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Emmanuel Macron vote (le plus) utile pour bloquer Marine Le Pen ? Radiographie des véritables rapports de force cachés au creux des sondages
©JOEL SAGET

Votes

Beaucoup d'observateurs misent sur un score de 60% en faveur d'Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle. Mais à bien y regarder, rien n'est joué.

Pierre Bréchon

Pierre Bréchon

Pierre Bréchon est professeur émérite de science politique à l’IEP de Grenoble, chercheur au laboratoire PACTE, directeur honoraire de l’IEP de Grenoble, et auteur notamment de Comportements et attitudes politiques aux Presses universitaires Grenoble. Il a également dirigé l'ouvrage Les élections présidentielles sous la Ve République (Documentation française). 

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Esteban  Pratviel

Esteban Pratviel

Esteban Pratviel est chef de groupe pour la société de sondages Ifop.

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2018, il publie "Confessions d'un enfant du demi-siècle" aux éditions du Cerf et "L'imposture du vivre ensemble: Quelques points de repères" aux éditions de L'Artilleur. 

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Atlantico : Emmanuel Macron déclare dans le Monde "Vous pensez une seule seconde que les gens de gauche iront massivement voter François Fillon s'il se retrouve face à Marine Le Pen au second tour ?" Il laisse penser que lui pourrait incarner le vote utile face à Marine Le Pen. Pour autant, que sait-on du report de voix au second tour, et qui sont les électeurs qui se déplaceront le plus le dimanche du second tour ?

Esteban  Pratviel : En cas de second tour entre Emmanuel Macron/ Le Pen, les électeurs de Macron confirment leur vote avec 98%. Les réserves de voix pour Macron se situent chez Benoît Hamon avec 65% d'entre eux qui voteraient pour Emmanuel Macron tandis que 31% s'abstiendraient ou ne se prononcent pas. 

Ensuite une majorité d'électeurs de Jean-Luc Mélenchon se reporteraient vers Emmanuel Macron  avec  53% en faveur de Macron, 37% qui s'abstiendraient et 10% qui seraient prêts à voter Marine Le Pen. S'agissant des électeurs de François Fillon il n'y a pas de comportement majoritaire, 36% se reporteraient sur Emmanuel Macron,  30% s'abstiendraient et 34% voteraient pour Marine Le Pen. En moyenne les électeurs de manière générale sont sûrs d'eux à 70% contre 30% qui peuvent encore changer d'avis. Concernant les électeurs de Marine Le Pen on monte à 83%, ce qui constitue le score le plus élevé. Néanmoins on observe que l'électorat de Marine Le Pen est moins sûr de son choix qu'en 2012, ce qui s'explique certainement par l'élargissement de son socle électoral.  Au contraire, concernant Emmanuel Macron il n'y a que 64% qui déclarent être sûrs de leurs choix, ce qui fait qu'il se situe en dessous de la moyenne nationale. Néanmoins on observe depuis plusieurs semaines une consolidation de son socle électoral. Cette plus faible proportion est une des caractéristiques des électorats qui sont plus "modérés" en tout cas "centristes"  peu importe les scrutins, c'était déjà le cas en 2012 et ça l'est de nouveau en 2017. Les électorats les plus modérés sont ceux qui sont les plus prudents et qui sont les moins convaincus à 100% de leurs choix puisqu'à l'opposé de Marine Le Pen, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont ceux qui sont les plus sûrs de leurs choix également.  

Pierre Bréchon : Emmanuel Macron est aujourd’hui légèrement en tête ou à égalité d’intentions de vote avec Marine Le Pen dans les sondages. Il semble avoir beaucoup de chances d’être au second tour si aucun élément important de conjoncture ne survient d’ici là, son avance étant importante sur le troisième candidat. Il apparaît comme un vote utile surtout au premier tour : il est en effet choisi dès le premier tour par des électeurs, notamment socialistes ou de droite, pour qui il ne représente pas le meilleur programme dans la palette des onze candidats, mais simplement celui dont ils veulent la qualification parce qu’il a beaucoup plus de chances de l’emporter au second tour que leur « candidat du coeur ». Ainsi, d’après un sondage Harris interactive du 23 mars, sur 100 sympathisants du Parti socialiste, 42 s’apprêteraient à voter Macron dès le premier tour et seulement 39 Hamon. Ce désaveu du candidat socialiste vainqueur de la primaire est en partie dû à un programme jugé trop à gauche par une partie des socialistes mais aussi beaucoup à un désir de vote utile.

Un certain nombre d’électeurs du premier tour préféreront s’abstenir au second. Si Emmanuel Macron et Marine Le Pen s’opposent au second tour, le comportement abstentionniste pourrait affecter surtout les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, mais aussi une part non négligeable de ceux de François Fillon et de Benoît Hamon. Cette part peut encore bouger selon les conjonctures et ce que diront les candidats à l’issue du premier tour. Ce que semblent aujourd’hui montrer les sondages quant aux reports de voix pour le second tour, c’est que Marine Le Pen n’attire pas beaucoup, même parmi les électeurs fillonistes qui pourraient fort bien se répartir de manière assez égale entre les deux candidats. Au total, la capacité de rassemblement et d’élargissement de l’électorat est forte  chez Emmanuel Macron, faible chez Marine Le Pen.

De nombreux observateurs indiquent que les électeurs les plus aisés penchent vers Macron et ceux dont les revenus permettent à peine de boucler le budget qui penchent vers Marine Le Pen. Dans quelle mesure le clivage politique et sociologique pourrait-il modifier également les dynamiques que nous voyons aujourd'hui ? Le rapport de forces entre Macron et Le Pen, du point de vue de la sociologie des électeurs serait-il toujours favorable au premier ?

Esteban  Pratviel : L'électorat d'Emmanuel Macron représente la France qui va bien, diplômée, issue des CSP les plus élevées qui bénéficient des plus hauts revenus.  L'électorat de Marine Le Pen, est quant à lui, à presque l'exact inverse. C'est deux opposés, on a les gagnants de la mondialisation contre les perdants, les pros européens et ceux qui sont contre. 

Tout reste relatif finalement. On reste dans une situation en France qui est meilleure que dans les autres pays dans le monde. On a plus de gagnants  de la mondialisation que l'inverse en France, ce qui explique que l'électorat de Macron est plus massif au deuxième tour que celui de Marine Le Pen. Néanmoins on a de plus en plus de personnes qui se retrouvent en difficulté et qui se reportent sur Marine Le Pen. Pour autant leurs nombre est insuffisant pour que Marine Le Pen dépasse Emmanuel Macron au second tour.  Mais tout de même le chiffre annoncé de 60/40 reste à relativiser. Les intentions de vote au second tour sont difficilement mesurables, en général on se focalise sur les intentions de vote du premier tour car il y a un élément que les Français n'ont pas et qu'ils auront le 7 mai, c'est les rapports de force au premier tour. A l'heure actuelle, même s'il y a des tendances des indications pour le premier tour, on est sûr de rien et les Français qui se prononcent sur leurs intentions de vote du second tour c'est presque "du vent". Ils ne sont pas dans les conditions dans lesquelles ils seront lorsqu'ils vont voter.  Il faut donc énormément de prudence. On se rappelle qu'en 2012, François Hollande était donné largement gagnant au second tour avant le premier tour, on avait des rapports de force qui étaient entre 65 et 70% d'intentions de vote au second tour et au final on s'est retrouvé à 51.8 pour François Hollande.

Paul-François Paoli : Ce n'est pas vraiment une surprise. L'éléctorat macronien est celui projeté par le think  thank Terra nova. Une alliance entre des classes moyennes supérieures qui se sentent branchées ou se croient telles et une partie de la jeunesse qui se pense dores et déjà post nationale et déterritorialisée qui ne se sent pas mal dans la mondialisation parcequ'elle a l'impression d'y gagner et de pouvoir nomadiser à sa guise grâce à Internet. Il faut ajouter à cela une certaine forme de snobisme qui peut côtoyer une forme de mépris social. Avec Macron on a l'impression d'être IN, dans le vent de l'Histoire. A l'inverse toute une jeunesse populaire, mais pas seulement est aujourd'hui tentée par une Marine Le Pen qui apparait à la fois comme sociale et identitaire. Il y a en fait une sorte de fracture anthropologique entre une France "branchée" et "nomade" et une France sédentaire et "enracinée". Pour l'instant le rapport de force joue en faveur du premier qui subvertit les signes et a le soutien de la plupart des médias. Sa séduction et son brio sont réèls. Mais il n'est pas très difficile de s'apercevoir qu'Emmanuel Macron ne fait pas de politique. Il est dans la séduction qui est le contraire de la politique. La politique consiste à faire des choix et des choix douloureux car ils impliquent des renoncements et des sacrifices. Ce que nous dit "En Marche" c'est suivons la marche du monde tel qu'il va et cela ira mieux. Ouvrons nous au monde, rajeunissons nous ect. Macron c'est un néo libéralisme sympa et new look. Qu'un Madelin l'ait rallié n'est pas très surprenant.

Pierre Bréchon : La sociologie du vote ne bouge pas en quelques jours. Les préférences électorales des différentes catégories socioprofessionnelles ne devraient donc pas beaucoup évoluer d’ici au  scrutin. Si le vote ouvrier est souvent favorable à Marine le Pen, le vote macroniste n’est pas qu’un vote de privilégié. Il est aussi très important dans les classes moyennes salariées. Et les catégories favorisées, notamment âgées, se prononcent aussi souvent pour François Fillon. On observe ces différences socioprofessionnelles aussi bien au premier qu’au second tour.

Avec le vote utile, les électeurs sont aussi contraints d'imaginer des scénarios et de devenir stratège " à l'aveugle". Du coup, est-ce que cela ne contribue pas également à brouiller les pistes et à remettre un peu plus en cause le chiffre de 60/40 ? Quels sont ceux qui jouent actuellement, à gauche comme à droite ?

Esteban  Pratviel : Sur le vote utile, on mesure plusieurs effets dans les sondages. Certains font qu'en fonction des intentions de vote des gens vont voter pour les personnes qui sont en tête, donc Emmanuel Macron. Mais en même temps on a un autre effet qui s'observe et qui fiat que d'autres ont tendance à voter pour ceux qui sont en position d'outsider. A ce niveau-là, peu de faits nous éclairent pour dire que les Français sont influencés par les chiffres d'intentions de vote. Néanmoins sur le vote utile on a eu quelques indications lors de précédents scrutins où lorsque l'on a des électorats très proches, comme par exemple lors de la primaire des républicains. A partir du moment où une offre politique prend le pas sur l'autre, l'offre politique dominante récupère les votes des dominés. Pendant très longtemps Bruno Le Maire et François Fillon qui avaient le même niveau en termes d'intentions de votes, en retrait par rapport à Juppé ou Sarkozy mais plus on est rentré dans la campagne et que l'offre de François Fillon a pris du poids et de la cohérence, les intentions de vote en faveur de Fillon ont explosé. Résultat : Bruno Le Maire s'est retrouvé à 3% alors qu'il était aux alentours de 15% lorsque l'on a commencé à faire les mesures.

On a un peu la même chose qui s'observe entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Ils ont été à des niveaux très proches à un moment et petit à petit, Jean-Luc Mélenchon prend le pas sur Hamon. 
De manière générale s'agissant d'Emmanuel Macron, François Fillon et Marine Le Pen, on est sur des électorats très éloignés alors que le vote utile fonctionne sur des électorats qui sont proches. Du coup on a quand même des doutes sur cette idée du vote utile pour le scrutin présidentiel.
En plus de cela, on observait dans d'autres pays que le vote utile n'a pas fonctionné, que les électeurs ne se laissent pas dicter leurs choix par les sondages ou les médias. On a eu la même chose en 2005 où le "Oui" était donné vainqueur pendant longtemps. 

Pierre Bréchon : Le vote utile et stratège est beaucoup plus fréquent aujourd’hui qu’il y a quelques décennies. C’est l’effet de la progression de l’éducation et aussi de la diffusion des sondages. Le vote est aussi plus volatile et les intentions bougent beaucoup au cours d’une campagne. Cette année, les hésitations des électeurs sont particulièrement importantes du fait des recompositions politiques en cours. Tout ceci invite à rester prudent sur l’issue du scrutin, même à trois semaines de l’élection. Les sondages ne font pas l’élection, seul le vote citoyen compte ! 

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