Reconquête
En passant par la Russie avec mes sabots : l’offensive Sarkozy pour se représidentialiser
Nicolas Sarkozy a rencontré jeudi 28 octobre Vladimir Poutine à Moscou pour discuter de la crise syrienne et a donné pour l'occasion une interview sur BFM aux allures d'homme d'Etat.
Xavier Chinaud
Xavier Chinaud est ancien Délégué Général de démocratie Libérale et ex-conseiller pour les études politiques à Matignon de Jean-Pierre Raffarin.
Aujourd’hui, il est associé du cabinet de stratégie ESL & Network.
Christophe de Voogd
Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique.
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Atlantico : En voyage en Russie, Nicolas Sarkozy a donné une interview sur BFM aux allures d'homme d'Etat. En quoi cet entretien s'inscrit-il dans une stratégie de représidentiarisation ? En quoi cette intervention est-elle chargée de symbole ?
Christophe de Voogd : Il faut insérer cette intervention toute la séquence de la journée : une conférence le matin devant des étudiants et des spécialistes ; une rencontre avec Poutine ; une émission télé. De quoi occuper toute la journée médiatique des chaînes en continu avec ce tir groupé sur le même thème : la politique étrangère de la France. C’est-à-dire le domaine réservé par excellence d’un président français ; donc un excellent vecteur de représidentialisation comme l’a montré le lapsus répété de Bernard Kouchner interrogé sur l’événement : « le Président Sarkozy »…Nicolas Sarkozy a pu ainsi renoué avec son ancien statut et ses anciens succès comme lors de l’affaire géorgienne de 2008.
L’exercice n’était pas sans risque car les Français sont légitimistes en la matière : le Président en exercice est le seul porte-parole du pays. Habilement, Sarkozy l’a reconnu explicitement et s’est ainsi dédouané, tout en marquant sa différence ! Sans jamais aller trop loin, sans contester le fond, mais en reformulant la politique étrangère française de façon bien plus claire (mais pas forcément plus pertinente !) que le discours gouvernemental actuel, aussi bien sur la Russie que sur la Syrie. Bref, une voie étroite qu’il a su emprunter, une prise de risque comme il sait le faire, avec en plus une réserve verbale et gestuelle dont on n’avait plus l’habitude.
Xavier Chinaud : Nicolas Sarkozy joue 3 parties en même temps, celle de la primaire dans son camp, celle contre François Hollande et celle contre Marine le Pen. Sur la première il se distingue d’Alain Juppé en choisissant un axe « pro-Poutine » , sur la deuxième, en critiquant la politique du Président de la République, sur la troisième en se plaçant au dessus de la présidente du FN qui dans ses visites à Moscou n’est pas traitée au même niveau.
Quel message le Président des Républicains a-t-il voulu faire passer, tant sur le plan international et national, alors que la France est inaudible sur la scène internationale ?
Christophe de Voogd : La réponse est dans votre question ! Et Nicolas Sarkozy a appuyé là où ça fait mal : la panne absolue du couple franco-allemand depuis 2012 et le « retard à l’allumage » de François Hollande sur tous les sujets extérieurs, sauf le Mali. D’où le message par ricochet sur le front intérieur, où se manifeste encore plus l’indécision de François Hollande.
Toutefois deux réserves très importantes : il faut aussi s’interroger sur la tactique de Poutine qui déroule le tapis rouge de sa datcha à l’ancien président pour évidemment ennuyer l’actuel et affaiblir la position française et, plus largement, occidentale. Je m’étonne que le thème ne soit pas plus exploité. D’autre part Nicolas Sarkozy n’aurait jamais dû évoquer les Régionales et annoncer le « ni-ni ». L’occasion est trop belle pour le PS de se « refaire » sur ce sujet, alors qu’il était visiblement embêté et surtout désemparé par l’initiative de Sarkozy sur le plan international.
Xavier Chinaud : Que l’ancien Président de la République rompe avec l’atlantisme aura de l’écho, mais j’ignore ce que puis être au plan international, le poids réel des déclarations du président du principal parti d’opposition français quant au fond de ses propos sur l’Ukraine ou la Syrie; désigner Daesh comme le mal absolu n’est pas un marqueur, ne pas faire du départ de Bachar el Assad un préalable tout en le qualifiant de "dictateur qui ne représente pas l’avenir" non plus... et sur l’Ukraine, défendre l’application des accords de Minsk est la position officielle de la france.
Quel bénéfice peut-il tirer de cette escapade russe par rapport aux autres, alors qu'Alain Juppé a publié jeudi 29 octobre un article sur son blog sur la Russie (voir ici), tout comme François Fillon (voir ici) ? Comment peut-il se démarquer ?
Christophe de Voogd : Là-dessus il n’y a pas photo : Alain Juppé et François Fillon en sont restés à des généralités : le premier, plutôt anti-russes ; le second, plutôt pro-russes, avec un débat hors sol autour du « vrai »héritage gaullien. Sarkozy a été plus convaincant, d’abord, sur la forme en démontrant son statut supérieur d’interlocuteur privilégié des « Grands » ; sur le fond, en appliquant la grande maxime pragmatique du Général : « les choses étant ce qu’elles sont… ». En l’occurrence, aussi bien dans l’équilibre mondial qu’en Syrie. Il semble qu’il ait compris la nouvelle donne internationale : le retrait américain du Moyen-Orient, situation inédite, oblige, bon gré mal gré, l’Europe qui est aux premières loges, notamment migratoires, à s’activer. Ce qu’elle ne fait pas, encore une fois en raison de la panne du couple franco-allemand.
Donc au total une affaire plutôt bien menée qui montre que Nicolas Sarkozy n’a pas tout à fait perdu la main… Ses rivaux sont prévenus !
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