En 1066, Guillaume le Conquérant avait déjà des agents secrets pour la conquête de l’Angleterre <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 11 mai 2009 montre la statue de Guillaume Le Conquérant à Falaise, en Normandie, là où il est né en 1027.
Une photo prise le 11 mai 2009 montre la statue de Guillaume Le Conquérant à Falaise, en Normandie, là où il est né en 1027.
©MYCHELE DANIAU / AFP

Grand-pépé James Bond

Eric Denécé et Jean Deuve publient « Les Services secrets au Moyen Age » aux éditions Tallandier dans la collection Texto. Des grandes invasions à la guerre de Cent Ans, le Moyen Âge est le théâtre d’une intense guerre secrète où toutes les techniques de l’espionnage moderne sont pratiquées : éclairage, écoute des conversations, interception de courriers… Extrait 1/2

Jean  Deuve

Jean Deuve

Ancien chef du service de renseignements de Forces françaises du Laos (1949-1953) et directeur de la police nationale du Laos, conseiller politique auprès du Premier ministre pour la sécurité nationale (1954-1964), Jean Deuve est spécialiste de l'histoire du renseignement.

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Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Profitant du mariage d’une princesse normande avec un roi d’Angleterre, puis de son remariage avec un second, les Normands, depuis le début du XIe siècle, noyautent délibérément l’Angleterre, dans le double but de satisfaire leurs besoins en renseignements sur ce pays parfois menaçant et d’agir politiquement contre les familles anglosaxonnes hostiles.

Sont infiltrés : la cour du roi, l’administration centrale et provinciale, les ports et l’Église. Les Normands disposent de sources extraordinairement bien placées  : le secrétaire privé du roi, son chapelain, trois membres de la chancellerie, le chef écuyer du roi, un archevêque et trois évêques – dont celui de Londres –, deux shérifs responsables de grands comtés, des capitaines de châteaux sur la frontière de Galles, etc. Plusieurs Normandes ont même été délibérément mariées à de hauts personnages du royaume anglais.

Le grand historien britannique Freeman déclare que les Normands pouvaient tout savoir de l’Angleterre par leurs sources ainsi placées. C’est le sénéchal du duc, Guillaume de Crépon – dont un frère travaille à la chancellerie d’Angleterre –, qui coordonne la recherche des renseignements sur ce pays. Tant qu’on est en paix, ceux-ci arrivent en Normandie grâce à des voyageurs : visites des Normands d’Angleterre dans le duché, visites normandes en Grande-Bretagne, notamment celles de l’abbé de Fécamp, qui se rend régulièrement en visite chez ses moines fixés outre-Manche.

Au début des années 1060, le roi d’Angleterre Édouard – lui-même à demi normand – sans espoir de descendance, promet à Guillaume qu’il sera son successeur sur le trône d’Angleterre. Mais les Normands savent combien les familles anglosaxonnes s’opposeront à ce projet et Guillaume envisage le recours aux armes.

Dans cette perspective, les renseignements recherchés évoluent et s’attachent alors plus particulièrement aux problèmes de défense de l’Angleterre, à son armée, à sa marine. L’abbaye de Fécamp, qui possède de nombreuses terres en Angleterre, notamment au sud, reçoit la mission d’assurer le renseignement sur les côtes méridionales, sur les plages, sur les courants marins. Guillaume organise un système de transmissions secrètes destiné à résister aux mesures de l’état de guerre ; il poste, dans les ports anglais, des agents pourvus d’un bateau qui seront chargés d’acheminer vers la Normandie les messages venant de la colonie normande d’Angleterre. Il dispose également sur le sol normand de courriers ducaux, capables d’apporter à toute vitesse des messages vers sa Cour. Ces courriers bénéficient de relais de chevaux préparés et tout empêchement à leur mission ou toute attaque contre leur personne sont justiciables de la justice du duc lui-même. Ainsi, quel que soit l’endroit du duché où il se trouve, Guillaume est assuré de recevoir les messages le plus rapidement et le plus sûrement possible.

Le 5 janvier 1066, le roi anglais Édouard meurt. Le duc Guillaume, alors à Quevilly, est prévenu par un des agents secrets postés en Angleterre, parti immédiatement par bateau ; il lui apprend aussi qu’Harold Godwinson, un grand seigneur anglo-saxon, comte du Wessex, a fait un véritable coup d’État et s’est fait couronner roi par un archevêque anglo-saxon. Le duc de Normandie décide donc de faire valoir ce qu’il estime être son droit et se prépare à envahir l’Angleterre s’il le faut.

Les jours suivants, des membres de la colonie normande d’Angleterre viennent le renseigner sur la situation du pays. Le nouveau roi, Harold, a chassé un certain nombre de Normands des postes clés qu’ils occupaient, en particulier du conseil royal et de la chancellerie ; mais il en reste encore suffisamment pour que le duc continue à être bien informé. Ses réseaux vont fonctionner avec précision et rapidité, malgré les mesures prises par Harold et le serment des seigneurs anglais qui ont promis de « garder les secrets du roi ». Les contacts normands au sein de l’aristocratie anglaise sont tels que même la veuve du roi Édouard et la propre sœur du roi Harold renseignent les Normands et favorisent les desseins du duc Guillaume. Un message écrit du shérif de l’Essex parvient également au duc. Le comte de Norfolk passe secrètement en Flandre et, de là, arrive en Normandie où il donne, de vive voix, à Guillaume, les dernières informations d’Angleterre.

Les opérations et leur préparation

Les renseignements recueillis montrent que l’armée et la marine anglaises sont redoutables. La flotte compte 700 vaisseaux dont les équipages, très entraînés, sont très hostiles aux Normands. Elle croise en Manche, interdisant ou contrôlant la traversée depuis le continent. L’armée, elle aussi très exercée, sait manœuvrer et est capable d’opérations amphibies. Côté normand, c’est la Maison militaire du duc qui est chargée de la préparation et du commandement de l’expédition. Ses officiers, rompus aux opérations militaires, mais aussi à toutes les formes de la guerre secrète, estiment qu’il faudra créer plusieurs diversions pour éloigner la flotte anglaise et afin d’attirer l’armée d’Harold le plus loin possible du lieu de débarquement. On retrouve là, en sens inverse, le problème du débarquement de juin  1944 en Normandie. De la même façon que les Alliés ont eu recours à la ruse et à l’intoxication contre les Allemands, les Normands vont employer ces stratagèmes contre les Anglais.

L’élaboration du plan de diversion

Deux diversions sont prévues. La première sera un débarquement du roi de Norvège au nord de l’Angleterre. La seconde sera l’envoi de Tostig – frère du roi Harold, qui a rallié le camp normand – à la tête d’une petite escadre chargée de piller les côtes orientales du royaume, forçant ainsi la flotte et l’armée anglaises à se disperser.

Une mission secrète normande va donc discuter avec le roi norvégien Harald Hardrada dont, curieusement, le précepteur des enfants est un clerc normand, Turgot. En échange de sa diversion, qui sera une grosse opération nécessitant le déploiement de 600 ou 700 navires, les Normands lui promettent une aide pour libérer la partie de la Norvège encore occupée par les Danois. Une autre mission secrète est dépêchée auprès du roi du Danemark, dont les sentiments sont favorables au roi Harold d’Angleterre, pour qu’il ne lui fournisse aucune aide et se tienne à l’écart du conflit qui se prépare. Il semble qu’il ait reçu une importante somme d’argent ; « l’achat » de tiers est une technique que les services secrets normands emploient fréquemment. Par ailleurs, une pension annuelle très importante est également versée au comte de Flandre pour qu’il laisse passer librement les émissaires normands arrivant d’Angleterre ; pour qu’il empêche ses barons favorables à l’Angleterre d’aider le roi Harold ; pour qu’il autorise de nombreux Flamands à s’engager dans l’armée normande ; pour qu’il arme des navires au profit de Tostig et lui fournisse des équipages. Comme le comte de Flandre est aussi régent du royaume de France, les Normands comptent qu’il fera le nécessaire pour que les Français n’attaquent pas la Normandie pendant l’expédition.

Enfin, pour se « couvrir » vis-à-vis de l’opinion internationale, le duc Guillaume propose ouvertement que son litige soit soumis à l’arbitrage du pape. Mais il garnit toutes les côtes, de la Bretagne aux Flandres comprises, d’agents chargés d’empêcher tout émissaire d’Harold de mettre pied sur le continent et délègue un de ses fidèles diplomates auprès du pape pour le gagner à ses vues.

Extrait du livre d’Eric Denécé et Jean Deuve, « Les Services secrets au Moyen Age », publié aux éditions Tallandier dans la collection Texto.

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