absence prolongée. Dans cette histoire, je suis le seul fautif. J’ai déconné, ça m’a conduit en prison. Il faut payer et assumer sans que cela affecte mes proches. Je me suis toujours obligé à apparaître souriant lors de nos rencontres aux parloirs. Lorsqu’elles sont terminées, la douleur refait surface. Elle ne s’évapore jamais totalement…

Extrait de Entre quatre murs, d'Eric Sniady et Manuel Sanson, publié aux éditions de la City, juin 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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