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Des membres de l'association Emmaüs, le 22 janvier 2011 à Paris, devant leur siège, en hommage à l'abbé Pierre, à l'occasion du 4e anniversaire de son décès.
Des membres de l'association Emmaüs, le 22 janvier 2011 à Paris, devant leur siège, en hommage à l'abbé Pierre, à l'occasion du 4e anniversaire de son décès.
©BORIS HORVAT / AFP

Gestion des conflits

Il règne parfois au sein des associations un climat de tensions. La particularité des associations, même pour les plus sociales et les plus solidaires, est qu’il n’y a pas de recours et peu de contrôles pour améliorer les choses.

Il règne parfois au sein des associations un climat de tensions, petites querelles d’intérêts, abus de pouvoir, etc. Rien de très étrange : le milieu l’entreprise ne va pas sans quelques duretés, et dans la fonction publique chacun sait que l’Etat est un piètre manager, autiste et souvent brutal. Mais la particularité des associations même les plus sociales et les plus solidaires est qu’il n’y a pas de recours, pas d’espace pour parler, peu de contrôles, rien en fait pour améliorer les choses. 

Parlons du magnifique mouvement Emmaüs, qui dans certaines communautés n’honore plus la mémoire de l’Abbé Pierre ; les compagnons ne vivent plus dans la bienveillance et la sérénité.

J’ai été bénévole pendant 5 ans dans une communauté d’Occitanie. J’ai effectué les taches que l’on m’attribuait, pour commencer pendant sept mois au tri du linge dans un hangar. J’ai continué à travailler pendant la pandémie et le 2e confinement. Je n’ai jamais demandé le moindre euro, le moindre avantage. J’ai toujours agit avec empathie et respect. Cela m’a valu une sympathie certaine auprès des compagnes et compagnons, salariés et bénévoles, qui me parlaient souvent de leurs problèmes ; je suis devenu membre du bureau et du conseil d’administration.

Ma formation professionnelle et mes expériences antérieures dans le milieu social et spécifiquement dans la gestion des conflits me permettent d’indiquer que cette communauté vit de plus en plus mal, avec des résidents en souffrance. Tout me porte à croire qu’on peut élargir le propos à d’autres communautés, celles où les dirigeants ont perdu le sens de la mission. Un compagnon m’a dit : « la rue c’est dur, je t’assure… vraiment dur. Mais certains jours je me demande si je ne vais pas y retourner, car ici OK il y a un toit et un repas, mais pour le reste c’est pire… ». Un seul exemple. Si autrefois le repas de midi se prenait tous rassemblés dans la bonne humeur, avec un réel partage, il n’en subsiste plus rien. Des repas de cantine scolaire pas toujours adaptés à des travailleurs sont pris isolément, à la sauvette pour les uns, dans leurs chambres pour les autres ; à côté d’un grand portrait du fondateur, qui développait un toute autre climat. Comment en est-on arrivé là ?

Le recrutement est toute une affaire, et c’est déjà là que se loge le problème de la liberté d’expression et l’absence de tout contre-pouvoir crédible.

Le gros des effectifs des compagnons vient de loin et c’est l’honneur de l’association de les protéger, de les insérer par le travail, d’aider à l’alphabétisation et au logement. Les étrangers restent chez Emmaüs pendant 2 à 3 ans, puis obtiennent leur régularisation administrative s’ils se comportent bien pendant cette période de travail et d’hébergement. C’est pourquoi ils sont tous dociles, ils ne veulent surtout pas faire de vagues. Dès qu’ils obtiennent le fameux sésame ils quittent les communautés pratiquement sur le champ (c’est pourquoi une communauté peut se vider spectaculairement quand à quelques mois d’une élection présidentielle les régularisations se font massives). Une main d’œuvre docile, sans droits, sans porte-voix : voilà qui n’est pas trop un souci quand les responsables des centres sont imprégnés des valeurs des fondateurs ; mais quand ce sont des chefs tyranniques, durs aux faibles…

Phrase relevée à un compagnon qui voulait prendre une journée de congé : « Tu bosses… ici ce n est pas un hôtel… et si t’es pas content tu pars... ». Si le chantage est le plus souvent moins explicite, il rôde un peu partout, et garantit l’impunité.

Ensuite, le recrutement des bénévoles, ou comment se tirer une balle dans le pied. Il en manque cruellement à la communauté, mais vu le barrage lors du premier entretien et des premières missions, nombreuses sont les personnes qui ne reviennent jamais demander la permission de faire du bénévolat !! D’autres se découragent au tri du linge où elles sont affectées les premiers mois (ce n’est peut-être pas la meilleure façon d’accueillir des bénévoles) ; là encore, beaucoup ne reviennent pas. Il semblerait que la docilité soit décidemment un facteur crucial du recrutement.

Et puis il y a les dysfonctionnements habituels, au fil de l’eau, moins dangereux parce qu’ils ne touchent pas le fond de la mission, mais révélateurs tout de même d’un management aveugle et sourd, avant tout préoccupé de diviser pour mieux régner. Un seul exemple. Un responsable de centre se permet d’insulter des clients en les nommant à haute voix : « clients de merde ». La raison ? ce sont des revendeurs. Ce n’est certes pas très beau de revendre, et certains abusent vraiment. Mais il faudrait ici trouver une parade plutôt qu’insulter et laisser le système perdurer. En fait, les prix étiquetés ne sont pas toujours ajustés à leur valeur, pour dire les choses gentiment ; il n’est donc pas surprenant que des professionnels s’intéressent de très près aux centres Emmaüs et y passent une partie de leurs journées. Quand on peut acheter une table en céramique signée à 60 euros et la revendre sans risque à 500, pourquoi se gêner. La solution ? il n’y en aura pas tant qu’on laissera des gens qui ne connaissent pas la valeur des choses faire les évaluations, pendant que des bénévoles qui font la différence entre un meuble noble et un meuble ordinaire sont confinés au tri du linge. Tout le monde le sait, mais rien ne change.

J’ai contracté le covid en janvier ; de ce fait, j’étais titulaire d’un pass vaccinal suite à mon rétablissement, donc en règle. Je me suis rendue à la communauté, et là, surprise, j’ai été exclue. Il n’y avait pas de base textuelle ou légale pour forcer à la vaccination et/ou refuser mon pass vaccinal, oui mais… pas de contre-pouvoirs non plus, ni médiation, ni appel, ni syndicat, ni rigueur dans les votes au CA (où on peut voter pour plusieurs personnes absentes), ni prud’hommes, ni rien. Dans une association, et en particulier dans une association locale qui dysfonctionne, c’est la loi du plus fort.

Après avoir osé demander des explications j’ai reçu des mails infamants. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ! Pour ne prendre qu’un exemple, on m’a reproché mon absence à une fête de noël, alors qu’à ce moment là je me remettais d’une opération chirurgicale pour une tumeur au cerveau. Je vous épargne le petit procès de Moscou à la suite duquel, refusant de démissionner, et au milieu de pressions indignes, j’ai été exclue sans respect aucun des statuts, après un vote irrégulier (qui n’était même pas à l’ordre du jour), et au milieu de conflits d’intérêt connus de tous. Bref. Cette histoire de refus du pass vaccinal était un faux prétexte, j’avais simplement tendance à dire tout haut des choses que plus personne n’ose penser tout bas. En particulier, j’avais pris la défense de ceux qui ne peuvent pas l’ouvrir sans voir leur vie administrative et matérielle réduite à rien, alors qu’il est devenu d’usage de se servir de leur vulnérabilité pour obtenir un travail docile.

Face au refus de toute discussion, mais sans revendication aucune sur une réintégration, j’ai alerté Emmaüs France. Pas pour moi, je suis une vieille femme qui ne manque pas d’occupations : pour dissuader à l’avenir de tels comportements auprès des compagnons qui n’ont pas les moyens de se défendre, et pour un meilleur respect des bénévoles qui sont parfois congédiés du jour au lendemain sans explication après des années de labeur.

Cette démarche s’inscrit j’en conviens dans un contexte chargé. On commence à parler des difficultés dans les communautés. Il y a eu un article très dur sur la communauté de Pau qui est sorti il y a quelques mois. On sait que telle communauté est dans le viseur de la Cour régionale des comptes, que dans telle autre la pratique dite du « coulage » va trop loin, et qu’ailleurs des véhicules de service normalement destinés au… service de tous, deviennent vite des véhicules de fonction pour les responsables des centres et leurs adjoints.

Comme de l’argent liquide et de petits privilèges circulent, et comme les contrôles sont légers, disons que des tentations se développent. On répondra que dans leur grande majorité les communautés restent honnêtes, fidèles à leur mission, et cela est très vrai ; sauf que l’ambiance se dégrade et qu’il faut bien dire les choses pour qu’un jour peut-être les problèmes soient traités.

J’ai donc alerté Mme Marz, responsable d’Emmaüs France auprès des communautés. On m’a écouté avec beaucoup de compréhension, mais en m’avouant une totale impuissance. Mme Marz m’a ainsi demandé de communiquer ses coordonnées aux compagnons, afin qu’ils l’alertent des difficultés rencontrées ; je me suis acquittée de cette tâche, mais dès le départ je me suis logiquement heurtée à un mur de silence :

- « impossible de dire les choses, ici ; si je parle, on va me convoquer au bureau et je serai viré ! »

- « quoi ? Dire les problèmes, je serai mis dehors dans la semaine, et avec aucune chance d’aller dans une autre communauté car ils parlent entre eux sur nous… »

- « à mon âge ? Je n’ai aucun intérêt à l’ouvrir….les jeunes doivent parler… pas moi »

Ces réactions s’expliquent bien quand on connait ces personnes, concrètement, sur le terrain. Quand on sait, parce qu’on a travaillé des centaines d’heures avec elles, qu’il ne s’agit pas là de trouille mais d’une authentique vulnérabilité : des parcours heurtés, une maitrise incertaine de la langue, peu de confiance en soi et encore moins dans le système, pas de plan B, pas de papiers, une vie dans un sac.

J’ai bien expliqué tous les abus, et les votes au conseil d’administration non conformes, et la Présidente aux abonnés absents ; mais sans retour écrit des compagnons, on m’indique une totale impuissance. Une rencontre entre Emmaüs France et la communauté où j’ai travaillé aura lieu très prochainement à la communauté, mais Mme Marz m’indique que les sujets qui fâchent ne seront abordés, c’est en quelque sorte une visite de courtoisie !! Elle compte encore recevoir ce jour là des témoignages, ce qui je le sais est parfaitement impossible, il règne trop un climat de peur.

Pour les compagnons en attente de régularisation de leur situation administrative, c’est l’attente en silence, la patience est le maitre mot. Pour les plus âgés, la peur de devoir quitter le lieu sans autre perspective. Pour ceux (nombreux) qui sont partis depuis les derniers mois, ils ont maintenant une autre vie, et oublier c’est mieux.

Derrière le « tout va bien » de façade, nombreux sont pourtant les compagnons qui espèrent que des bénévoles engagés pour les défendre agiront pour des meilleures conditions de vie et une plus grande liberté d’expression, que des personnes neutres puissent venir constater les problèmes et les régler (pourquoi pas un audit un jour sur le terrain, dans les communautés ? mené par la direction, ou encore mieux de l’extérieur ?), et que cela aboutisse au retour de la sérénité au sein de leur communauté de vie dont la devise est « rassembler plutôt que diviser ».

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