Emmanuel Macron saura-t-il jouer du rapport de force qui se dessine en faveur de la France en Europe (comme François Hollande avait su le faire sans réussir à le montrer) ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron saura-t-il jouer du rapport de force qui se dessine en faveur de la France en Europe (comme François Hollande avait su le faire sans réussir à le montrer) ?
©AFP

Délicat

Le 26 septembre dernier, Emmanuel Macron prononçait son discours d’initiative pour l'Europe dit de la Sorbonne, sans pour autant imposer son point de vue aux partenaires.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

Voir la bio »

Le 26 septembre dernier, Emmanuel Macron prononçait son discours d’initiative pour l'Europe dit de la Sorbonne, "pour une Europe souveraine, unie, démocratique". Trois mois après, le site Politico indiquait que "la réforme de la zone euro, dont on parle beaucoup, ne devrait pas voir le jour avant que la nouvelle Commission européenne et le nouveau Parlement ne prennent le relais à la fin de l'année 2019. Et même après cela, cela pourrait ne pas arriver du tout".

Cinq ans auparavant, François Hollande était parvenu, en s'appuyant largement sur Barack Obama, lors du G8 de Camp David, à isoler Angela Merkel dans le but de soutenir la croissance en Europe. Un fait que l'ancien président avait commenté en déclarant : "Je considère que le mandat qui m’a été confié par les Français a déjà été honoré." Un vœu qui a été suivi d'effet quelques semaines plus tard, lorsque Mario Draghi a indiqué que la BCE "ferait tout pour sauver l'euro". Ironiquement, ne peut-on pas considérer qu'Emmanuel Macron est en train d'échouer là ou François Hollande est parvenu à obtenir un résultat ? 

Rémi Bourgeot : Les projets d’Emmanuel Macron pour la zone euro butent sur le tabou allemand en ce qui concerne les transferts fiscaux de l’Allemagne vers les autres Etats, quelle qu’en soit la forme. Il ne s’agit pas d’un simple blocage temporaire, mais d’une donnée fondamentale de la culture politique outre-Rhin. La politique de la BCE soulève également des tabous en Allemagne quant au financement des Etats par la banque centrale, mais le problème est d’un autre ordre puisque l’institution en question existe déjà, avec un mandat certes très restrictif mais qu’il a suffi d’élargir tacitement dans une période de crise aiguë. Il a ainsi été possible effectivement en 2012 de dépasser l’opposition allemande à l’ultra-expansionnisme monétaire que Mario Draghi finira par mettre en place.
Il ne s’agit pas de monétisation puisque les titres achetés sont bien remboursés par les Etats et créditeurs privés. De plus, en 2012, la zone euro était menacée d’éclatement désordonnée. Au-delà même de la situation grecque qui était hors contrôle et s’aggravait moins après mois sous le coup des mesures d’austérité, les pays du Sud de la zone dans leur ensemble était confrontés à des taux d’intérêt insoutenables à court terme et voyait leur dette publique s’envoler, sur fond de crise bancaire et d’attaque des marchés de capitaux. C’est dans ce contexte effectivement que François Hollande avait cherché l’appui de Barack Obama, à un moment où les autorités américaines s’inquiétaient ouvertement de la crise financière mondiale qu’aurait déclenchée un éclatement désordonné de la zone euro. Les pressions américaines avaient permis de créer un espace pour Mario Draghi qui, dans un premier temps en juillet 2012, s’est contenté de l’évocation purement rhétorique d’achat illimités de titres de dette pour dissuader les marchés de parier sur la hausse des taux d’emprunt des Etats du Sud. Ce n’est qu’en 2015 que Mario Draghi a véritablement mis en place un programme d’achat massif visant à desserrer les conditions de crédit réelles des entreprises et ménages, en plus des taux de référence des Etats. La déclaration de François Hollande sur son mandat « déjà honoré » en 2012 est déconcertante de par ce qu’elle révèle de la conception même du mandat présidentiel et de sa réduction à des outils de gestion de crise.
Emmanuel Macron s’est également engagé dans une vision très institutionnelle, imaginant que la solution aux maux européens viendra d’un bond en avant fédéraliste au niveau de la zone euro et par une plus grande mise en commun budgétaire, de façon générale. Mais cette fois-ci, si la logique est dans la lignée de celle de 2012 sur l’amélioration de l’arsenal anti-crise de la zone euro, elle bute sur le refus catégorique des autorités allemandes de s’engager sur cette voie. Et pour créer de nouveaux mécanismes qui visent explicitement à une plus grande solidarité, il est impossible de contourner le problème du positionnement politique allemand, contrairement à la tactique qui avait été développée pour transformer la BCE en véritable banque centrale, après l’échec de Jean-Claude Trichet.

Alors que les propositions faites par Emmanuel Macron lors de son discours de la Sorbonne semblent avoir été désactivées ou au moins repoussées, ne peut-on pas considérer que les circonstances politiques actuelles pourraient être, au moins théoriquement, à l'avantage de la France ? Ne s'agit-il pas d'une opportunité pour agir ? 

Tout dépend du type d’initiative envisagée. S’il s’agit de promouvoir des réformes de type fédéral qui sont inenvisageable pour l’électorat allemand, la crise politique berlinoise ne fait qu’ajouter à l’impossibilité pour les autorités du pays de dépasser le tabou sur la question de la solidarité financière européenne. L’idée qui consisterait à pousser ces réformes coûte que coûte est confrontée à une impasse, car elle ne peut s’extraire de la réalité des oppositions populaires. Le problème réside dans le type d’initiative et dans le déni qui entoure l’approche actuelle. Le pari sur une grande avancée fédéraliste au sein de la zone euro révèle un défaut de compréhension en France et ailleurs de la réalité de la culture politique allemande.
Les analyses euphoriques qui ont succédé à l’élection d’Emmanuel Macron quant au grand soir européen était en décalage avec la réalité politique et les divergences qui se développent dans la conception de la construction européenne. On a eu tendance à se focaliser sur le discours des sociaux-démocrates allemands, qui s’affichent volontiers fédéralistes dans les débats internationaux mais qui se focalisent très peu sur cette question lorsqu’ils ont affaire aux réalités électorales et aux tractations gouvernementales. La tendance politique en Allemagne est celle d’une croissance spectaculaire de l’AfD et d’une réorientation des libéraux vers leur ligne économique historique, ordolibérale, deux phénomènes qui rendent encore plus improbable un revirement européen des conservateurs qui aliènerait encore davantage leur électorat. La zone euro comme l’Union européenne restent des constructions interétatiques et, une fois intégré la profondeur du blocage allemand, il est illusoire d’imaginer le dépasser dans la perspective d’un bond en avant fédéral. Cette impasse appelle un changement fondamental d’approche.

En prenant exemple sur le cas de Camp David 2012, et en supposant un soutien américain à un rééquilibrage européen, quelles sont les pistes que pourraient explorer Emmanuel Macron, en termes d'avancées réelles, pour une "Europe souveraine, unie, démocratique" comme l'indiquait le discours de la Sorbonne ? 

Si le gouvernement français décidait d’orienter le débat sur la question des déséquilibres économiques européens autour de l’Allemagne en mettant sur la table le problème de la politique économique allemande de compression des salaires et des investissements des vingt dernières années, cela aurait plus de poids. Et cette ligne trouverait un écho dans la critique émise un peu partout dans le monde, et notamment aux Etats-Unis depuis les deux mandats de Barack Obama sur la déstabilisation qu’induit la politique économique allemande pour l’économie mondiale. Plus généralement, l’approche strictement institutionnelle souffre d’un décalage avec la réalité politique européenne, mais aussi avec le fond des problèmes économiques auxquels sont confronté l’économie française et européenne.
La réduction de la politique économique à la gestion de crise systémique et la focalisation sur les outils institutionnels ne permettent pas d’initier la réorientation économique nécessaire pour que l’économie française retrouve la voie d’un modèle socialement stable et compétitif sur le plan technologique. Les déséquilibres de l’économie allemande sont tels, notamment en ce qui concerne l’excédent commercial, qu’il ne serait pas difficile d’orienter les débats sur cette question de façon très concrète. L’économie européenne souffre de déséquilibres spectaculaires et d’un nivellement par le bas généralisé qui fait office de stratégie économique. Derrière le rebond conjoncturel en cours, la stratégie de compression tous azimuts et la relégation d’une génération pèsent sur l’avenir français et européen. Des transferts accrus entre pays de la zone euro pourraient au mieux jouer le rôle d’amortisseur lors de la prochaine crise financière, mais c’est la question du rééquilibrage économique qui devrait être au cœur des attentions politiques. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !