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Enquête du gendarme de la bourse sur Tesla, pertes record... : Elon Musk et ses entreprises sont-ils aussi solide qu'il n'y paraît ?
©Joshua LOTT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Mystère

Dans un entretien au New York Times, Elon Musk a affirmé qu’il travaillait 120 heures par semaine, prenait un somnifère puissant pour dormir et voyait de moins en moins ses enfants et ses amis, alors que Tesla est dans la tourmente.

Frédéric Marty

Frédéric Marty

Frédéric Marty est chercheur affilié au Département Innovation et concurrence de l'OFCE. Il également est membre du Groupe de Recherche en Droit, Economie et Gestion (GREDEG) de l'Université de Nice-Sophia Antipolis et du CNRS.

 

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Atlantico : Tesla a annoncé en 2017 deux milliards de dollars de perte, est visée par plusieurs enquêtes du SEC (le gendarme de la bourse américain) et peine à prouver qu'elle a réellement les fonds nécessaires pour une sortie de bourse. L'entreprise d'Elon Musk est-elle pérenne ?

Frédéric Marty : Avant même d’évoquer les problèmes liés à la dynamique boursière, il convient de revenir au problème de fond qui porte sur l’activité industrielle elle-même, c’est-à-dire sur l’économie dans ce qu’elle a de plus réel. A l’heure actuelle Tesla commercialise seulement deux modèles, la Type S et la Type X que nous connaissons l’une et l’autre en France. Il est nécessaire pour des raisons de rentabilité d’étoffer cette gamme. Aux côtés de projets divers (SUV compact, coupé sportif, camion, …), le projet le plus abouti est la Type 3 qui est une berline moyenne. L’industrialisation et la commercialisation rapide de ce modèle est essentiel pour la firme, ne serait-ce que pour générer des recettes financières pour récupérer les investissements réalisés et rémunérer ses actionnaires. Or, des doutes croissants se font jour quant à sa capacité à mener à bien cette montée en volume. Les reports de commercialisation s’accumulent et les cibles en termes de volumes deviennent pour le moins mouvantes et peut-être potentiellement décevantes pour les investisseurs.

C’est dans ce contexte que le régulateur américain des marchés financiers, la SEC, s’est intéressé une première fois à la communication financière du groupe. Une société coté doit fournir une information qui n’induise aucun biais dans les décisions des investisseurs et qui donc ne puisse conduire à des évolutions artificielles des cours.

Cette tension avec la SEC s’est exacerbée avec l’annonce via Twitter d’une sortie de la cote. S’il est possible de faire passer sa communication financière via des media sociaux, les règles sont particulièrement strictes en ce qu’il faut fournir la même information au même moment à toutes les parties prenantes et que cette information doit-être la plus fiable possible. Or, il semble que la communication n’a pas été suffisamment étayée rapidement aux yeux de certains investisseurs qui ont pu voir leurs positions affectées par les conséquences boursières de cette annonce.

C’est sur cette base qu’a été envoyé un subpoena, c’est-à-dire une injonction faite à Tesla de transmettre toute l’information nécessaire sur ce processus financier de décision de retrait de la bourse et de communication aux investisseurs. Il s’agit d’une affaire dans l’affaire qui se terminera par une procédure négociée… ou par une procédure contentieuse qui pourrait, si elle trouvait une issue défavorable pour Tesla, donner lieu à une sanction pécuniaire.

Deux questions peuvent donc  être posées. La première tient à la communication financière de la firme et de son évaluation à l’aune des règles relatives aux marchés financiers. La seconde porte sur le coût et donc le caractère réalisable de l’opération, qui dépendra de l’attitude des actionnaires actuels (resteront-ils au tour de table ?) et des capacités d’investissements du fonds pressenti. En effet, l’opération n’est réalisable que si les ressources requises sont limités au possible et que Tesla trouve un investisseur susceptible de lui permettre de financer ce retrait de la cote.

Le géant chinois Tencent Holding est déjà actionnaire à 5% de Tesla. L'éventualité d'une participation majeure de l'Arabie Saoudite au sein du capital est-elle inquiétante pour les Etats-Unis ?

Un fonds souverain étranger est donc susceptible d’acquérir une influence majeure sur un acteur technologique américain de premier plan. Il est possible de discuter de la faisabilité de cette opération en considérant successivement les incitations du fonds d’investissement et le cadre réglementaire et politique dans lequel cette prise de participation pourrait se faire.

Considérons tout d’abord l’opération sous l’angle du fonds. Le Public Investment Fund (PIF) saoudien est un fonds souverain particulièrement bien doté qui a déjà pris des participations dans des entreprises occidentales de premier plan. Un tel fonds souverain a pour objet de recycler les excédents réalisés dans le domaine des hydrocarbures pour gérer au mieux à terme les conséquences de l’épuisement des ressources énergétiques fossiles. Un fonds souverain de ce type permet également de diversifier une économie trop dépendante de cette rente. Ces fonds sont donc utilisés par de nombreux Etats pour des investissements de long terme, notamment dans les infrastructures publiques. On parle alors d’investisseurs en capital patient. Ils ne visent pas à maximiser une rentabilité immédiate dans une logique spéculative mais au contraire à trouver des investissements sécures et raisonnablement rémunérateurs sur le long terme.

Ces investissements peuvent également porter sur des secteurs technologiques et ce particulièrement pour un fonds comme le fonds saoudien. En effet, les autorités locales sont engagées dans une politique résolue de diversification de l’économie nationale. Cette stratégie est commune à plusieurs pétromonarchies mais elle se pose avec une acuité particulière pour les autorités de Riyad du fait notamment des spécificités démographiques. L’investissement dans des entreprises de haute technologie dans les domaines du numérique et de l’énergie est particulièrement pertinent dans le cadre de la stratégie nationale de développement engagée ces dernières années.

Il convient également de relever qu’un tel investissement peut également participer d’une stratégie d’influence. La rationalité n’est pas seulement celle d’un investisseur privé en économie de marché. Dans un contexte géopolitique régional troublé et structurellement instable, investir dans des entreprises de partenaires occidentaux est de nature à renforcer des liens dont la solidité est plus que jamais nécessaire.

Il n’en demeure pas moins que dans un contexte caractérisé par des discours protectionnistes, une telle montée dans le capital d’une entreprise aussi avancée technologiquement et aussi emblématique peut poser questions en termes de réglementation.

C’est la seconde partie de la question : la réglementation américaine ne risque-t-elle pas de rendre difficile une telle prise de participation ? La législation en matière d’investissements étrangers dans les secteurs technologiques clés ou les infrastructures stratégiques vient d’être renforcée par l’administration Trump. Le récent National Defense Authorization Act incopore un Foreign Investment Risk Review Modernization Act qui renforce les modalités de contrôle des investissements étrangers. Un comité réunissant plusieurs agences fédérales, le CFiUS, est doté de larges attributions en matière de supervision de telles opérations.

Or, les technologies développées par Tesla sont indubitablement des technologies stratégiques. Songeons aux questions relatives aux batteries, à la production et au stockage de l’énergie et aux véhicules autonomes. Cependant, il convient d’attendre les premières mises en œuvre des ressources d’actions offertes par ces dispositifs pour jauger de leurs effets réels. Notons que des fonds issus d’Etats pétroliers ou des BRICs ont par le passé acquis ou pris des participations conséquentes dans des entreprises clés des pays occidentaux sans que ces opérations soient significativement entravées pour des raisons de défense des intérêts stratégiques… et ce notamment en période de turbulences financières et boursières.

D'autres entreprises comme SpaceX pourraient-elles être impactées par une potentielle baisse de l'aura d'Elon Musk ?

Les difficultés liées à la communication financière très personnelle du PDG de Tesla et de ses répercussions  en termes d’intervention de la SEC ne doivent pas faire oublier l’aura qu’il peut avoir auprès des investisseurs et l’importance de ce dernier pour l’économie américaine en termes de soft power. A une heure où insiste souvent sur l’affaiblissement (très relatif) de la puissance économique et technologique américaine, il symbolise ce qui fait le leadership économique et culturel des Etats-Unis. D’origine non américaine, il accumulé les entreprises réussies dans des secteurs de haute technologie particulièrement diversifiés depuis les années quatre-vingt-dix et a démocratisé des innovations qui pouvaient avoir des difficultés à atteindre une cible suffisamment large. De surcroît, il prend en charge des objectifs relevant à la fois de politiques publiques stratégiques et consubstantielles à l’idéal américain (la nouvelle frontière spatiale) et montre (au moins partiellement) que l’initiative privée peut efficacement compléter l’action publique. Il faudrait également ajouter la capacité de rebond face aux difficultés.

Il convient aussi d’insister qu’à l’heure où le modèle de l’entreprise née dans un garage ou des innovations portée par un visionnaire de génie tend à se raréfier de plus en plus dans l’économie américaine, Elon Musk incarne cet idéal-type de l’ingénieur rebattant les cartes du jeu concurrentiel et faisant apparaître de nouveaux produits de masse par des innovations de rupture. Cette capacité à renouveler (au moins en termes d’image) une industrie automobile américaine durement éprouvée par la crise de 2008 et à bousculer les conventions a une importance qu’il ne faut négliger.

Elle a cependant pour prix des difficultés avec le régulateur des marchés financiers, légitimement soucieux de la qualité et de la fiabilité de l’information communiquée aux marchés, et potentiellement pour écueil, le difficile passage de la prouesse technologique destinée à une niche de marché à la grande série et toutes ses contraintes en termes d’industrialisation et de montée en puissance de la production. Les difficultés du Modèle 3 et les retards du Modèle Y (le SUV compact) en témoignent.

Pour autant, un fonctionnement charismatique, notamment en termes de communication, peut renforcer le risque de retournements, notamment face à des investisseurs soumis à de fortes pressions de rentabilité et parfois caractérisés par des comportements mimétiques. Une confiance basée sur les promesses d’un dirigeant visionnaire est moins solide que celle étayée par un bas de bilan. Un capital réputationnel peut s’éroder et de brusques retournements se produire. Des décisions spéculatives à la hausse peuvent céder le pas à des stratégies spéculatives à la baisse, notamment au travers de positions courtes, contre lesquelles Elon Musk a notamment pu prendre des positions tranchées. A ce titre des investisseurs en capital patient (et donc une sortie de la cote) sont plus indiqués que des investisseurs plus court-termistes mais reste encore à négocier au mieux cette passe étroite au prise avec des courants pour le moins défavorables.

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