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Entre mariage impossible et divorce dangereux, que devrait proposer l'Europe à la Turquie maintenant que l'Allemagne lui a dit non (aussi) ?
©Reuters

Débat enflammé

La Turquie est revenue dans le débat sur l'élection générale allemande, et Angela Merkel s'est montrée catégoriquement opposée à son intégration dans l'Union Européenne. Aussi, plutôt que d'élargir le projet à de nouveaux pays, une redéfinition des racines de l'Europe est primordiale pour baisser les tensions politiques.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Au cours du débat l'opposant à Martin Schulz, Angela Merkel a une nouvelle fois clarifié sa position sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne; c'est un non. En quoi une telle orientation peut elle permettre de redéfinir l'Union européenne, aussi bien en termes de valeurs, de géopolitique,  ou sur les sujets économiques ? En quoi la fin de la période d'extension de l'UE, qui se projetait en Turquie, change la donne dans cette "définition" de l'Europe ? 

Alexandre Del Valle : Ce n'est pas Madame Merkel qui a changé d'avis. Elle ne s'est jamais montrée favorable à une adhésion de la Turquie mais elle a continué les négociations parce qu'elle ne voulait pas s'opposer tout en étant contre dans son cœur. La Turquie avec le référendum qui a donné les pleins pouvoirs à Erdogan en avril dernier, suite aux répressions de 2013 et au coup d'Etat manqué est devenue de plus en plus autoritaire. Elle a violé le droit européen. Des insultes et des menaces ont été proférées contre Madame Merkel, l'Allemagne, la Belgique et la Suède. Le sultan Erdogan a été trop loin. L'Europe a pris acte de l'évolution autoritaire et dictatoriale d'Erdogan et de la Turquie. Deuxièmement, le Parlement Européen a voté une résolution adoptée à la grande majorité qui affirmait que la Turquie ne pouvait plus remplir les conditions d'adhésion à l'Union Européenne. Les négociations ont dû être momentanément stoppées si le pays ne revenait pas en arrière. Voilà pour le décor. Cela ne va pas changer grand-chose puisque depuis 2008-2009, les Turcs n'y croient plus vraiment. 2008 a marqué la fin du système kémaliste et Erdogan avait commencé à montrer des visions islamistes et autoritaires inquiétantes à partir de 2008-2010. Le processus d'intégration a montré des blocages et a commencé à ne plus avancer. Si cela s'arrête vraiment, si l'Union Européenne annonce que le processus est interrompu, cela va clarifier les choses. Ce festival d'hypocrisie date de 2005 quand personne n'y croyait mais tout le monde faisaient croire qu'on y croyait. Les spécialistes du droit européen savaient que les conditions n'étaient pas réunies. Avant même la dérive autoritaire d'Erdogan, la Turquie occupe toujours 37% du territoire de Chypre. Chypre fait partie de l'Union Européenne et possède un droit de veto. La non-reconnaissance du gouvernement légitime de Chypre par la Turquie empêche l'application du droit européen, l'ouverture des ports et des aéroports, l'union douanière. Techniquement, la candidature turque est bloquée depuis toujours. La Turquie a refusé depuis le début de reconnaître le pouvoir chypriote. D'un point de vue diplomatique, les choses seront plus claires, économiquement, cela ne changera rien puisqu'il y a déjà une union douanière avec la Turquie depuis 1995. Depuis le début, il aurait fallu privilégier un partenariat de bon voisinage comme avec la Géorgie et la Tunisie. Il aurait fallu promouvoir une alliance plutôt qu'une adhésion comme l'avait dit Sarkozy. 

Nicolas Sarkozy avait été clairvoyant sur la Turquie mais aussi François Bayrou ou Robert Badinter l'avaient dit, la Turquie n'avait pas vocation a devenir membre de la famille européenne, pour des raisons géographiques, historiques, religieuses et même des raisons morales et de droit. Aujourd'hui, il faudrait proposer à la Turquie quelque chose qui soit plus adapté. 

Si le processus de négociation est annulé, ce sera l'occasion de commencer par le début, c’est-à-dire, qu'est-ce que l'Europe ? Quelles sont ses racines ensuite, quelles sont ses frontières et ses limites. Le problème de l'Europe est le même que celui de l'OTAN. Ce sont des institutions qui ont vocation à s'étendre de manière indéfinie et ceci dérange un certain nombre de voisins à commencer par la Russie. Pour ne pas être dangereux pour ses voisins, il faut que l'Europe ait une bonne définition de ses frontières et de dire qu'il y a des limites. L'Europe ne peut pas s'étendre à l'infini. Il faut un projet qui s'approfondisse plutôt qu'un projet qui s'élargisse. On le voit avec la Pologne qui a un modèle différend des pays de l'Occident. Plus on élargit, moins on peut approfondir. Il sera temps de définir des limites qui reposent sur l'identité. Ces limites reposent sur l'Histoire et l'identité, à savoir, le peuple européen.

Selon un sondage IFOP réalisé en 2014, 83% des Français et 72% des Allemands étaient opposés à l'adhésion de la Turquie à l'Europe. En quoi ce changement de "cap" peut il être également l'occasion, pour les dirigeants européens, de reprendre la main vis à vis de l'opinion en Europe ? 

La question est légitime mais est-ce que les dirigeants ont envie de coller à l'opinion publique.  Aujourd'hui on constate que la politique des dirigeants européens c'est de faire avancer un projet qui est plus mondialiste qu'européen avec cette idée du multiculturalisme de la place de l'Islam de l'adhésion à des valeurs autres que celles des occidentaux ou de s'adapter à des idées venues d'ailleurs. Toute l'idée aujourd'hui de nos dirigeants, effrayés par des lobbys internes et externes mais également par des grandes puissances étrangères est de faire de l'Europe un laboratoire pour une espèce de gouvernement mondial.

Depuis les années 90 c'est un grand débat : "Est-ce que l'Europe doit rester européenne" comme le voulait Schuman ou Adenauer qui avaient un projet identitaire, un projet judéo chrétien européen. A partir des années 90,  on a commencé à voir dans l'Europe un laboratoire du multiculturalisme qui serait l'antichambre d'une forme de conscience planétaire future. Ce projet est dangereux car il fait peur aux peuples, il est déconnecté des masses et risque un jour de détruire le projet européen tel qu'il avait été conçu à la base.

C'est le grand débat Europe monde ou Europe européenne. Je pense que c'est cette seconde qui doit triompher sinon elle ne collera pas aux aspirations des peuples qui justement deviendront europhobes. Pourquoi les populations le sont de plus en plus ? Ce n'est pas uniquement à cause de l'euro qui a ruiné une partie des pays d'Europe du Sud, c'est aussi le fait qu'ils ne se sentent rien en commun avec un projet qui leur paraît plus mondial que véritablement répondant à leur désir d'identité et de valeurs.

Quelle stratégie mener pour en arriver à une relation stabilisée avec la Turquie, sans aller trop loin et tout en répondant aux diverses provocations de Recep Tayyip Erdogan ? 

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