En voie d’ubérisation ? Pourquoi les Français de classes moyennes s’installent dans une société du moins<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français de classes moyennes s’installent dans une société du moins.
Les Français de classes moyennes s’installent dans une société du moins.
©Reuters

Série : consommation des classes moyennes

La France du milieu, aux prises avec la crise du pouvoir d’achat mais séduite par la consommation collaborative : cet été, Freethinking a réalisé pour ZenithOptimedia une étude qualicollaborative qui a rassemblé plus de 158 Français des classes moyennes sur sa plateforme fermée, pendant 15 jours. Ce sont les cinq enseignements majeurs tirés de cette plongée au cœur de leur nouvelle vision de la consommation, qui vont vous être exposés cette semaine par leurs deux auteurs, Véronique Langlois et Xavier Charpentier. Deuxième partie de notre série "consommation des classes moyennes".

Véronique  Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier ont créé en mars 2007 FreeThinking, laboratoire de recherche consommateur 2.0 de Publicis Groupe.

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LESS IS LESS

Deuxième enseignement : ayant intégré que l’économie dans laquelle ils vivent ne peut leur proposer un gain de pouvoir d’achat que par l’entremise d’une baisse des prix (prix de l’énergie, prix de l’immobilier, prix de l’argent, prix à la consommation…), ces Français de classes moyennes s’installent dans une société du moins. 

Comprendre la société du moins, c’est comprendre une idée simple : pour recommencer à dépenser plus, durablement, il faut avoir plus durablement, aussi. C’est-à-dire être capable de se projeter dans un futur proche – mais au-delà de l’immédiateté du quotidien et de l’actualité – avec un minimum de confiance. Ce que ne permet pas une nouvelle donne économique qui se caractérise par trois principes. 

Premier principe : les stocks priment sur les flux. 

Parce qu’optimiser ou préserver son stock de pouvoir d’achat et de capital, notamment immobilier, est encore plus vital si les flux futurs anticipés (revenus, salaires, retraites…) sont en stagnation voire moindres. L’idée même que la reprise économique « extérieure » serait une occasion pour eux de relancer massivement et rapidement leur consommation est dans cette perspective non-pertinente.  Ce qui prime : préserver son stock de capital ; constituer un stock de capital par l’immobilier ;  construire un stock de capital pour ses enfants, dans une logique où on les projette d’abord, en un sens, comme des héritiers – bien plus que comme des entrepreneurs ou même des travailleurs appelés à vivre de leur revenu, et à vivre mieux que leurs parents.

« Bonjour, personnellement je ne ressens aucune reprise pour le moment, j’espère que cela ne va pas tarder !!!!!! Les salaires n’augmentent pas contrairement au coût de la vie. Ce que je ne changerais pas serait : épargner un peu, continuer à faire mes courses en comparant les prix, vendre mes affaires et vêtements dont je n’ai plus l’utilité. »

« Si vraiment il y avait une reprise avec bien sûr une incidence positive sur le salaire ou les ventes je pense que j’investirais dans la pierre !!! C’est une valeur refuge et en même temps cela constitue un patrimoine pour mes enfants. »

Deuxième principe : mettre en place et respecter une éthique de la prudence. 

S’installer dans une économie du moins, c’est aussi s’engager dans une consommation prudente sur du long terme : une société du moins, c’est une société de la patience et de l’accumulation, à l’opposé d’une culture de la réactivité et du désir. Que feraient ces Français de classes moyennes si la reprise était avérée ? Ils attendraient qu’elle soit  solidement confirmée. Parce qu’ils ne savent pas combien de temps cela va durer. Parce que dans une culture de la défiance pour demain, il faut se forger une « nouvelle sagesse ». 

« Si la reprise était vraiment là, je ne changerais pas radicalement mes habitudes de consommation : j’essaie de faire des choix responsables, donc je ne vois pas de raison de faire différemment à cause d’une embellie financière. Je ne vais pas, du jour au lendemain, me mettre à surconsommer et à gaspiller. Je continuerais donc à comparer les prix, à rechercher les bonnes affaires, et à éviter les achats superflus. »

Et  aussi parce que sortir de sa ligne de conduite prudente serait trahir ses nouvelles valeurs : lorsqu’il s’agit de se projeter dans l’avenir, c’est la raison et la modération qui doivent prévaloir. « On attend et on voit » : le principe de précaution appliqué à la consommation.

« Je ne changerais pas vraiment d’attitude et d’habitudes si il y avait une reprise car on ne sait pas combien de temps cela durera et si on en profitera vraiment. »

« Je pense que j’allouerais un budget plus important à l’épargne en prévision d’éventuels coups durs. Quelle que soit la situation économique, rien n’est jamais permanent. Il vaut donc mieux jouer la carte de la prudence et éviter de dépenser à tort et à travers. »

Troisième principe : la logique d’adaptation prime sur la logique d’abondance. 

Société de la patience, éthique de la prudence, sagesse défiante ; tout le contraire, donc, de l’idée d’un avenir dans lequel on a déjà envie de vivre....  C’est pourquoi, même « dans le meilleur des mondes »,  la reprise n’engagerait  dans la façon qu’ils ont de le décrire qu’une projection a minima. Anticiper, c’est calculer. Si demain la reprise se confirmait, il s’agirait plus pour eux de réagir à la marge que de croire, à nouveau, à la possibilité d’une société d’abondance. 

« Dans ce « monde merveilleux » la priorité dans mon nouveau budget serait de devenir propriétaire…chose qui m’est totalement impossible pour le moment  ensuite je ne pense pas que je changerais grand chose à mes « habitudes » de consommation, à part peut être changer de voiture la mienne étant en bon état mais ayant plus de 10 ans j’ai des frais en perspective… Pour le reste je mettrais si possible des sous de côté pour plus tard et pour financer les éventuelles études de mon fils  .”

Calculer plus que se projeter, réagir à la marge plutôt « qu’y croire » à nouveau, qu’est-ce que ça veut dire à leurs yeux ? En premier lieu, décompresser plutôt que dépenser : d’abord plus de loisirs, ensuite seulement plus de biens d’équipement. Comme si, au moins en termes imaginaires, on se vivait plus en « permissionnaire de la crise » qu’en soldat définitivement démobilisé. Même si c’est (un peu) la reprise, la guerre économique peut reprendre à tout moment. 

« Si la reprise était là, je pense que je garderais la même manière de consommer.

Au niveau budget, j’allouerais un budget plus important aux loisirs. C’est-à-dire les sorties (restaurant) et les vacances.»

En second lieu, finaliser des projets plutôt qu’en initier : très concrètement, finir un aménagement de maison plutôt que se lancer dans de nouveaux travaux… Et se désendetter, malgré les taux très bas : ce n’est pas parce que l’argent n’est pas cher qu’on en achète, si demain s’annonce plus difficile qu’aujourd’hui. 

« En terme de projets, je finaliserais les travaux de rénovation de ma maison. »

Ce qui veut dire, enfin, pour ceux qui reconnaissent en avoir encore les moyens, épargner plutôt qu’investir - là aussi, malgré les taux bas. Comme si, dans cette éthique de la prudence, les raisonnements économiques usuels n’avaient plus vraiment cours : les enchaînements « logiques » de l’économie classique, la loi de l’offre et de la demande d’argent par exemple, ne s’appliquent plus de façon évidente. Comme si la peur de l’avenir finissait par les enrayer.

« Si j’avais un meilleur revenu, j’aimerais rembourser mon prêt pour l’achat de mon appartement plus rapidement. J’aimerais aussi mettre de l’argent de côté en prévision de l’achat d’une nouvelle voiture. »

« Bien si j’avais vraiment la possibilité de changer financièrement : je ferai faire des travaux chez moi (ravalement de façade, escalier, etc.) 

- et  j’économiserai pour ma retraite »

Une société du moins, c’est en définitive une société dans laquelle less is not more, but simply less : dans laquelle il faut protéger, préserver, s’adapter, et surtout ne pas s’engager même si la reprise était là.  Une société dans laquelle les catégories et les modes de pensée habituels ne fonctionnent plus comme avant. Une société de consommation en voie d’être uberisée par un nouveau modèle pas encore stabilisé, mais déjà à l’œuvre.

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