Encore 5 mois pour enchaîner les nominations : comment la gauche tente de garder une part d'emprise sur le pays en verrouillant certaines institutions<!-- --> | Atlantico.fr
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Les responsables socialistes verrouillent certains postes hautement stratégiques de l'administration française.
Les responsables socialistes verrouillent certains postes hautement stratégiques de l'administration française.
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Fin de quinquennat

A cinq mois de la fin du quinquennat Hollande, l'un des derniers leviers d'action pour le gouvernement socialiste reste le pouvoir de nomination à certains postes hautement stratégiques de l'administration française.

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer

Jean-Marc Boyer est diplômé de Polytechnique et de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique (ENSAE). Il a commencé sa carrière en tant que commissaire contrôleur des assurances puis a occupé différentes fonctions à l’Inspection Générale des Finances (IGF), à la Commission de Contrôle des Assurances et à la direction du Trésor. Il est cofondateur de GLM et de la Gazette de l’Assurance.

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Pierre Monzani

Pierre Monzani

Pierre Monzani est préfet, Directeur général au sein de l'Assemblée des départements de France.

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Atlantico : Alors qu'il ne reste désormais plus que cinq mois au gouvernement avant la fin du quinquennat Hollande et une défaite électorale que beaucoup prédisent au Parti socialiste, doit-on s'attendre à voir le gouvernement multiplier les nominations administratives, dans le but de "verrouiller" certaines institutions ? Le processus est-il déjà à l'œuvre à l'heure actuelle ?

Pierre Monzani : Depuis 2012, le pouvoir socialiste a procédé à des nominations partisanes sur un rythme inédit et effréné. Cela équivaut quasiment à une nomination par jour avec un souci du détail qui va jusqu'à des postes relativement secondaires. C'est en fait un spoil system hypocrite qui ne dit pas ce qu'il est. Plus le pouvoir est aux abois, plus le phénomène est ample. On peut donc légitimement prévoir le pire dans les cinq mois qui restent. Est-il besoin d'ajouter que les socialistes étant persuadés ou feignant d'être persuadés d'incarner le bien, ils font tout cela avec une bonne conscience affichée. 

Jean-Marc Boyer : Ce qui est caractéristique cette fois-ci, c’est la précocité des pantouflages et autres recasages. Comme dénoncé par Le Monde, 10% des effectifs des Cabinets sont partis l’été dernier. Il faut suivre avec intérêt les arrêtés au Journal Officiel ! Les hauts fonctionnaires se préparent aussi à la prochaine opération d’ampleur. Il s’agit des croisements des gardes montantes et descendantes, à savoir les départs des directions centrales de l’administration vers les Cabinets et réciproquement.

Dans quels secteurs les nominations de ce genre sont-elles les plus cruciales (grands corps de l'Etat, audiovisuel, corps préfectoral, etc.) ?

Jean-Marc Boyer : Les ministres disposent en effet de postes dans les corps d’État, notamment d’inspections, dans les préfectures, les ambassades, les entreprises publiques, les institutions (par exemple, le Conseil Économique Social et Environnemental). Les ministères peuvent aussi faire pression pour obtenir des places dans les entreprises privées, les autorités indépendantes, les hauts comités, etc. On a ainsi vu des parachutages à la RATP, l’ADEME, l’Institut Gustave Roussy, la Caisse des Dépôts, la RMN-Grand Palais,… Le plus crucial concerne les directions d’administrations centrales et les groupes d’entreprises.

Pierre Monzani : Ce qui est frappant, c'est que ces nominations partisanes concernent tous les secteurs et ont un aspect systématique. Il est difficile de dire quelles sont les plus nocives pour l'avenir car le problème c'est bien l'ensemble et la nature de ces nominations. 

Quel est le potentiel de "nuisance" d'un tel processus pour le camp politique opposé, si ce dernier arrive bien au pouvoir en 2017 ? Quelles sont notamment les nominations les plus compliquées à contourner ou à faire annuler ? Le pouvoir politique est-il vraiment démuni face au pouvoir administratif ?

Pierre Monzani : Sous la IVe République, l'extrême instabilité gouvernementale nourrissait paradoxalement une stabilité de la haute administration seule à même de maintenir l'Etat. Ensuite, et de façon moins paradoxale, la stabilité gaulliste garantissait aussi une stabilité administrative. Tout s'est brouillé depuis 1981 avec la succession des alternances qui deviennent à la fois politiques et administratives. Certes, la cohabitation évitait des mouvements administratifs trop partisans grâce à l'équilibre entre le président de la République et le Premier ministre d'opinions contraires. Mais avec le quinquennat, le spoil system existe de fait. Cependant, il fut plus limité sous Nicolas Sarkozy que sous François Hollande car Nicolas Sarkozy avait fait l'ouverture à gauche.

Il faut sortit de l'hypocrisie et faire du spoil system une règle claire, a fortiori si l'on veut faire des réformes difficiles et courageuses, il faut une haute administration pleinement adaptée aux politiques. Ce système a un autre avantage : lorsque vos "amis" politiques ne sont pas au pouvoir, vous faites autre chose en dehors de l'Etat, vous connaissez de nouvelles expériences dans les collectivités locales ou dans le privé, qui accroissent vos compétences et élargissent votre façon de voir et d'administrer. Je trouve l'opportunisme et le carriérisme détestables, il faut redonner à l'administration le sens du courage et préférer résolument l'intérêt des missions à l'intérêt de sa propre carrière. 

Jean-Marc Boyer : Il est très difficile de révoquer un fonctionnaire. Même quand une personne parachutée doit partir, on peut lui trouver un point de chute, comme Agnès Saal, sortie de la présidence de l’INA pour frais de taxis astronomiques, nommée chargée de mission. Les conditions déontologiques sont contournables ou limitées. Même au niveau européen, le départ de José Manuel Barroso vers Goldman Sachs a finalement dû être accepté. Mais parfois, il peut y avoir des chausses trappes dans certaines nominations, par exemple une nomination sous réserve d’un conseil d’administration postérieur aux élections.

L’administration a, depuis des décennies, gagné sur le politique. Même les Cabinets et les Gouvernements sont remplis de hauts fonctionnaires. Ces travers ne sont pas récents, il suffit de relire Kafka ou Courteline, mais l’ampleur est nouvelle. L’espace laissé aux politiques est dans la communication, mais ils n’ont plus ni marge de manœuvre budgétaire (le déficit est bloqué à 3%), ni monétaire depuis l’avènement de l’euro. 

L’administration est mono-culturelle, ayant appris le pouvoir bureaucratique par les processus fiscalo-administrés. Même si l’on sait que la France a alors trop d’impôts et trop de tracasseries administratives, cela continuera puisque le logiciel de la haute administration est orienté vers son pouvoir et non vers l’intérêt général. 

La mainmise de la haute administration se traduit par un appauvrissement intellectuel (pensée unique, classe politique déconnectée de la vie réelle), économique (l’économie mixte ou publique n’est pas assez souple pour l’actuel monde digital), social et moral par l’absence de contrepouvoirs.

Recasages, pantouflages, parachutages, les Cabinets ministériels servent surtout de tremplins pour la suite de la carrière administrative, privée, ou parapublique (dans les innombrables machins, comme dirait de Gaulle). Il en résulte des soupçons de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêt (dont avait été accusé F.Pérol pour BPCE), de corruption, de prévarication, de prébendes,.. En réalité, les fonctionnaires dans leur immense majorité ne commettent pas de corruption. Il s’agit plutôt d’une minorité de cas d’hyper-corruption : on ne prend pas dans la caisse, on la prend en totalité en se parachutant à la tête de l’organisme.

Mais le monde politique est également touché par ce sentiment d’être au-dessus des lois (sans être exhaustif : J. Cahuzac, Y. Benguigui, T. Solère, J.M. et M. Le Pen, P.et I. Balkany, T. Thevenoud, G. Carrez, E. Macron, N. Sarkozy, A. Juppé,…).

D’autres pays ont su faire face à la corruption, comme le Brésil au plus haut niveau. La différence avec la France, est que les contrepouvoirs n’y semblent plus opérants. L’administration a traité le risque de contrepouvoirs en donnant aux syndicats des fromages (organismes paritaires, logement, formation,…) dans le Yalta social de 1945. Les syndicats étant financés, ils n’ont plus besoin de chercher des adhérents. Le pouvoir administratif tient aussi largement les médias (chaines publiques, subventions, ministère de la culture).

Que peut-on attendre de la prochaine administration, notamment pour faire face aux conséquences abordées ? Quels sont les moyens offerts aux politiques pour "reprendre la main" ?

Jean-Marc Boyer : Seul Bruno Le Maire demande la transformation de l’ENA, ce qui restera un propos démagogique. On ne coupe pas la branche sur laquelle on est assis. 

Il se peut qu’un sursaut s’opère au prochain scandale. On se souvient dans l’affaire du Lyonnais que les hauts responsables (Trésor, Banque de France, président du groupe, …) étaient du même corps d’Etat. Les mandataires actuels des grandes banques françaises et de l’ACPR confirment la tendance.

Les programmes politiques s’inscrivent dans une pensée des années 90 qui laisse l’administration omnipotente. Si les politiques ne reprennent pas la main pour remettre à plat le système au sein d’une 6ème République, une Troïka risque un jour d’imposer des réformes structurelles, que la rue n’aimera pas.

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