Emmanuel Macron viole-t-il la Constitution en squizzant Jean Castex ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Castex Emmanuel Macron premier ministre président de la république
Jean Castex Emmanuel Macron premier ministre président de la république
©000_1V623Q LUDOVIC MARIN POOL AFP

Présidentialisme

Et s’il le fait, lui fait-il des enfants pour paraphraser Victor Hugo ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Emmanuel Macron semble vouloir de plus en plus travailler avec un cercle restreint de ministres, ignorant le chef du gouvernement, Jean Castex. En poussant la logique du présidentialisme toujours plus loin, respecte-t-il toujours la constitution ?

Christophe Boutin : L'existence de conseils restreints, organisés avec quelques ministres seulement sous la présidence du président de la république, à côté de l'habituel Conseil des ministres qui réunit lui l'ensemble des membres du gouvernement sous cette même présidence, n'est bien sur pas une nouveauté due à Emanuel Macron. Il est en effet assez logique, lorsque l'on fait face à une crise, d'organiser des réunions de travail avec les acteurs qui sont principalement concernés : d'une part, le débat et la concertation sont rendus plus faciles, d'autre part, ceux qui ne sont pas directement partie prenante ne perdent pas leur temps en d'inutiles réunions.

On ne peut donc pas dire qu’Emmanuel Macron « présidentialise » le régime uniquement parce qu'il utilise plus facilement de tels conseils restreints, quels que soient leur forme ou leur nom. On ne peut pas dire non plus qu'il ignore actuellement un chef du gouvernement auquel il semble même laisser un peu plus de visibilité dans la gestion de crise que celle qu'il avait accordée à son prédécesseur, Édouard Philippe, lors du premier confinement. Il est vrai que Jean Castex étant l'homme du déconfinement, il lui appartient prioritairement aujourd'hui de faire le bilan de son efficacité… et qu’Emmanuel Macron a sans doute compris l’utilité d’un fusible crédible, ce qui suppose que ce dernier ait de temps en temps l’air d’organiser quelque chose.  

La présidentialisation de la Ve République est un débat récurrent, sinon depuis 1958, au moins depuis l'élection au suffrage universel direct du président de la république. La légitimité particulière ainsi conférée au chef de l’État, alliée au fait qu'il est le seul à disposer de l'arme de la dissolution de l’Assemblée nationale - et non le chef du gouvernement -, lui donnent nécessairement l'avantage. On l'a bien vu à chaque fois que des premiers ministres ont tentée d'orienter la politique dans un sens un peu différent de celui souhaité par le président : de Jacques Chaban-Delmas confronté à Georges Pompidou à Jacques Chirac face à Valéry Giscard d'Estaing, c'est la présidence qui a gagné.

En ce sens, pour reprendre la grande formule du président Massot, le président de république française, loin d'être l'arbitre annoncé, est surtout un capitaine, mais reste bien sûr à définir ce que doit faire ce dernier. Doit-il uniquement fixer un cap et laisser au gouvernement le choix des moyens pour arriver à bon port dans les délais ? Doit-il au contraire régler les voiles lui-même et descendre pomper dans la cave ? Cela dépend des présidents, aux naturels plus ou moins interventionnistes - quand bien même d'ailleurs le navire ne bougeait pas, car empêcher d'agir c'est aussi agir –, et des circonstances.

Emmanuel Macron trouve donc ici place dans une logique qui ne sort pas des limites fixées par une constitution dont on rappellera que la souplesse a permis la cohabitation. L'une des différences par rapport à certains de ses prédécesseurs est peut-être, et contrairement à ce que l'on écrit souvent, une certaine défiance envers une partie au moins de la haute administration, d’où son choix de gouverner encore un peu plus avec une équipe rassemblée à l'Élysée. Les conseillers et experts élyséens avaient certes déjà pris beaucoup de place avant lui, mais il ne semble pas qu’ils aient de nos jours de vrais contre-pouvoirs administratifs face à eux - le chef du gouvernement lui-même, Jean Castex, n'ayant pas hésité à sacrifier en arrivant celui qu'on appelle parfois le « premier ministre bis », le secrétaire général du gouvernement, typique représentant de la haute administration.

Par rapport aux présidents précédents, comment Emmanuel Macron a-t-il fait évoluer les rapports entre Premier ministre et président ?

Encore une fois, les rapports entre les deux entités, n’ont pas changé, ou très peu. S’il y a évolution du rapport de force, c’est plutôt, comme nous l’avons dit, entre les équipes de l'Élysée et le reste, équipe de Matignon proprement dit ou cabinets ministériels. Mais faut-il rappeler le chemin de croix de Michel Rocard sous François Mitterrand ? Les douleurs d’un François Fillon qui, confronté aux pressions de Nicolas Sarkozy, finissait par somatiser ? Tous les anciens de Matignon le disent : la fonction est belle mais l’ambiance particulièrement difficile à supporter.

Le premier ministre actuel d’Emmanuel Macron reste donc occupé à la mise en oeuvre des principes et des choix décidés par le président, avec une marge de manœuvre réduite, mais qui ne l’est pas spécialement par rapport à celle de ses prédécesseurs. De la même manière, le président gère comme ses prédécesseurs la question de la rivalité, en termes d'image et de popularité, avec celui qui reste toujours un éventuel concurrent lors de prochaines échéances électorales. Il l'a montré dans la gestion de ses rapports avec Édouard Philippe comme dans le choix de son remplaçant.

Le président utilise un conseil de défense pour gérer la crise sanitaire. Pourquoi ce choix surprenant ? Est-ce là aussi une manière de se passer de Jean Castex ?

Excellente question, qui oblige à rappeler certains éléments. Le Conseil de défense, prévu à l’article 15 de la Constitution, était initialement destiné à permettre au président de la république, en tant que chef des armées, de suivre la situation et de prendre des décisions. Initialement il intervient donc dans le domaine de la défense, de la programmation des lois à la conduite des opérations extérieures. Devenu en 2009 Conseil de défense et de sécurité nationale, s’y ajoute le renseignement, la lutte contre le terrorisme, ou même contre la délinquance, comme aussi les sécurités économique et énergétique et le traitement des crises majeures.

Il se réunit donc de plus en plus souvent, au fur et à mesure que notre société bascule dans des crises constantes - 10 fois en 2015, 32 en 2016, et on devrait largement dépasser la quarantaine en 2020 puisqu’Emmanuel Macron a décidé d’en faire le lieu privilégié de prise de décision face à la crise sanitaire. On y trouve alors souvent le Premier ministre, les ministres de la Défense, de l’Économie, du Travail, de la Santé, plus des personnalités conviées spécialement comme le directeur général de ce dernier ministère, Jérôme Salomon, ou le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy.

Est-ce normal ? Mon collègue Olivier Gohin le pense, puisque l’ampleur de cette crise sanitaire la transforme en un problème de sécurité nationale. C’est vrai, mais les critiques naissent de certaines spécificités liées à sa fonction première : il n’y a pas d’ordre du jour ni de compte-rendu public de la réunion, les participants sont tenus au secret-défense et les notes classifiées. Certes, les décisions qui sont prises sont pour la plupart, et pour cause, rendues publiques, et mêmes contrôlées : le couvre-feu comme le reconfinement y ont bien été décidés, mais leur mise en oeuvre a été faite par un texte de loi voté par le Parlement. Certes aussi le secret-défense peut être déclassifié à la demande d’un magistrat. Mais il y a là une protection, sinon une opacité, qui a semblé à certains excessive : Jean-Luc Mélenchon s’indigne de ce « nouvel exemple de la monarchie présidentielle », Xavier Bertrand regrette l’effacement consécutif du Conseil des ministres.

On retrouve aussi ici la question des rapports entre président en Premier ministre : la Santé n’a jamais fait partie du « domaine réservé » du président, au contraire de la Défense, et c’aurait donc été au Premier ministre d’organiser s’il le désirait des réunions en petit comité à Matignon précédant le Conseil des ministres. Mais l’esprit plus que la lettre de la constitution fait que l’on voit mal le président de la Cinquième république être informé « en second » de la préparation des décisions face à une crise majeure. Pour paraphraser un thème à la mode, « imagine-t-on le Général de Gaulle » averti par Couve de Murville, ou même par Pompidou, du confinement de la population ?

D’autres structures plus adéquates n’auraient-elle pas permis de gérer la crise sanitaire efficacement ?

Il était effectivement possible de gérer de la même manière la question avec des conseils tenus à l’Élysée ou à Matignon, réunissant quelques ministres et des personnalités concernées. Visiblement Emmanuel Macron aime à travailler en petit comité, ce qui est souvent effectivement un gage d’efficacité. Il a ainsi créé en 2019 un « Conseil de défense écologique » composé du Premier ministre, des principaux ministres chargés de la « transition écologique » et des opérateurs étatiques intervenant dans ce cadre. Mais on ne sache pas que, malgré cette dénomination de Conseil de défense, les réunions de ce dernier soient soumises au secret-défense, son secrétariat étant assuré par le secrétaire général du gouvernement, et on dispose par exemple, sur le site de l’Élysée, d’une « expression ministérielle » faisant le bilan de celui du 27 juillet.

On parle de plus en plus dans les médias de « Conseil de défense sanitaire » pour évoquer les réunions liées à la crise du Covid. Peut-être une évolution est-elle en train de se faire, aboutissant à la transparence sur ses réunions. L’avenir dira si nous étions seulement dans une volonté pragmatique d'améliorer la qualité du travail, ou s'il avait bien aussi la volonté de garantir une totale discrétion sur la manière dont certains choix, aux conséquences particulièrement lourdes pour le pays, ont pu être présentés et validés.

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